Les dérives comportementales
Les relations auteur / éditeur
Le Snac a publié cinq études de son travail dans le secteur du livre : “Quand il y a des dérives comportementales dans les relations auteurs / éditeurs”. Ces études adoptent respectivement une approche psycho-sociale, sociologique, historique, juridique et économique, et ont été rédigées par des experts de ces domaines pour mieux comprendre et analyser les relations auteur / éditeur.
Le groupe de travail
Rédactrices et rédacteur des notices
Maïa Bensimon
Anciennement avocate au Barreau de Paris (2005) et de New York (2004), Déléguée Générale du Snac
Olivia Guillon
Maîtresse de conférences chez Université Sorbonne Paris Nord
Jessica Kohn
Docteure en histoire contemporaine, spécialiste des professions culturelles
Pierre Nocérino
Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Muriel Tichet
Psychologue - Accompagnement détresse psychologique, post-trauma, PSE Prévention des RPS et des violences sexistes et sexuelles au travail
Illustratrices et illustrateurs des notices
Benjamin Adam
Virginie Augustin
Gaëlle Hersent
Nicoby
Thibaut Soulcié
Notice n°1 - Une perspective psycho-sociale
La qualité de la relation va se co-construire sur une idée partagée de bonne entente et de convivialité, sans toujours établir de cadre professionnel répondant aux besoins et attentes de chacun.
Des rapports de force et des dissensions peuvent alors apparaître et déséquilibrer les relations professionnelles entre auteurs et éditeurs.
En l’absence de mesures de régulation, des dégradations dans les situations de travail vont s’installer et conduire à des dérives comportementales et des impacts à la santé de ceux qui les subissent.
Qu’entend-on par dérives ?
Les dérives comportementales correspondent à toutes les conduites inappropriées issues de ces dégradations, et traduisent l’échec à maintenir des relations au travail satisfaisantes. Qu’il s’agisse de pressions, d’abus de pouvoir, de défaillances managériales ou de stratégie délibérée pour déstabiliser les personnes, ces pratiques peuvent prendre de multiples formes : des débordements émotionnels intempestifs, des mouvements de colère chroniques, des cris, des critiques répétées et excessives, des exigences irréalistes, des demandes contradictoires, des corrections sans fin, des refus de communiquer, des propos méprisants, du dénigrement, de la dévalorisation systématique du travail, de l’isolement, de la mise au placard, voire du refus total de voir la personne.
La répétition de ces actes conduit à instaurer un climat de travail délétère, à dégrader la relation professionnelle et à impacter la santé des personnes qui en sont victimes …
Muriel Trichet : est psychologue clinicienne, consultante formatrice et intervient en milieu professionnel sur les questions de la souffrance au travail et du harcèlement.
Illustrations : Gaëlle Hersent (dessinatrice BD).
Notice n°2 - Une perspective sociologique
“Les auteurs et autrices reconnaissent spontanément avoir plaisir à faire leur métier. Toutefois, ils et elles sont également prompts à souligner les difficultés qui ne manquent
pas de surgir quotidiennement dans le travail.
Sur un plan social et économique, c’est souvent la précarité qui domine. Une précarité qui est accentuée par des statuts souvent jugés inadaptés, mis en place par des administrations connaissant mal les réalités de l’activité. À cela s’ajoute un manque de reconnaissance sociale des professionnels par le public, mais aussi parfois par les autres membres de la chaîne du livre.
Dans les coulisses de ce milieu se cachent ainsi de multiples souffrances : burn-out, dépression, consommation de psychotropes, suicides, etc.
Si ces souffrances ont forcément des causes multifactorielles, elles sont si récurrentes que certains s’interrogent : n’y aurait-il pas des dérives comportementales ou structurelles dans le milieu de l’édition?…”
Pierre Nocérino est docteur en sociologie de l’EHSS et chercheur postdoctoral au LIER-FYT. Il a soutenu en 2020 une thèse sur le travail et les mobilisations des auteurs et autrices de BD
Illustrations: Thibaut Soulcié
Notice n°3 - Une perspective juridique
“La sémantique indique que la dérive comportementale peut être définie comme un agissement qui s’écarte de la voie « normale ». C’est un comportement qui « dérape » et qui, parfois, se dégrade sans contrôle puisque, en langage familier, la dérive est « le fait de se laisser aller sans réagir ».
En droit, s’écarter de la voie normale, c’est sortir du cadre établi : le comportement de l’être humain va au-delà de ce qui est acceptable pour la société. Pour appréhender la dérive comportementale, il faut donc savoir quel est ce cadre établi (la règle de droit) et savoir également si la dérive cause un préjudice à autrui : c’est en effet, juridiquement, l’infraction à la règle de droit d’une part et le préjudice causé à autrui d’autre part, qui peuvent être tous les deux sanctionnés.
Dans le monde de l’édition, il semblerait qu’en présence de dérives du comportement, les règles de droit soient insuffisantes à rétablir l’ordre.
Il faudrait donc peut-être imaginer une nouvelle règle de droit pour une meilleure prévention et guérison.…”
Maïa Bensimon : anciennement avocate au Barreau de Paris (2005) et de New York (2004), est actuellement responsable juridique de la Société des Gens de Lettres.
Illustrations: Virginie Augustin
Notice n°4 - Une perspective sociologique
“Dérives comportementales et progrès juridiques au XVIIIè – XXè siècles
Jusqu’au XVIIIè siècle, en France, les éditeurs n’existent pas encore à proprement parler.
À la place, on observe le système plus large de la « librairie », composé d’imprimeurs, de commerçants en boutiques et d’auteurs, qui dépendent les uns des autres et doivent aussi collaborer avec le pouvoir.
Dans le monde pré-révolutionnaire, l’existence de structures sociales fortement hiérarchisées relègue donc le libraire au second plan par rapport au jugement littéraire des pairs.
C’est au cours de la Révolution française et surtout tout au long du XIXè siècle que naît l’édition européenne moderne, inscrite dans un système capitaliste et industriel, qui rend possible une productivité nouvelle. Cette mutation libérale du secteur du livre transforme les rapports entre les écrivains et leurs libraires, en inscrivant leurs relations, non plus dans le cadre du mécénat, mais dans celui du marché de l’offre et de la demande.”
Jessica Kohn est docteure en histoire contemporaine, spécialiste des professions culturelles.
Sa thèse, Travailler dans les « Petits Mickeys », une histoire sociale des dessinateurs de bande dessinée (France-Belgique ; 1945-1968) est en cours de publication aux Éditions de la Sorbonne.
Elle est actuellement enseignante agrégée au lycée.
Illustrations : Benjamin Adam
Notice n°5 - Une perspective économique
Une perspective économique par Olivia Guillon
“Le rôle des structures concurrentielles et institutionnelles
Le marché des droits d’édition présente plusieurs caractéristiques déterminantes pour le comportement des acteurs. D’abord la concentration : d’après les estimations de l’Autorité de la concurrence, en France 8 maisons d’édition cumulent à elles seules 50 % à 95 % des parts de marché sur les meilleures ventes en littérature générale, jeunesse et bande dessinée. Cela se double souvent d’une maîtrise de l’aval de la chaîne du livre : les grands groupes possèdent des sociétés dans tous les métiers du livre, de l’édition à la vente (librairie, vente en ligne…) en passant par la distribution et la diffusion.
La promotion, le transport et le stockage d’un livre papier représentant une part très importante à la fois des coûts et des facteurs de succès, la maîtrise de ces activités est une partie centrale du modèle économique des grands groupes éditoriaux, y compris pour la commercialisation de livres qu’ils n’éditent pas eux-mêmes. En parallèle coexistent de nombreux « petits » éditeurs. Ces derniers ont souvent recours aux circuits logistiques des grands groupes, faute de pouvoir assurer eux-mêmes la diffusion et la distribution de leurs livres.”
Olivia Guillon est maître de conférences en économie à l’Université Sorbonne Paris Nord depuis 2010.
Ses recherches, publications et conférences portent sur les secteurs de la culture, du numérique et de l’éducation.
Elle travaille régulièrement avec des organismes de la filière du livre dans le cadre d’études socio-économiques sur la production, les échanges, la demande et les acteurs.
Illustrations : Nicoby
Le colloque sur les Dérives Comportementales
Avec le soutien de l’ADAGP et de la SOFIA, nous avons eu le plaisir d’organiser le 1er avril 2025 un évènement dédié au secteur du livre, concernant la relation entre auteurs et éditeurs dans le secteur du livre.
Ce colloque a été l’occasion de revenir sur nos travaux précédents qui avaient été publiés ainsi que d’approfondir la réflexion pour améliorer la situation sur le terrain.