Pour une musique nouvelle – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création.

Actualités Pour une musique nouvelle – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création. Pour inventer la musique d’aujourd’hui, il ne suffit pas de renouveler ses sonorités et ses formes, il faut en même temps transformer sa fonction, son utilité. C’est par ce double mouvement qu’une musique nouvelle pourra surgir et se développer. On parle beaucoup dans les cénacles d’une « crise du langage » que nous traverserions. Par sa décision de table rase, la génération précédente nous a légué, en même temps qu’une grande rigueur de recherche, un grand retard dans la formation du public, sinon parfois une totale déchirure d’avec lui. Que nous tissions un nouveau réseau, que nous rendions la relation au public à nouveau nécessaire dès l’origine de l’œuvre, alors les problèmes esthétiques se poseront de manière beaucoup plus naturelle, donc créative. Si crise il y a, c’est plus d’une crise d’utilité que d’identité qu’il s’agit. Souvent la musique contemporaine suscite l’ennui, car aucun véritable public ne peut s’identifier ni à son discours, ni à ses enjeux, ni à ses structures. Il est temps que la musique nouvelle regarde vers l’avenir, en s’adressant au plus grand nombre. Il est temps que le compositeur cesse de considérer son public comme une projection mimétique de lui-même. Il est temps que le mouvement enclenché par un Vilar au théâtre atteigne enfin le rivage musical. L’époque des métaphores militaires (« l’avant-garde ») étant révolue, il est temps d’appareiller vers le large. Que la musique nouvelle sorte de ses labos, de ses studios, de ses ghettos ! Qu’elle se mêle à la rumeur de la cité, aux autres arts du spectacle, aux supports réels du monde réel ! Qu’elle confronte les résultats de ses recherches à la narration de son temps ! Qu’elle s’abreuve aux courants populaires ! Qu’elle envahisse les ondes et les images, si elle croit en son pouvoir ! Le temps n’est plus aux artistes-prophètes, mais aux artistes entrepreneurs, occupant sereinement une nouvelle place dans la cité. La musique dite contemporaine regarde la musique dite actuelle avec mépris ; celle-ci lui renvoie sa crainte et son envie. Elles travaillent pourtant avec les mêmes outils. L’époque semble s’habituer à cette totale séparation du genre « commercial » (pour le peuple) et du genre « culturel » (pour l’élite). Les créateurs n’ont pas à entériner cette coupure dans l’art musical d’aujourd’hui, sous peine de se transformer en fonctionnaires de l’art. Le pire vice de ce système n’est-il pas de nommer classique une œuvre avant que celle-ci ait trouvé son utilité communautaire ? Il est temps que ces mondes fusionnent. La musique n’est pas un supplément de culture pour élite fatiguée. Elle est le mouvement profond, l’élan de l’âme, l’imaginaire dramatique pur. Elle lie le corps et l’esprit, elle relie l’homme à sa condition. Il est temps qu’elle retrouve sa véritable utilité : langue de l’âme et des passions, formatrice du goût, révélatrice de l’expression. Dans ce mouvement, les musiciens (dits « interprètes ») retrouvent une place primordiale de chercheurs pratiques, qu’ils avaient magnifiquement occupée à l’âge baroque. Il est temps que cette économie-là, ce circuit-là, si propre à l’art musical, se libère de l’hypertrophie du rôle du compositeur. Il est temps que d’autres auteurs surgissent pour la musique, mutants, pratiques et théoriques, joueurs et scribes, poètes et saltimbanques. Pour une musique nouvelle, il est temps d’inaugurer de nouvelles pratiques. Denis Levaillant Cette Tribune libre a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 155. Photographie de Denis Levaillant. Crédit : Julie Levaillant.
L’IA doit nous pousser à agir, réagir, imaginer – ce qu’elle est incapable de faire ! – Un entretien avec Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Snac, membre du groupement Musiques à l’image.

Actualités L’IA doit nous pousser à agir, réagir, imaginer – ce qu’elle est incapable de faire ! – Un entretien avec Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Snac, membre du groupement Musiques à l’image. Bulletin des Auteurs – À la suite de son Assemblée Générale à Londres, Ecsa publie une déclaration à propos de l’Intelligence artificielle. Pierre-André Athané – Oui, Ecsa dans cette déclaration pose le principe de la primauté de l’humain sur la machine et affirme de nouveau que le droit patrimonial des auteurs et leur droit moral doivent être préservés ; que l’utilisation des œuvres protégées doit donner lieu à déclaration et rémunération ; que les auteurs doivent avoir l’option de l’opt-in/ opt-out,c’est-à-dire la possibilité d’autoriser ou de retirer leurs contenus utilisés par l’IA. Par ailleurs un « AI Act » est en train d’être examiné au Parlement européen, et ECSA suit de près l’évolution des choses. Dans le cadre d’une journée organisée par Ivors Academy, organisation d’auteurs proche du Snac, à la suite des réunions ECSA de Londres, le député européen Axel Voss est venu nous présenter l’esprit de l’AI Act : « Le Parlement européen reconnaît les bénéfices potentiels et les enjeux de l’Intelligence artificielle et essaie d’élaborer un cadre global pour réguler son utilisation ». L’Europe essaie donc d’imaginer, sans grande audace si l’on s’en fie à cette déclaration, une régulation qui se base sur le respect des droits, des bonnes pratiques. En tout cas on se penche sur la question en sachant que là encore la lutte entre lobbies fera rage. Peut-être arrivera-t-on à des lois, des règles ? Souhaitons-le, sachant qu’au sein de l’Europe, tout est extrêmement lent, et que doivent ensuite advenir des décrets d’application dans chaque pays. De plus, en juin 2024 auront lieu de nouvelles élections européennes, donc tout peut être remis en question. La route sera longue. L’IA va mille fois plus vite… B. A. – La composition musicale est-elle menacée ? P.-A. A. – Dans certains secteurs comme le doublage sous-titrage, les métiers d’auteurs et autrices semblent déjà affectés par l’Intelligence artificielle ; ce n’est pas encore le cas dans la musique, et pour moi ce ne le sera jamais vraiment. L’IA ne parviendra jamais à la complexité et à la finesse d’une création humaine. Et si je me trompe je plains l’humanité qui vivra un tel non-sens, un tel chaos. Globalement, on fonctionne trop sur des fantasmes, comme de dire que l’IA serait la dernière invention humaine. Je pense que c’est excessif. L’humain aura toujours la main d’une manière ou d’une autre. Dans le domaine de la musique, des outils d’aide à la composition existent déjà, permettent par exemple de développer nos capacités à créer à partir de ce que nous avons antérieurement composé. Personnellement cela ne m’intéresse pas trop, parce que je préfère le faire par moi-même. Mais certains peuvent être tentés. Pour aller où ? Sur le site Beatoven, qui s’adresse aux utilisateurs de musique, on peut demander à l’IA, sur la base de mots clefs, une mélodie de tel style, de telle rapidité, de tel ton, par exemple pop, rapide, joyeux, joué par tels ou tels instruments. Le résultat en est extrêmement médiocre. Cela va s’améliorer et on parviendra probablement à générer une musique de flux, un fond sonore plausible voire comparable à ce que font de mauvais compositeurs. L’IA saura vite faire de la musique de perroquet. Mais des obstacles vont intervenir : un blocage du dépôt à la Sacem, une impossibilité d’obtenir l’aide CNC si c’est une musique de film, etc. Le piège, ce serait peut-être des créations bâtardes, de compositrices ou compositeurs qui utiliseraient partiellement ou totalement l’IA et signeraient le résultat. Nous verrons bien. On va aller plus vite à fabriquer une musique de mauvaise qualité sans doute, mais je ne m’inquiète pas trop pour la vraie création. Quand on est compositrice ou compositeur, on connaît la complexité de la composition, ce qui en fait sa singularité, qui est attachée à une personne et son destin, une pensée et ses cheminements complexes, et ne peut être imitée. Faites imiter du Éric Satie par l’IA ? Le résultat en sera toujours lamentable. Les commanditaires, les professionnels, et une très grande partie du public feront la différence. Créer de la musique c’est d’abord communiquer un récit, le développer. L’auteur qui crée est un humain qui s’adresse à des humains, ceux qui reçoivent cette création veulent pouvoir admirer l’autrice ou l’auteur, le reconnaître, l’identifier et s’identifier à lui. L’Intelligence artificielle dite « générative » ne peut pas créer cette adresse aux autres. Elle peut au mieux être un gros jouet malin et rigolo. Elle ne séduira vraiment que les médiocres. Dans la musique, la technologie existe depuis toujours, elle commence avec la fabrication d’instruments. Tous les outils qui servent la créativité sont intéressants, une certaine forme d’IA n’est donc pas sans utilité. Un participant à cette journée d’Ivors Academy disait : « L’Intelligence artificielle n’est rien qu’un outil pour résoudre des problèmes. La musique n’est pas un problème à résoudre. » Il ajoutait que nous devons penser à ce que l’IA peut faire, non pas à ce qu’elle peut nous faire. J’aime assez cette approche. On doit considérer toutefois par prudence, par réalisme, que pour tous les métiers de la création il y a potentiellement un danger, une menace, y compris pour l’emploi, alors les organisations professionnelles, les gouvernements, les OGC, les institutions (CNM, CNC ou autres) l’Europe se mobilisent et ont raison de le faire. Peut-être aussi que l’IA pourra produire des outils afin de se réguler elle-même. Elle pourrait par exemple détecter ce qui est généré par elle-même ? Pourquoi pas ? Parmi les initiatives intéressantes évoquées à Londres, signalons celle de The Human Artistry Campaign. On peut signer la pétition proposée, et aussi adhérer à cette organisation, qui défend un certain nombre de principes, dont le fait que la technologie a toujours bénéficié à l’expression humaine, et que l’IA ne peut fonctionner autrement que comme un nouvel outil à son service. Visiblement, nombreux sont ceux ou celles qui en parlent, parfois trop, parfois pour ne rien dire, mais cela traduit une prise de conscience intéressante des
JOURNÉE MUSIQUE & CREATIONS : 30 novembre programme musical

Actualités JOURNÉE MUSIQUE & CREATIONS : 30 novembre programme musical Le SNAC a le plaisir de convier les compositrices et compositeurs de musique contemporaine à participer à la JOURNÉE MUSIQUE & CREATIONS, qui aura lieu le 30 novembre 2023 à la Cité internationale universitaire de Paris, Salle des fêtes de la Fondation Biermans Lapôtre, 9A boulevard Jourdan, 75014 Paris [INSCRIPTION] Programme Musical du concert (Le Kaïros Reed Quintet et le Quatuor Arev ont chacun eu la responsabilité du choix des œuvres des compositrices ou compositeurs programmées) Kaïros Reed Quintet Les Animaux malades de la peste (La Fontaine), Bruno Siberchicot Metrobate, Béatrice Thiriet Kaïros lied, Jean-Claude Wolff Quatuor Arev Quatuor N°1, Pierre-André Athané, 3e mouvement Abrasjon II, Anna Berg Ondulent, Imsu Choi Quatuor N°3, Alfred Schnittke, 1er mouvement > En savoir plus sur le concert > Programme des tables rondes
SNAC Invitation journée “Musique & créations” – 30 novembre (CIUP)

Actualités SNAC Invitation journée “Musique & créations” – 30 novembre (CIUP) Le Snac a le plaisir d’inviter les compositrices et compositeurs de musique contemporaine à participer à une journée d’échanges le Jeudi 30 novembre 2023 – Cité internationale universitaire de Paris – de 9h à 18h- Salle des fêtes de la Fondation Biermans-Lapôtre – Paris L’objectif est d’aborder diverses thématiques permettant une meilleure connaissance de la musique contemporaine et des professionnels (en particulier compositeurs.trices) qui la font vivre. A cette occasion, il s’agit d’échanger avec les divers intervenants de la filière autour de tables rondes, d’un concert, d’un cocktail. Inscription gratuite (sous réserve des places disponibles) par le formulaire d’inscription en ligne. Au programme Table ronde n° 1 – Etat des lieux et constats – 1ère partie – La musique contemporaine : pluralité et richesse des langages, édition, enseignement, financements des productions, diffusion Concert : Kaïros Reed Quintet, quintette à vent – Œuvres de Bruno Siberchicot, Béatrice Thiriet, Jean-Claude WolfQuatuor AREV, quatuor à cordes – Œuvres de Pierre-André Athané, Anna Berg, Imsu Choi, Alfred Schnittke Table ronde n° 2 – Etat des lieux et constats – 2ème partie – Le métier de compositrice ou compositeur : conditions d’exercice dans la société contemporaine, statut, rémunération, commandes, aides, mécénat, diffusion des œuvres, défense des intérêts collectifs Table ronde n° 3 – Réflexions et propositions sur un plan collectif
Une nouvelle ère pour la composition musicale ? par Sylvain Morizet, pianiste, orchestrateur, compositeur, représentant du groupement Musiques contemporaines.

Actualités Une nouvelle ère pour la composition musicale ? par Sylvain Morizet, pianiste, orchestrateur, compositeur, représentant du groupement Musiques contemporaines. Intelligence artificielle, un mot à la mode L’expression « Intelligence Artificielle » (IA) est à la mode depuis une quinzaine d’années en raison de l’essor rapide des technologies numériques et de l’importance croissante des données dans notre société. Les avancées en matière d’apprentissage automatique et de traitement du langage naturel ont permis à l’IA de devenir de plus en plus sophistiquée, ouvrant la voie à de nouvelles applications dans de nombreux domaines, y compris la création artistique. L’IA est également devenue un sujet de plus en plus médiatisé en raison de ses implications potentielles sur l’emploi, l’éthique, la sécurité, les droits de l’homme… Certains craignent que l’IA ne prenne le contrôle de certains secteurs de l’économie, ce qui pourrait entraîner des pertes d’emplois massives. Intelligence Artificielle VS Intelligence Humaine L’intelligence humaine et l’intelligence artificielle sont deux types d’intelligence différents, chacun ayant ses propres avantages et limites. L’intelligence humaine est basée sur la conscience de soi, l’apprentissage continu, la créativité, l’empathie et l’expérience émotionnelle. Les humains sont capables de prendre en compte de nombreux facteurs, d’appliquer un raisonnement complexe et de faire preuve d’un jugement moral. Cependant, l’intelligence humaine peut être limitée par la fatigue, les erreurs de jugement et la difficulté à traiter de grandes quantités d’informations rapidement. L’intelligence artificielle, quant à elle, est basée sur l’apprentissage automatique, les algorithmes et les données. Les ordinateurs sont capables de traiter de grandes quantités de données en peu de temps et de fournir des résultats précis et cohérents. Cependant, l’IA peut manquer de la conscience de soi, de la créativité et de l’empathie des humains. Il est important de comprendre que l’IA est conçue pour compléter l’intelligence humaine, pas pour la remplacer. Les humains et les machines peuvent travailler ensemble de manière synergique pour résoudre des problèmes complexes et atteindre des objectifs ambitieux. Il est donc important de développer une compréhension approfondie de l’IA et de ses capacités, tout en mettant en valeur les compétences uniques que les humains apportent à la table. Les différents types d’IA L’IA faible ou étroite : C’est l’IA qui est conçue pour effectuer une tâche spécifique ou un ensemble de tâches. Elle est généralement limitée à une application ou un domaine particulier, comme la reconnaissance vocale ou l’analyse de données. Elle est souvent basée sur des algorithmes d’apprentissage automatique supervisé, non supervisé ou par renforcement. L’IA forte ou générale : Il s’agit d’une IA qui peut effectuer des tâches complexes qui sont généralement associées à l’intelligence humaine, telles que la reconnaissance visuelle, le raisonnement, la prise de décision, etc. Elle est encore en développement et n’existe actuellement que dans les films de science-fiction. Par exemple, il est possible d’apprendre les règles de la fugue à une IA. Nous pouvons aussi lui faire analyser les 48 fugues du Clavier Bien Tempéré, chef-d’œuvre de Bach ayant poussé l’art de la fugue à son paroxysme. Bien que ces 48 fugues soient toutes différentes et profondément originales, une IA, après avoir analysé cette œuvre, pourrait néanmoins nous décevoir en proposant une fugue d’école, correcte d’un point de vue académique, mais totalement inintéressante artistiquement parlant. Néanmoins, l’IA progresse constamment et l’algorithme « DeepBach », basé sur ses 389 chorals, donne des résultats étonnants, difficilement différenciables d’une œuvre originale qu’aurait écrite Bach. À quoi tient alors cette différence ? Sans parler des génies, ponctuels et infiniment minoritaires (mais qui écrivent l’histoire de l’art !), quels seraient les critères qui rendent une œuvre digne d’intérêt ? Art et Artisanat Le mot latin Ars nous a donné à la fois artiste et artisan. La différence entre l’art et l’artisanat est souvent subjective et peut varier en fonction des cultures et des personnes. Cependant, on peut identifier certaines différences générales : L’art est souvent considéré comme une forme d’expression créative qui est créée pour susciter des émotions ou transmettre des idées, des concepts ou des messages à un public. L’art peut prendre de nombreuses formes, telles que la peinture, la sculpture, la musique, la danse, la littérature, la photographie, etc. L’accent est souvent mis sur l’originalité, l’innovation et l’expression personnelle de l’artiste. D’autre part, l’artisanat est généralement considéré comme une pratique qui implique la fabrication d’objets utilitaires ou décoratifs à la main, souvent à partir de matériaux tels que le bois, la pierre, le métal, la céramique, etc. L’accent est souvent mis sur la qualité, la fonctionnalité et la précision technique de l’objet fabriqué. Cependant, nous entendons souvent qu’il existe des chevauchements entre l’art et l’artisanat, et de nombreux objets artisanaux peuvent également être considérés comme de l’art. Par exemple, une sculpture en bois peut être considérée comme de l’artisanat en raison de son utilité décorative, mais elle peut également être considérée comme de l’art en raison de sa qualité esthétique et de son expression créative. Cette affirmation fait abstraction de la principale différence entre art et artisanat. Il s’agit de la question du sens. La réalisation d’une œuvre d’art demande à la fois un travail d’artisan, nécessaire à la perfection technique, ainsi qu’un travail d’artiste pour donner du sens à l’œuvre. C’est sur ce point que l’artiste conserve une avance considérable sur la machine. L’art après 1945 a lui-même revendiqué exclure le sens de la création artistique. Il s’est rapidement heurté à nombre de contradictions. Un virage pour la composition musicale – le cas JukeBox L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée dans le domaine de la composition musicale. Les techniques d’IA peuvent aider les musiciens et les compositeurs à créer de nouvelles mélodies et harmonies, à explorer de nouveaux genres, à améliorer la qualité de leur composition, ou à expérimenter de nouvelles techniques de composition. JukeBox est un modèle d’IA développé par OpenAI (développant également Chat-GPT) qui est capable de générer de la musique originale dans différents styles et genres musicaux. Il utilise des techniques de génération de langage naturel et de traitement de signal audio pour créer des compositions musicales complètes, y compris des mélodies, des paroles et des arrangements instrumentaux. Le modèle JukeBox peut générer de la musique dans différents styles, y compris le
Éloge de l’éclectisme – De l’Opéra de Paris à Rihanna – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création.

Actualités Éloge de l’éclectisme – De l’Opéra de Paris à Rihanna – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création. Musique symphonique, musique électro, musique de scène, musique de ballet, musique de synchronisation, musique de film, musique actuelle : la création d’aujourd’hui traverse les catégories. Aucun préjugé de genre ne devrait entraver la libre circulation des œuvres dans la société ; il est totalement fallacieux de prétendre que la création musicale n’a pas de « marché » : il faut évidemment aller le chercher, prendre le temps de convaincre et de diffuser, être extrêmement professionnel dans la production, et être extrêmement patient. Il me semble que cette question mérite vraiment d’être débattue par le Snac, car elle concerne le métier dans sa définition, son économie, sa communication, elle touche au statut du compositeur, elle aborde le « périmètre » envisagé de nos actions, elle est selon moi aujourd’hui urgente et fondamentale. Je voudrais témoigner de ces percées, que j’ai profondément vécues dès mes débuts de créateur et qui nourrissent encore aujourd’hui mon quotidien. Quelques exemples : En 1983 je reçois une commande de l’État pour une création au Festival de musique contemporaine de la Rochelle, Piano transit, un concerto pour piano et électronique, tous les sons étant des traitements numériques de sons de piano faits au GRM (studio 123). Cette œuvre est donc coproduite par l’Ina-Grm qui la programmera au studio 104 à Radio-France. Je la dédie à Pierre Henry (qui assistera au concert de Paris) et l’interprète moi-même dans un dispositif de diffusion du son révolutionnaire (un réflecteur en forme de champignon suspendu au-dessus du piano, inventé par Jean-Pierre Morkerken). J’ai par la suite monté certains extraits de cette œuvre, très riche, en multipistes, et certaines séquences entières ont été éditées dans plusieurs albums destinés à la synchronisation au cinéma, dont The Fear Factory, chez Cézame, dans lequel Rihanna a puisé un titre pour le générique de fin d’une de ses vidéos récentes : une commande de l’État a donc été entendue partiellement par plus de 160 millions de personnes sur YouTube à ce jour. Étonnant, non ? Musique savante contemporaine, musique électronique, musique de synchronisation, musique actuelle : que sont les catégories devenues ? En 1987 je reçois une commande de musique de scène de la Comédie-Française pour Le Canard sauvage d’Ibsen mis en scène par Alain Françon. Je compose un quintette à vent qui est enregistré par le quintette Nielsen et diffusé en scène, pour plus de soixante représentations. J’en tire une version de concert : Sept prières pour un canard sauvage, qui est créée en 1995 au Centre Pompidou par Nielsen et repris à la Salle Gaveau. J’utilise quelques extraits de cette œuvre dans une production du CMG chez Cézame, L’Étrange, et ces titres depuis sont régulièrement synchronisés dans le monde entier. En 2008 le réalisateur hollandais Ad Bol me commande la BO de son film de fiction Blindspot. Il tombe amoureux de ce quintette et me demande de faire toute la BO avec ces matériaux. Dont acte. Musique de scène, musique « sérieuse de concert », musique synchronisée, musique de film : que sont les catégories devenues ? Après OPA Mia en 1991, je compose Les Couleurs de la parole, commande de Radio France pour le Philharmonique. Je prolonge l’orchestre de l’opéra, en poursuivant l’inspiration de la voix parlée, de la conversation. Création en concert. L’œuvre est enregistrée.Je m’empare de l’enregistrement et en fais la base d’un vaste traitement électroacoustique : Drama Symphony, commande de l’Ina-Grm. J’extrais de cette œuvre des fragments qui sont recomposés pour être synchronisés à l’image : Dark (chez Koka Media). Enki Bilal sera le premier à synchroniser deux titres dans la BO de son film Immortel. Cet album est devenu depuis une référence dans l’audiovisuel, dans le monde entier : plus de cent synchronisations par an depuis 2003. La même œuvre passe donc de la catégorie « musique symphonique contemporaine » à « électroacoustique » puis à « BO de cinéma » puis à « musique de synchronisation » : que sont les catégories devenues ? Éclectisme J’ai été classé à mes tout débuts dans le genre « musique improvisée », puis dans la « musique contemporaine », puis « musique électroacoustique », puis « musique de spectacle », puis « musique de film », puis « musique de synchronisation », puis « musique de ballet », puis à nouveau « musique sérieuse de concert », etc. Suspect aux yeux de tous les sectaires (puisque je traverse leurs cercles sans y prendre attache), je suis un créateur libre ; je vais là où mon instinct et mon désir me guident, et je cultive mon style à travers tous les genres. Mon éclectisme est salué par les Anglo-Saxons, pour qui la variété des techniques maîtrisées est un atout considérable pour un créateur. Colin Clarke, critique de Fanfare aux USA, a ainsi pu écrire : « His versatile musicianship is truly extraordinary. » Aucun critique français (en dehors des musicologues) jusqu’à présent n’a daigné porter la moindre attention à cet aspect fondamental de ma personnalité. Pourquoi parler ainsi de moi ? Parce que je pense avoir été en avance dans ma génération, à créer hors limites imposées, d’un genre à l’autre, en maintenant un cap authentique, sincère et indépendant. J’ai la profonde conviction que de plus en plus de jeunes créateurs suivent cette voie de l’ouverture, de la multiplicité, des brassages, des voyages, des traversées de frontières, bref de l’éclectisme – ou encore versatilité, mais allez en parler à un intellectuel français, il va vous traiter de girouette – si bien qu’il me semble que la conception sacralisée du « concert de musique contemporaine » comme seule source de communication (et de revenus ?) pour un créateur d’aujourd’hui est totalement désuète, obsolète, et souvent mortifère. Denis Levaillant Portrait de Denis Levaillant, par Julien Mélique. Cette « Tribune libre » a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 153, en avril 2023.
L’union et la sororité – Un entretien avec Béatrice Thiriet, compositrice, vice-présidente et trésorière adjointe du Snac, membre du groupement Musique contemporaine.

Actualités L’union et la sororité – Un entretien avec Béatrice Thiriet, compositrice, vice-présidente et trésorière adjointe du Snac, membre du groupement Musique contemporaine. Bulletin des Auteurs – Vous appartenez au collectif « Troisième Autrice ». Béatrice Thiriet – Je suis membre du collectif car je suis bien persuadée de son intérêt et de l’importance de l’action collective. Dans toutes les professions, dans tous les milieux, on observe que se constituent des collectifs de femmes. Cela correspond aux nouveaux enjeux sociétaux que représentent l’insertion et la représentation des femmes dans leur milieu professionnel. C’est aussi la marque d’une société où les femmes désirent prendre en charge cette représentation. L’union et la sororité, l’entraide et la tolérance sont les quatre piliers de ces alliances. Le collectif « Troisième autrice » c’est, pour moi, se regrouper pour mieux mettre en lumière le travail des compositrices de musiques de films. B. A. – La présence des compositrices dans la musique de films est-elle récente ? B. T. – Il y a des compositrices depuis l’aube du cinéma, si l’on pense à Germaine Tailleferre qui était reconnue par ses pairs puisqu’elle fait partie du Groupe des Six, ou Elsa Barraine, compositrice de la musique de films de Jean Grémillon (« L’Amour d’une femme », par exemple). Un peu plus tard il y a notamment Anne-Marie Fijal qui travaille notamment avec Jeanne Labrune ou avec Manuel Poirier. Dans un livre écrit en 2002 par Vincent Perrot, intitulé « B. 0. F. : musiques et compositeurs du cinéma français», figure la photo d’un groupe de femmes compositrices de musiques de films, dont Anne-Olga De Pass, Angélique Nachon, Alice Willis, Hélène Blazy et moi-même. Sophia Morizet aurait pu figurer sur cette photo mais elle réside à Los Angeles, où elle travaille. Ce qui est nouveau c’est que le collectif « Troisième Autrice » a permis de rassembler un grand nombre de compositrices et notamment les plus jeunes et les plus débutantes, et de défendre la place des compositrices dans le paysage musical. C’est un outil qui soutient leur travail et leur pensée. B. A. – Comment les compositrices sont-elles invisibilisées ? B. T. – Généralement les compositrices travaillent sur des films moins financés que ceux sur lesquels travaillent les compositeurs, donc moins médiatisés, qui favorisent moins l’essor de leur carrière. On fait moins appel à elles qu’à des hommes, parce qu’on les connaît moins. Les réalisatrices de films qui seraient peut-être tentées de faire confiance à d’autres femmes sont également en minorité : 30 %. L’invisibilisation des femmes dans notre société mais aussi dans l’histoire de l’art et donc de la musique est une réalité. J’ai réalisé ainsi des doubles portraits de compositrices sur la Web TV LDWTV. Une compositrice actuelle et vivante présente une compositrice du répertoire. Les compositrices sont absentes dans l’histoire de la musique, et il faut les réintégrer. Elles sont une partie de notre culture, cela nous concerne toutes et tous. B. A. – Vous êtes aussi compositrice de musique contemporaine. B. T. – En musique contemporaine, j’appartiens à l’association « Plurielles 34 », où nous identifions et soulignons les problèmes liés à notre invisibilisation. Nous tâchons de remuer les institutions puisque la musique contemporaine représente aussi de l’argent public. Les organismes tels Radio France, les maisons d’opéra, les orchestres qui passent des commandes devraient se poser la question d’alterner entre compositeurs et compositrices. L’autre intérêt des collectifs est de recenser les femmes autrices et artistes. Beaucoup de patrons d’institutions ou de directeurs d’événements influents ont tendance, parce qu’ils ne les connaissent pas, à se replier sur l’idée qu’il n’y a pas de compositrices. De plus en plus d’associations professionnelles ou de syndicats se mettent à jouer le jeu et à parler des femmes compositrices. En musique contemporaine, Claire Bodin, directrice artistique du festival « Présences féminines » propose une base de données : « Que demander à Clara ? », qui recense les compositrices contemporaines et leurs œuvres et qui vient de s’ouvrir aux compositrices de musiques de films. B. A. – Comment un changement peut-il s’opérer ? B. T. – Voici une dizaine d’années le collectif La Barbe avait attaqué le Prix France Musique/ Sacem de la musique de films, au titre qu’il ne récompensait jamais de compositrices, et que Radio France n’engageait pas de productrices. C’est à la suite de cette action que j’avais été nommée au jury de ce prix, l’année suivante, au côté d’Éléni Karaïndrou, la compositrice de la musique des films de Théo Angelopoulos (L’Éternité et un jour). J’ai l’impression que cette action militante et totalement inattendue avait bougé les esprits, provoqué un prise de conscience. Au cinéma, le mouvement « #MeToo » a produit un séisme, libéré une parole et permis aux femmes de prendre plus de poids dans ce milieu, qui est apparemment le secteur artistique le plus violent vis-à-vis des femmes, à moins qu’il ne soit seulement le plus médiatique. De manière concomitante le discours de « #NousToutes » qui soutient les femmes victimes de violences circule, est écouté. Il commence à imaginer et à organiser une stratégie possible pour soutenir les victimes. En droit français, il n’y a pas de mot pour dire qu’on respecte la parole des victimes. C’est ce mot-là qu’il faut inventer. B. A. – Qu’est ce qui a changé pour les compositrices depuis la photo dans le livre « B.O.F » ? B. T. – Quand je regarde cette photo dans « B.O.F.», je revois un déjeuner où on s’est bien aimées, où on s’est parlé, mais au cours duquel il ne nous est pas venu à l’idée de nous associer comme les femmes compositrices de musiques de films. Et c’est un homme, Vincent Perrot, qui s’était dit : « Tiens, je vais faire une page sur les “femmes compositrices”. » Ce qui était sympathique mais en même temps, si on y réfléchit, discriminant. Pour moi ce qui compte c’est qu’il y ait des compositrices au même titre que des compositeurs et surtout pas « les compositrices » présentées et pensées à part. Aujourd’hui ce qui a changé c’est que des femmes décident de s’occuper des problèmes qu’elles rencontrent en tant que femmes. Il est nouveau que les compositrices elles-mêmes s’unissent et agissent pour devenir visibles, décident de se voir, se parler, partager leur expérience, se donner des conseils, s’épauler, affirmer qu’on est plus fortes et plus intelligentes en réfléchissant ensemble. Être moins de 10 % dans un paysage
« Troisième Autrice », un collectif – Un entretien avec Camille Delafon et Stéphanie Blanc, compositrices, membres de l’UCMF et du groupement Musiques à l’image du Snac

Actualités « Troisième Autrice », un collectif – Un entretien avec Camille Delafon et Stéphanie Blanc, compositrices, membres de l’UCMF et du groupement Musiques à l’image du Snac Bulletin des Auteurs – Comment est né le collectif « Troisième Autrice » ? Camille Delafon – Le collectif s’est créé de manière très informelle en 2019, à l’initiative de plusieurs compositrices qui ont d’abord créé un groupe privé Facebook pour s’identifier, se rassembler, échanger librement. Une parole a pu naître, qui exprimait la spécificité d’être une compositrice, dans un métier où la représentation est quasi exclusivement masculine. Un peu moins aujourd’hui, mais très graduellement, puisqu’en France on évoque le chiffre de 6 % de compositrices de musiques à l’image. Nous avons pris le temps de savoir ce que nous avions à faire ensemble, ce que nous pouvions et voulions faire pour nous, compositrices. Stéphanie Blanc – Il a été fondamental pour nous, qui nous sentions très isolées, de voir se regrouper un ensemble de compositrices autour des problèmes spécifiques à notre métier et au genre que nous représentons. Il était indispensable, au moment où c’est apparu, et vis-à-vis de notre peu de visibilité, que ce groupe émerge. C. D. – Nous nous sommes aperçues que nous étions plus nombreuses que nous le pensions, et qu’il existait des spécificités liées à notre expérience. Le manque de représentation des femmes dans notre métier constitue un double frein : d’une part le fait que notre métier soit quasi exclusivement masculin ne pousse pas les acteurs de la filière à faire confiance à des compositrices. On sait à quel point, dans la construction du budget d’un film, l’aspect sécurité est un argument de poids. D’autre part, tout au long de leur carrière les compositrices elles-mêmes sont inhibées par cet état de fait – comme dans d’autres secteurs d’ailleurs : elles questionnent souvent plus leur légitimité que les hommes, hésitent à prendre la place, éprouvent de la difficulté à se projeter dans un métier pour lequel elles n’ont presque aucun modèle. S. B. – L’idée que nous pouvons avoir de notre légitimité est essentielle pour que les acteurs de la filière puissent nous faire confiance, pour nos qualités et notre expérience, et non parce que nous sommes des femmes, avec la représentation qui existe malheureusement encore, pas forcément consciente, de notre genre. Il était primordial d’avoir un collectif qui représente toutes les femmes compositrices, de toutes les générations, qui peuvent être des modèles pour les nouvelles arrivantes, qu’elle puissent se dire : « Oui, je veux être compositrice de musiques à l’image et j’ai des exemples auxquels me référer. » C. D. – D’abord nous avons pris le temps de faire cette expérience collective pour bien identifier nos objectifs. Et nous avons découvert que notre premier objectif est moins d’être dans la revendication que de développer une culture du partage et du soutien, avec pour ma part le fol espoir qu’elle se développe au delà de notre collectif. Notre effort interne vise à mettre en commun des réseaux, sortir de sa petite case et de la compétition, pour se rendre plus fortes les unes les autres. À travers des masterclass que chacune est invitée à organiser nous partageons savoirs, expertises et expériences. Nous avons eu par exemple une masterclass sur le synthétiseur modulaire par Claude Violante / Camille Petitjean, ou la spécificité de composer pour des séries par Audrey Ismaël. Certaines compositrices vont aussi pouvoir juste détailler un peu leur workflow et partager des sessions de travail ; c’est passionnant de voir comment chacune a sa propre façon de faire ! Nous nous servons de notre groupe privé Facebook pour partager des informations, relayer les appels à candidature et inciter les compositrices à s’y présenter. Nous avons aussi un projet de mentorat vis-à-vis des étudiantes ou des compositrices en début de carrière. Notre second mouvement se tourne vers l’extérieur, et œuvre à la visibilité des compositrices de musique de films dans les espaces professionnels et publics. Nous savons aujourd’hui combien cela est essentiel pour changer les représentations. Des festivals et des institutions nous sollicitent pour réfléchir avec eux à la place des compositrices, s’assurer de la pertinence de leur approche. S. B. – Au-delà des questions de genre, notre métier nous amène à accomplir de multiples tâches, composer, jouer les instruments, enregistrer, mixer, etc. Plus l’échange de savoirs intervient tôt, mieux nous pouvons développer notre carrière en conséquence et non en fonction des faiblesses qui se révéleraient au fur et à mesure. B. A. – Avez-vous des liens avec les compositrices d’autres musiques ? C. D. – Bien sûr. Nous avons par exemple travaillé en partenariat avec l’association « Présences compositrices », qui a intégré en juin dernier les compositrices de musiques à l’image dans son répertoire. Nous sommes aussi en lien avec de nombreux collectifs et associations qui œuvrent pour l’égalité et la parité dans le milieu de la musique et du cinéma comme le Collectif 50/50, Mewem, Keychange, etc. Reste que le « Collectif Troisième Autrice » se consacre essentiellement aux compositrices de musiques à l’image, que ce soit pour les jeux vidéo, les installations, les films audiovisuels. B. A. – Comment le collectif s’est-il organisé ? C. D. – Dans l’esprit de ce changement de culture, nous avons essayé de trouver une forme pour le collectif qui soit la plus horizontale possible. Nous avons évité de reproduire une structure en pyramide, qui est aussi très présente dans les associations. Notre bureau comporte deux compositrices à chaque poste, deux trésorières, deux présidentes, etc. La fonction de présidente n’est pas mise en avant. Nous n’avons pas de membres d’honneur. Nous avons créé des groupes de travail, qui réfléchissent par exemple sur les différents partenariats en cours, comme avec le festival « Sœurs jumelles », ou avec l’association 50/50. Notre engagement est entièrement bénévole. Nous organisons une fois par an les rencontres « Troisième Autrice », où ont lieu des séminaires et des ateliers. Le premier opus a eu lieu en octobre dernier : Jérôme Lemonnier nous a parlé de l’intérêt de devenir producteur exécutif de sa musique ; Jean Vincent, avocat spécialisé dans le droit d’auteur, a décortiqué le contrat de commande, et Agathe Berman nous a enseigné comment animer un atelier sur la thématique « Se présenter et promouvoir son travail ». S. B. –
L’action d’Ecsa (European Composer and Songwriter Alliance) et les défis des auteurs-compositeurs européens en 2023 – Un entretien avec Marc du Moulin, Secrétaire Général d’ECSA.

Actualités L’action d’Ecsa (European Composer and Songwriter Alliance) et les défis des auteurs-compositeurs européens en 2023 – Un entretien avec Marc du Moulin, Secrétaire Général d’ECSA. Bulletin des Auteurs – Quel est le rôle d’ECSA ? Comment votre Alliance est-elle structurée ? Marc du Moulin – Les défis auxquels les auteurs de musiques font face sont immenses mais souvent très similaires au sein des 27 pays européens que nous représentons. Notre rôle est de défendre et de promouvoir leurs droits et intérêts au niveau européen et international. Notre alliance représente aujourd’hui 54 associations membres à travers l’Europe, le plus souvent au sein de l’Union européenne (UE), mais parfois au-delà (Norvège, Islande, Royaume-Uni, etc.). Le Snac, l’UCMF et l’Unac sont nos trois organisations membres en France et participent activement à nos travaux. La venue de nouveaux membres, du Portugal, d’Allemagne ou d’Italie ces dernières années prouve l’attractivité d’Ecsa et démontre à la fois sa représentativité et son rayonnement à travers l’Europe. Grâce au soutien du programme Europe Creative, qui finance environ 50 % de nos activités, ainsi qu’aux contributions de nos membres, nous sommes bien équipés pour sensibiliser les institutions européennes aux défis des auteurs de musique et promouvoir leurs œuvres et leurs métiers à travers différentes activités politiques et culturelles. Notre partenariat avec le programme Europe Créative inclut un programme de travail et d’activités cofinancé par l’UE, qui nous permet de financer de nombreuses activités politiques ou culturelles. Néanmoins, nos ressources restent très limitées en comparaison des moyens des Gafam, des plateformes audiovisuelles, ou encore des majors de la musique représentées à Bruxelles. Notre association est structurée autour de trois comités : Apcoe pour la musique populaire, ECF pour la musique classique et contemporaine et Fface pour la musique à l’image. Cette structure demeure importante mais nous y avons ajouté plusieurs groupes de travail qui traitent de questions transversales, telles que le streaming musical ou l’intelligence artificielle. En 2021 nous avons révisé nos statuts, qui ont été adoptés à une quasi-unanimité, afin d’inscrire des objectifs plus variés, tels que l’égalité femmes – hommes, et des règles plus claires pour l’élection des membres de notre conseil d’administration. Sur la base de ces nouveaux statuts, nos membres ont élu en février 2022 un nouveau conseil d’administration, présidé par Mme Helienne Lindvall, de nationalité suédoise et membre de l’Ivors’ Academy au Royaume-Uni. En outre, Alfons Karabuda, a été élu président d’honneur d’Ecsa, tandis que Bernard Grimaldi a été élu vice-président d’honneur de notre Alliance. Ces deux dernières années le Covid-19 et ses restrictions ont entraîné des conséquences très néfastes pour les auteurs de musique et nos associations membres. Mais Ecsa a su s’adapter, organiser ses activités en ligne grâce aux outils numériques. Nous avons été très heureux de nous retrouver enfin lors de notre dernière session à Split (Croatie), en septembre dernier, après plus de deux ans sans session physique. Néanmoins, nous continuons de recourir aux outils numériques pour dialoguer avec nos membres, notamment dans le cadre de nos groupes de travail. B. A. – Quels sont les objectifs majeurs de l’action d’Ecsa en 2023 ? M. du M. – Nous avons actuellement trois objectifs principaux : En premier lieu, un des objectifs majeurs d’Ecsa a été l’adoption de dispositions ambitieuses au sein de la Directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique en 2019. Nous avons été particulièrement actifs sur l’article 17, qui traite des rapports entre les titulaires de droits et certaines plateformes de diffusion en ligne, telles que YouTube afin d’obtenir un meilleur partage de la valeur et une rémunération plus juste pour tous les titulaires de droit. Une autre priorité majeure a été l’adoption des articles 18 à 23, qui réglementent les contrats entre auteurs et interprètes d’un côté et éditeurs, producteurs et plateformes de l’autre. Jusque-là, le cadre législatif de l’UE protégeait le droit d’auteur mais pas les contrats des créateurs, qui sont essentiels pour que le droit d’auteur soit réellement favorable aux auteurs. Nous avons travaillé de concert avec d’autres organisations d’auteurs (scénaristes, réalisateurs, écrivains), pour faire valoir des règles communes, qui s’appliquent à tous les auteurs au sein de l’UE. Enfin, nous avons été également vigilants sur les exceptions au droit d’auteur, afin qu’elles n’empiètent pas exagérément sur le droit d’auteur, qui doit rester la règle, et non l’exception. Le résultat final n’est pas parfait mais cette directive, une fois transposée partout au sein de l’UE, améliorera la rémunération et les conditions de travail de tous les auteurs en Europe. Nous avons également été en contact étroit avec nos membres au niveau national pour peser sur la transposition. À ce stade, environ un tiers des États membres de l’Union européenne n’a pas encore transposé la Directive de 2019. Ce n’est pas acceptable et nous continuons à appeler les États membres et la Commission européenne à accélérer le processus de transposition. En juin 2022, nous avons organisé avec d’autres organisations d’auteurs une conférence sur la transposition et le problème des contrats « Buy-out », qui montre qu’il y a encore beaucoup à faire pour que cette directive améliore réellement les conditions de travail des auteurs. Nos deux autres priorités majeures sont, d’une part : notre combat contre les contrats dits de « Buy-out » et l’édition coercitive, et le streaming musical d’autre part. B. A. – Que sont les contrats « Buy-out» ? M. du M. – Il y a différents types de contrats « Buy-out » qui peuvent être très complexes. Mais, pour simplifier, un contrat « Buy-out » désigne un contrat couvrant l’ensemble des droits et prestations réalisées par un auteur, ainsi que les exploitations futures, en échange d’un paiement forfaitaire unique. Un tel contrat signifie que l’auteur ne recevra aucune redevance à l’avenir, quel que soit le succès de l’œuvre. Dans le cadre d’un tel contrat, le compositeur est souvent tenu d’accepter que sa contribution soit qualifiée de « work made for hire » conformément à une législation extraterritoriale, le plus souvent américaine, en contradiction avec le modèle européen du droit d’auteur. Ce phénomène s’est amplifié avec la très forte croissance des plateformes de vidéo à la demande en Europe. Si un auteur refuse ou s’oppose à un tel contrat, cela peut avoir de graves conséquences sur ses opportunités professionnelles futures. Sa liberté de choix est
Deux ans au sein du Conseil professionnel du Centre national de la Musique – par Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Snac.

Actualités Deux ans au sein du Conseil professionnel du Centre national de la Musique – par Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Snac. Un peu plus de deux ans après la première réunion du Conseil professionnel du Centre national de la Musique (CNM) en Septembre 2020, que peut-on dire de cette instance et plus généralement de ce nouvel arrivant dans le monde de la musique en France ? Tout d’abord réjouissons-nous déjà de son existence. Après une première tentative avortée sous un autre gouvernement, cet organisme que toute la profession appelait de ses vœux a vu enfin le jour, a trouvé son financement, ses locaux, joue son rôle, remplit peu à peu ses objectifs. Naître et se retrouver aussitôt confronté au séisme de la Covid et des confinements successifs représentait une situation plus que singulière. Bâti dans cette tempête, l’édifice se devait d’être solide, efficace. Tous les professionnels du secteur semblent s’accorder sur le fait que ce fut le cas. C’est dans un contexte de sortie de crise que le CNM prend maintenant peu à peu son rythme de croisière. Rappelons que sa fondation a entraîné la fusion en son sein de plusieurs organismes ou associations existants, ce qui n’a pas été simple, mais qui est un premier succès en soi : il fallait regrouper, simplifier, centraliser… C’est fait. Il a fallu ensuite construire toute une infrastructure dédiée aux très nombreux objectifs à atteindre, et faire démarrer la machine, toujours dans ce contexte si particulier. Il faut maintenant trouver un second souffle. Les financements ne sont apparemment pas suffisants (ou non pérennes) et ne semblent pas répondre aux véritables besoins du secteur. L’existence même du CNM semble déranger certains. Son action est parfois critiquée dans les réseaux ou ailleurs. Tout cela est somme toute normal : une jeune structure est forcément fragile. Aussi semble-t-il avisé de laisser du temps au CNM pour se développer et affronter la très grande diversité des tâches qui lui sont attribuées. Au Snac nous garderons toujours un œil vigilant sur son fonctionnement et ne manquerons pas de formuler des critiques le cas échéant mais… chaque chose en son temps. Et sachons saluer aussi les avancées. La mise en place par le CNM d’une « Bourse Auteurs » illustre ces propos : il a fallu beaucoup de mobilisation des organisations de la musique pour contribuer à sa création, elle existe et fonctionne (plutôt bien) depuis peu, a semblé remise en cause un moment puis a été reconduite. Attendons la suite. Est-ce un dispositif parfait ? Peut-être pas, mais ne la mettons pas en danger et continuons à travailler avec l’équipe dévouée qui s’en occupe. Et que dire des réunions du Conseil professionnel ? Conçu comme une sorte de « Parlement de la musique » ce Conseil est une instance au sein de laquelle des débats ont lieu, des décisions sont soumises au vote des membres puis transmises au Conseil d’Administration, lequel statue à son tour. À ce niveau-là également nous manquons de recul pour pouvoir porter un jugement. La parole y circule convenablement, les personnes présentes se respectent, les votes sont transparents, le CNM tient son ordre du jour. Viendra un temps où nous autres, auteurs de la musique, pourrons évaluer à quel point une juste place nous est donnée par le CNM au sein d’un milieu dans lequel nous sommes habitués à être plutôt un « maillon faible ». Attendons encore un peu ? En attendant le navire est à flot. En ce début d’année 2023 souhaitons bon vent au CNM et à ses équipes dont le dévouement est indéniable, et demeurons des partenaires vigilants et constructifs. Pierre-André Athané Crédit de la photo : Marie Baraton. Ce texte est paru dans le Bulletin des Auteurs n° 152 (Janvier 2023).