Une chronique du « Contre-sommet de l’IA : pour un humanisme de notre temps » – Un entretien avec Isabelle Seleskovitch
Actualités Une chronique du « Contre-sommet de l’IA : pour un humanisme de notre temps » – Un entretien avec Isabelle Seleskovitch, adaptatrice pour l’audiovisuel (doublage, sous-titrage) et autrice compositrice interprète (chanteuse, comédienne), représentante du groupement Doublage/ Sous-Titrage/ Audiodescription. Bulletin des Auteurs – Vous avez assisté au « Contre-sommet de l’IA : pour un humanisme de notre temps ». Isabelle Seleskovitch – Oui, qui a eu lieu au Théâtre de la Concorde le même jour que le « Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle » le 10 février 2025. L’initiative en a été prise par le philosophe Éric Sadin, en complicité avec Éric Barbier, journaliste à L’Est républicain. À eux deux, ils ont réussi à relayer au maximum l’annonce de cet événement et à y faire venir le public en grand nombre. Le but clairement affiché était de se mettre en dissidence contre le sommet officiel sur l’IA qui se tenait quelques dizaines de mètres plus loin au Grand Palais. J’ai ressenti dans la salle, qui était comble, une inquiétude généralisée, beaucoup d’anxiété, de questionnements et une recherche de solutions, là où il est encore difficile de poser des bases de réflexion concrètes et claires. En effet, nous sommes face à une (r)évolution numérique en marche, paradoxalement encore un peu balbutiante et en même temps frénétique dans son développement, puisque les technologies liées à l’IA et aux IA génératives évoluent de jour en jour. Pendant la majorité des interventions sur scène, j’ai eu le sentiment d’une grande tension politique et d’une volonté de rébellion vis-à-vis des dirigeants et des législateurs. Sur un ton très revendicatif, Éric Sadin a fait une longue introduction d’ordre didactico-idéologique qui pointait la « doxa », autrement dit l’idéologie qu’on cherche à nous imposer au sujet de l’IA, et qui s’appuie sur des grandes injonctions, notamment l’accélération, c’est-à-dire la nécessité que l’IA s’installe sans plus attendre (ni trop réfléchir) dans nos mœurs et pratiques, et ce dans l’obligation de rattraper notre supposé retard ; ou l’allégation qu’il ne faut pas douter de l’utilité intrinsèque de ce nouvel outil. Il a dénoncé un conflit d’intérêts caractérisé dans la composition du premier comité sur l’IA mis en place pendant le gouvernement d’Élisabeth Borne, avec la présence de certains tenants du développement industriel de ces technologies (Meta, Google, Mistral pour la France). Éric Sadin a donc appelé ce sommet « Contre-Sommet pour un humanisme de notre temps » pour avertir du changement total de paradigme en cours et à venir, et d’une menace très concrète pour notre humanité profonde à terme, au profit d’intérêts économiques ne profitant qu’à quelques-uns. B.A. – Quelle était la composition du public ? I.S. – Assez hétéroclite, des enseignants, des auteurs, des comédiens, un public qui reflétait les catégories socio-professionnelles qui sont touchées en première ligne. Parmi les intervenants sur scène figuraient des journalistes, des représentants syndicaux, des employés de la Poste et de France Travail, donc des fonctionnaires, mais aussi des scénaristes, graphistes, traducteurs ; en somme, des porte-parole de métiers en lien avec l’éducation, la culture et le service public. Les intervenants ont exposé ce qu’ils ont pu observer, dans leurs domaines respectifs, des évolutions induites par ce fait accompli du recours à l’IA, qui a fait irruption dans leur quotidien et dans leurs méthodes de travail, souvent sans qu’ils n’aient rien demandé. En premier lieu, le sociologue Fabien Lebrun, auteur de l’essai Barbarie numérique, a parlé des désastres écologiques et humanitaires liés à l’IA au Congo, avec les conséquences néfastes de l’exploitation du coltan nécessaire à la construction des serveurs (n.b. dans la même ligne et pour approfondir, je recommande le visionnage du documentaire édifiant Les Sacrifiés de l’IA sur France Télévision). Ensuite, le co-organisateur du sommet et journaliste Éric Barbier, également référent IA du Syndicat national des journalistes (SNJ), a alerté sur la publication de contenus éditoriaux conçus avec l’IA, illustrant la problématique avec un visuel comportant des erreurs grossières qui avait été choisi pour la Une d’un magazine de renom ; une employée de France Travail a détaillé les nouvelles mesures d’accompagnement des demandeurs d’emplois, qui substituent des algorithmes aux rendez-vous personnalisés avec votre conseiller, ce qui déshumanise des services conçus pour favoriser l’interaction personnelle, et entraîne des suppressions d’emplois ; des enseignants ont dénoncé l’incitation actuelle du ministère de l’Éducation et des IUFM à se servir de l’IA dans leurs contenus pédagogiques, sans aucune structure ni cadre définis, ce qui favorise le plus grand empirisme et les disparités dans les méthodes mises en place. Les interventions du monde enseignant ont donné lieu à une vraie effervescence et à des protestations appuyées dans la salle. La séance était informelle, et le temps manquait pour laisser la place à des échanges structurés entre public et intervenants, ce qui amenait les gens à intervenir de manière impromptue, passionnée mais parfois intempestive. J’ai pu me rendre compte que les problèmes générés par l’IA ne touchent pas seulement les métiers des artistes-auteurs, mais un large éventail de domaines professionnels, et que nous sommes tous concernés. B.A. – Des artistes-auteurs sont-ils intervenus ? I.S. – Des traductrices issues du domaine de la traduction technique, l’une du collectif En Chair et en Os, l’autre du collectif IA–lerte générale, ont relevé que l’IA intervient pour renforcer des problématiques déjà structurellement présentes depuis longtemps. En l’occurrence, dans ce secteur, les abus de la part des agences de traduction, qui bradent les services des traducteurs freelance. Toutes les contraintes dont ces derniers souffrent déjà, et contre lesquelles ils doivent se battre pour maintenir des conditions de travail décentes, sont aggravées par l’arrivée de l’IA. Ces traductrices ont souligné que devenir vérificateur d’une pré-traduction proposée par l’IA, c’est-à-dire vérifier un travail mal fait, est beaucoup plus long et fastidieux que de mener sa tâche avec ses propres critères de professionnalisme et de créativité. Elles ont préconisé soit le boycott pur et simple de l’IA, soit, si l’usage de l’IA leur est imposé, le sabotage, pour introduire des erreurs dans le matériau même de l’IA. Je suis personnellement réservée sur ce point, car, selon moi, quand on accepte un travail, le principe
Traduire les jeux vidéo – Un entretien avec Maxime Place

Actualités Traduire les jeux vidéo – Un entretien avec Maxime Place, membre du groupement Doublage, Sous-Titrage du Snac, et membre de l’Ataa. Bulletin des Auteurs – Vous traduisez des jeux vidéo. Maxime Place – À côté de mes activités en doublage, sous-titrage et voice-over, je suis en effet adaptateur de jeux vidéo. Je traduis les paroles échangées entre les personnages du jeu vidéo, mais aussi les divers textes qui s’adressent au joueur, à savoir les menus, les tutoriels, des descriptions d’objets, des descriptions de quêtes, qui ajoutent à l’histoire et à la narration la partie ludique du jeu vidéo. Ce qui s’adresse au joueur est souvent écrit : en passant votre souris sur un objet, vous ouvrez l’encart d’une description, qui est du texte brut. Par ailleurs certains jeux vidéo ne se prêtent pas au doublage, ils fonctionnent encore avec des fenêtres de dialogues. Les grosses productions tendent de plus en plus à demander doublage et sous-titrage, mais un budget peut être insuffisant, ou un type de jeu peut ne pas appeler l’usage des voix. On reste alors sur du texte pur. Pour le texte brut, on vous fait traduire le segment que l’on vous confie sur un logiciel qui peut proposer une pré-traduction à partir de sa base de données. Pour le sous-titrage ce sera la même méthode, sauf qu’en jeu vidéo on n’applique pas vraiment les normes en vigueur au cinéma ou dans les séries. Dans le jeu vidéo, très souvent vous n’avez pas l’image, seulement le texte en VO, que vous devez traduire en respectant plus ou moins un nombre de caractères par ligne, ce qui pose des problèmes de lisibilité, si vous avez 120 caractères sur une ligne, ce qui est bien long, ou si 40 caractères sur deux lignes correspondent à 1,20 seconde du jeu, ça rend le tout difficilement lisible et l’on perd la dimension synthétique, voire artistique, du sous-titrage. Pour le doublage existent plusieurs méthodes. Soit on vous demande de faire de la synchronisation audio : vous avez l’extrait audio, sans l’image, quand vous traduisez vous devez rester dans les clous audio. Si le personnage parle durant deux secondes, il faut que lire la traduction prenne deux secondes. Une deuxième méthode est de faire de la traduction en synchronisation labiale, qui aligne les dialogues traduits sur les mouvements des lèvres des personnages, juste à partir de la vidéo, c’est-à-dire à la volée, à vue. Une troisième méthode consiste à faire pré-traduire par un traducteur classique, et ensuite à envoyer cette traduction à des adaptateurs, qui vont légèrement modifier le texte pour l’adapter à une bande rythmo. Il existe probablement une poignée de studios qui travaillent directement sur rythmo, comme en doublage, mais c’est une pratique assez marginale. Le choix entre ces différentes méthodes est une affaire de budget et de coût. Payer la traduction d’un texte de 6 à 8 centimes le mot, puis une adaptation à 15 euros la minute, cela revient moins cher que payer 30 euros la minute à un auteur de doublage, qui travaille directement sur la bande rythmo. B.A. – En jeu vidéo, comment s’organise la traduction ? M.P. – Suivant les jeux il y a un nombre immense de mots à traduire, qui peut dépasser le million. Comme nous sommes dans une industrie où tout doit être fait très vite, on divise cette somme de mots en segments de cinq, dix, quinze, vingt mille mots, qu’on distribue à différents traducteurs. L’utilisation du logiciel évite d’avoir à établir une gigantesque « bible », même si on le fait quand même parfois par précaution. B.A. – Qu’est-ce que la « bible » ? M.P. – La « bible », en jeu vidéo comme en doublage ou en sous-titrage, est un document qui va regrouper plein d’informations sur l’univers du jeu, vous y trouvez un trombinoscope qui déroule un panorama des personnages, leur nom, leur rôle, un tableau des « Tu » et des « Vous », afin de savoir quels personnages se vouvoient ou se tutoient, un glossaire détaillé du jeu, des informations sur le contexte, etc. Ainsi, si vous arrivez sur un projet qui a déjà publié une ou des saisons, ou qui demande une mise à jour, vous n’êtes pas perdu.e. B.A. – Comment s’articule votre travail avec l’utilisation du logiciel ? M.P. – Grâce au logiciel, et à son glossaire intégré, vous pouvez aller voir le travail du collègue, comment est-ce qu’il a traduit ce terme. Le logiciel construit ainsi une base de données, et est en mesure de proposer parfois des pré-traductions, sur la base de vos propres traductions précédentes et des traductions précédentes de vos collègues. Parfois en effet, vous pouvez avoir les mêmes mots, voire les mêmes fragments de segments, qui reviennent dans le jeu. Mettons que dans le jeu vous ayez dix vendeurs, chaque vendeur va dire : « Bonjour Voyageur, comment allez-vous ? », ce fragment de segment va donc apparaître dix fois, et la pré-traduction va vous être proposée dix fois. Le souci, c’est qu’en tant que traducteurs/ auteurs, on ne va pas se contenter de traduire cette phrase de la même façon à chaque fois, on va forcément trouver des variations qui colleront plus au contexte ou aux personnages. Si le logiciel détecte que le segment que vous traduisez est semblable par exemple à 80 % à un segment préalablement traduit, et vous en propose une pré-traduction, dans votre rémunération ce segment vous sera par exemple payé 30 % en moins de votre tarif parce que vous avez bénéficié d’une pré-traduction. C’est ce fameux système de « fuzzy grid » qui est hérité de la traduction pragmatique (juridique, technique, médicale…), et qui est une aberration en traduction de jeux vidéo, où l’on s’efforce de retravailler la pré-traduction le plus possible, pour créer une vraie immersion dans le jeu, et pas simplement un copier-coller prémâché et répétitif. En jeu vidéo, contrairement au cinéma ou aux séries, on travaille souvent sur un projet qui n’est pas terminé. S’il n’y a pas d’images ni de bible de développement, énormément
Pacte d’engagement éthique

Actualités Le pacte d’engagement éthique Un « Pacte d’engagement éthique pour une accessibilité universelle et pour un travail créatif d’auteurs, d’autrices et d’artistes interprètes » a été signé par les organisations suivantes : L’ATAA (Association des Traducteurs/Adaptateurs de l’Audiovisuel) L’association Les Voix.fr Le SFA (Syndicat Français des Artistes interprètes) Le SNAC (Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs) Le SNTPCT : Syndicat National des Techniciens et Travailleurs de la Production Cinématographique et de Télévision (av) L’UNAC : Union Nationale des Auteurs et Compositeurs L’UPAD (Union Professionnelle des Auteurs de Doublage) Lire le pacte
L’IA abîme l’image de notre métier – Un entretien avec un traducteur audiovisuel

Actualités L’IA abîme l’image de notre métier – Un entretien avec un traducteur audiovisuel Bulletin des Auteurs – L’IA menace-t-elle votre métier ? Un traducteur audiovisuel – La banque d’affaires Goldman Sachs a publié un rapport voici quelques mois sur l’IA, où il est démontré que l’IA est une bulle qui va éclater parce qu’il n’y a pas d’argent à gagner. Pour moi, l’IA c’est un peu comme les fansubbers, dont tout le monde parlait il y a dix ou quinze ans, les bénévoles qui écrivaient les sous-titres gratuitement pour traduire des œuvres piratées. Ces fansubbers ne présentaient pas une menace réelle pour les auteur.e.s professionnel.le.s de sous-titres, car ils n’avaient aucune compétence en traduction. Mais ils présentaient une menace en termes d’image, en instillant l’idée que n’importe qui peut créer des sous-titres, ce qui tendait à dévaloriser notre métier. Là, c’est pareil : dès que l’on dit : « J’écris des sous-titres », on s’entend répondre : « Ah oui ! Eh bien ce sera bientôt fait par les ordinateurs. » Les gens répètent ce qu’ils ont entendu, mais qui est complètement faux. Les systèmes de traduction automatique en sous-titrage produisent de la bouillie. En effet, ils ne font pas de la traduction, mais de la corrélation statistique. La traduction, c’est transmettre le sens. Or une machine ne comprend pas le sens, elle ne comprend rien, elle décide seulement qu’après ce mot-ci il y a de fortes chances que vienne ce mot-là. Par l’augmentation de leur puissance, les machines sont désormais capables d’établir des corrélations au sein d’immenses champs de données. Malgré tout, un humain doit passer derrière, c’est le Turc mécanique qui joue aux échecs : il y a un humain, caché dans la machine, qui actionne la main de l’automate. Mais aujourd’hui, les sociétés qui produisent les processeurs chutent en bourse parce que les scientifiques commencent à expliquer que ces méthodes de corrélation statistique ont des limites, intrinsèques, renforcées par le fait qu’elles produisent de mauvaises traductions, dont ensuite elles s’alimentent. Les algorithmes s’enfoncent ainsi dans l’erreur. À ce titre, les fameuses « démonstrations » des performances de l’IA, qu’on trouve sur les sites des vendeurs d’IA, sont trompeuses, l’humain est repassé derrière, et personne ne sait combien de temps a été passé à corriger la machine. L’enjeu est uniquement de faire du business, il s’agit de créer le buzz et d’impressionner, pour vendre. B. A. – Les sociétés avec lesquelles vous travaillez ne commencent-elles pas à vous imposer un travail de « post-édition » ? T. A. – Certains sous-titres que l’on voit sur des plateformes ont été produits par une machine et un humain est repassé rapidement derrière. Le résultat est très mauvais. Le plus grave, c’est que des universités, des master pro, se mettent à dire à leurs étudiants : « C’est merveilleux, on va vous former pour l’avenir, vous serez post-éditeurs. » Cela donne une idée du niveau de sérieux de ces formations universitaires. Pour beaucoup d’universités, ce qu’il faut, c’est être à la pointe de ce qui semble être la modernité pour donner l’idée à la hiérarchie qu’on est de son temps et attirer les étudiants. Cela ne les dérange pas de former des Bac + 5 qui ne seront que des perroquets. B. A. – C’est un modèle qui pourrait alors s’imposer. T. A. – Peut-être, mais il ne s’imposerait pas parce qu’il est efficace, ou performant, ou même pertinent économiquement parlant, car l’économie de coût qu’il pourrait permettre équivaut inévitablement à un sous-titrage au rabais. Je ne sais même pas si cela revient vraiment moins cher, et on se retrouve avec un produit inutilisable. Posons donc la vraie question : quand on dépense de l’argent, a-t-on envie d’obtenir un bon sous-titrage, ou un mauvais sous-titrage ? Le problème n’est donc pas que l’on a inventé des machines merveilleuses qui vont remplacer les gens. Le problème, c’est que les vendeurs d’IA commercialisent du vent, du vaporware, mais risquent de réussir à convaincre une part du public que la traduction c’est fini, au profit de la traduction automatique et d’une post-édition. B. A. – Les entreprises avec lesquelles vous travaillez font-elles pression pour que vous adoptiez ce système ? T. A. – Pas les sociétés basées en France. Pour certaines plateformes, c’est autre chose, dans la mesure où elles ont des prestataires globaux auxquels elles ont donné tout pouvoir et dont elles contrôlent très mal les méthodes. La corrélation statistique à grande échelle peut être efficace dans certains domaines, dans les sciences dures, en chimie, en physique, pour faire des simulations de matériaux, c’est très utile. Ces applications permettent d’économiser un temps énorme et sont donc efficientes, mais dans un champ extrêmement réduit et précis. Mais entraîner l’IA à accomplir une tâche, même dans un champ limité, est d’un coût très élevé, consomme des quantités d’électricité invraisemblables, et c’est pour cela que Goldman Sachs souligne qu’entre ce qu’on peut vendre avec l’IA et le coût de développement, il n’y a aucune logique économique. Bien sûr que l’IA est inquiétante, mais avant tout parce qu’elle dévalorise nos métiers. Il faut se méfier des gens qui ont un intérêt économique à vous raconter des sornettes. Or ce sont les seuls à faire la promotion de l’IA en traduction.
Le Pacte d’engagement éthique pour une accessibilité universelle – Un entretien avec Frédéric Gonant et Tatiana Taburno

Actualités Le Pacte d’engagement éthique pour une accessibilité universelle – Un entretien avec Frédéric Gonant et Tatiana Taburno, audiodescripteurs•rices, représentants•tes du groupement Doublage/ Sous-Titrage/ Audiodescription. Bulletin des Auteurs – Comment s’est imposée l’idée du Pacte ? Frédéric Gonant – En sept ans, les tarifs d’auteurs d’audiodescription ont diminué de 60 % et nous sommes devenus corvéables à merci. Les délais entre la commande et la livraison du texte rétrécissent et les conditions de travail partent à vau-l’eau (film en cours de finition, copie image de mauvaise qualité, absence de traduction, enregistrement en home studio sans aucune compensation…) Cette dégradation nous fait perdre le sens de notre travail et ressemble à la mise en place d’un terreau pour que s’implante l’intelligence artificielle générative (IAg). La goutte d’eau a été la volonté de certains commanditaires de vouloir nous contraindre à travailler sur des logiciels en ligne. Il n’est pas envisageable de participer à ce passage en force sans le dénoncer et sans se battre. Il nous faut dialoguer avec les commanditaires intermédiaires que sont les laboratoires et, pour cela, il est indispensable de se solidariser et d’équilibrer le rapport de force. La qualité d’une partie de la post-production cinématographique est en danger. Tatiana Taburno – L’arrivée de l’IA se produit en parallèle de la détérioration de nos conditions de travail. Nous sommes partis du constat d’une situation très spécifique à notre profession d’audio descripteurs et d’audio descriptrices, et nous nous sommes attachés à questionner en premier lieu le pourquoi et le sens même de notre métier. Le terme accessibilité est lié dans l’imaginaire collectif au handicap, or la définition d’accessibilité est avant tout : « la possibilité d’avoir accès à ». Avoir accès à une œuvre n’a pas nécessairement à voir avec le handicap. Prenons un simple exemple : la plupart des œuvres audiovisuelles ne sont pas en langue française. Elles ne sont donc pas accessibles. Une œuvre existe-t-elle si elle n’est pas transmise et diffusée ? Elle n’existe que si elle est accessible. Si nous nous fondons sur cette idée d’une accessibilité universelle, nous nous dégageons de ce filtre du handicap pour englober à niveau égal toutes les formes d’adaptation. Nous touchons ainsi la grande majorité des personnes qui, pour « x » raisons, n’ont pas accès à une œuvre. Nous nous adressons aux personnes empêchées de comprendre(lorsque l’on ne maîtrise pas une langue étrangère), de voir ou d’entendre. B. A. – Le Pacte rassemble de multiples professions : auteurs de doublage et de sous-titrage, audio descripteurs, artistes-interprètes, traducteurs, directeurs artistiques, ingénieurs du son… Quel a été le cheminement de ce Pacte ? Frédéric Gonant – Notre métier fait le lien entre l’écriture et l’interprétation, car nous écrivons pour que notre audiodescription soit lue. Nous faisons partie des métiers de l’ombre du cinéma, comme les traducteurs, les doubleurs… Tatiana Taburno – Les adaptations revêtent un rôle clef, indispensable à la circulation des œuvres audiovisuelles dont les auteurs, autrices et artistes-interprètes sont les passeurs. Cette accessibilité concerne autant le doublage, le sous-titrage multilingue, la voice-over, que l’audiodescription, le sous-titrage pour sourds et malentendants, toutes ces versions qui rendent accessible une grande richesse audiovisuelle. Il est évident que nous devons nous rassembler. Nous sommes tous et toutes auteurs et autrices de nos œuvres, qui sont des œuvres dérivées, adaptées des œuvres originales. Elles doivent être considérées à leur juste valeur. Les auteurs, les interprètes, les ingénieurs du son, les directeurs artistiques… Nous travaillons de concert. Frédéric Gonant – De tradition, dans le secteur audiovisuel, que ce soit pour les traducteurs-adaptateurs ou les auteurs d’audiodescriptions ; il n’existe que très rarement des contrats. Nous travaillons en confiance. La confiance d’hier, avec, entre autres, des commandes en direct, n’est plus du tout la même avec les laboratoires intermédiaires d’aujourd’hui. Ces intermédiaires exercent des pressions (sous couvert de leurs clients ou de la concurrence…) et la transparence n’est plus au rendez-vous. Notre travail d’audiodescription est régulièrement revendu sans notre accord et sans contrepartie. L’arrivée de l’intelligence artificielle dans ce secteur non protégé nous fragilise encore plus. Rappelons que travailler en ligne, revient à donner tous nos brouillons. Tatiana Taburno – Les « machines » auxquelles nous donnons nos brouillons apprennent également, via le travail en ligne, notre processus d’écriture. D’ailleurs, dire qu’elles apprennent est un abus de langage. Elles ingurgitent. La plupart du temps, nos interlocuteurs directs sont les laboratoires, qui sont des intermédiaires, et ils ont leur part à jouer quant aux conditions de travail qui nous sont imposées. Nous souhaiterions une plus grande transparence avec nos interlocuteurs directs, les laboratoires, et indirects, lesproducteurs et distributeurs. Frédéric Gonant – La fragilité dans laquelle nous nous trouvons et d’autant plus grande qu’aucun organisme de gestion collective (OGC) ne nous prend en charge. Malgré nos demandes légitimes depuis plus de vingt ans, si personne ne remet en doute notre travail d’auteur, aucune OGC ne gère nos droits d’auteur, ce qui nous empêche de protéger nos textes. Tatiana Taburno – Nous attendons une reconnaissance, une prise en charge… Nous espérons que le dialogue va se rouvrir, au moment où la question de la propriété intellectuelle et de l’autorialité est posée par l’utilisation de l’IAg. B. A. – Comment avez-vous construit le texte du Pacte ? Tatiana Taburno – Nous avons écrit une première mouture que nous avons proposée aux différentes organisations (notamment les associations Ataa, Upad, et Les Voixet le Syndicat français des artistes-interprètes (SFA), qui ont contribué au texte final et commun. Ce Pacte est une ligne commune. Un pacte, ce sont des mains qui se serrent. C’est un appel à être entendus, reconnus. Il s’adresse aux différents acteurs de la chaîne de production, de post-production et de distribution, mais également aux pouvoirs publics (notamment le ministère de la Culture, le CNC et l’Arcom) et aux publics regroupés en associations. Le Pacte encourage un triple engagement : respecter l’œuvre, respecter les personnes qui ont travaillé pour son accessibilité, respecter les personnes qui sont destinataires de l’œuvre. B. A. – L’intelligence artificielle menace le sens de vos
Une entrée collective des audiodescriptrices et audiodescripteurs au Snac – Un entretien avec Dune Cherville, Cécile Mathias, Tatiana Taburno, audiodescriptrices, et Ouiza Ouyed, relectrice d’audiodescriptions.

Actualités Une entrée collective des audiodescriptrices et audiodescripteurs au Snac – Un entretien avec Dune Cherville, Cécile Mathias, Tatiana Taburno, audiodescriptrices, et Ouiza Ouyed, relectrice d’audiodescriptions. Photographie de Dune Cheville. Crédit : Karoll Petit / Hans Lucas. Photographie de Cécile Mathias. Crédit : Lewis Wingrove. Photographie de Ouiza Ouyed. Crédit : Katia Lutzkanof. Photographie de Tatiana Taburno. Crédit : Antonio Cinefra. Durant l’été, le Snac a observé une adhésion importante et collective des autrices et auteurs d’audiodescription. Nous avons demandé à quatre d’entre elles quelle a été la genèse de ce mouvement. Dune Cheville est audiodescriptrice et « voix », c’est-à-dire artiste interprète d’audiodescriptions, depuis une vingtaine d’années ; Cécile Mathias est autrice d’audiodescriptions depuis 2018 et traductrice FALC (Facile à Lire et à Comprendre) ; Ouiza Ouyed est relectrice non-voyante d’audiodescriptions depuis 2003 ; Tatiana Taburno est interprète et, depuis quatre ans, autrice de sous-titrages et d’audiodescriptions. * Bulletin des Auteurs – Le Snac salue cette entrée importante et collective des audiodescriptrices et audiodescripteurs. Dune Cherville – Des audiodescripteurs, comme Laurent Mantel ou Héloïse Chouraqui, adhéraient déjà au Snac, et pouvaient nous conseiller sur un plan juridique. Nous menons avec eux notre combat pour que les audiodescripteurs puissent bénéficier des droits de diffusion, qui nous sont jusqu’à présent refusés, bien que nos audiodescriptions passent et repassent sur les chaînes de télévision. Nous étions déjà persuadé·e·s de l’importance d’être syndiqué·e·s, un événement récent a fait que nous avons besoin d’être réuni·e·s collectivement sous l’égide du Snac. Bulletin des Auteurs – Pouvons-nous rappeler en quoi consiste l’audiodescription ? Dune Cherville – C’est un procédé technique né aux États-Unis à la fin des années 1980, qui commence à s’imposer en France, notamment parce que depuis le 1er janvier 2021, tous les films qui ont l’agrément CNC, soit 350 films par an, ont l’obligation d’avoir la piste audiodescription et le sous-titrage SME (Sourds et Malentendants). C’est un métier d’auteur, d’écriture. Nous sommes des traducteurs d’images. Nous partons d’une page blanche et traduisons des images au fur et à mesure que le film se déroule, en prenant bien en compte l’architecture sonore du film, pour laisser les reliefs des bruitages, de la musique, laisser vivre les silences, les dialogues. Nous nous insérons de manière discrète, mais essentielle, puisque nombre de films seraient inaccessibles sans l’audiodescription. Une minute de film représente une heure de travail. Notre texte n’est pas fait pour être lu, mais entendu. Un comédien va donc interpréter, dans un deuxième temps, le texte, dont l’enregistrement va être mixé avec la bande-son du film, en studio, par un ingénieur du son. Cécile Mathias – Nous ne devons pas interpréter, mais nous devons analyser et traduire le message du metteur en scène. Chaque film est différent, notre travail n’est pas mécanique, c’est un travail d’orfèvre. Ouiza Ouyed – Je relis de nombreux auteurs, chacun a sa manière d’écrire, c’est un travail d’analyse en effet, et d’immersion dans l’œuvre cinématographique, vivante ou muséale. Tatiana Taburno – C’est une traduction sensible. On ne peut pas totalement se défaire d’une part de subjectivité. Nous sommes spectateurs·rices, individuellement, d’une œuvre originale et nous allons par la suite donner à voir et à interpréter, mais on ne doit aucunement imposer une interprétation. Il ne s’agit pas d’une explication. Donner à voir signifie dans ce cas permettre à chacun de laisser jouer son imaginaire pour développer un avis et un ressenti qui lui est propre, à partir de l’œuvre originale, de la même façon que trois voyants·es iront voir un même film, au même horaire, dans la même salle de cinéma et n’auront pas le même ressenti. Dune Cherville – Il y a une phrase très belle, d’une cinéaste aveugle, qui dit : « L’audiodescription, c’est comment par les yeux d’un autre, et surtout par les mots d’un autre, des images s’animent sur l’écran de mon regard intérieur. » Cécile Mathias – La dernière étape, c’est avec Ouiza, et d’autres personnes comme elle. Ouiza Ouyed – Je ne représente personne, mais un métier, oui, celui de la relecture. Nous, relecteurs aveugles, notre rôle est de vérifier avec l’auteur la fluidité de l’écriture, le sens, et justement que cette transmission des images, de l’intrigue, des émotions, des rires, des pleurs, soit bien sensible et cohérente, et que ce visionnage soit riche pour tout le monde, sachant que le public des non-voyants ou des malvoyants est un public aussi varié que celui des gens qui voient clair. L’audiodescription doit se fondre dans l’œuvre cinématographique sans la trahir. Tatiana Taburno – Cet aspect collaboratif et artisanal est fondamental et doit être préservé. Bulletin des Auteurs – Quel est l’événement qui menace désormais vos métiers ? Tatiana Taburno – Ce qu’il se passe a trait à l’intelligence artificielle générative et va bien au-delà de l’audiodescription. Nous sommes confronté·e·s à l’arrivée de nouveaux outils connectés et basés sur l’IA. Ces outils sont développés sur le principe des logiciels de doublage et sont amenés, in fine, à nous remplacer. Ils fonctionnent selon une architecture complexe et puissante d’algorithmes qui eux-mêmes sont nourris par la créativité humaine. Se pose donc nécessairement la question de l’éthique, de la dimension créative, de la propriété intellectuelle, des droits d’auteur, puisque nous sommes auteurs·rices d’une œuvre originale, bien qu’elle-même dérivée d’une première œuvre originale. Intégrer nos textes dans ces logiciels connectés et basés sur l’IA revient à nourrir la bête, en somme. Via ces algorithmes, les logiciels vont emmagasiner une mémoire colossale et l’IA pourra opérer une mise en lien de toutes ces données, mais une mise en lien dénuée de sensibilité. Il s’agit de mettre en garde contre cette perte de sensibilité et alerter sur un risque majeur pour nos métiers. Les auteurs·rices se transformeraient en correcteurs-exécutants de machines. Le gain de temps n’est absolument pas garanti. Une correction en bonne et due forme peut prendre autant de temps qu’une écriture originale et la liberté de création s’en retrouve biaisée. Par ailleurs, quid du statut d’auteur·ice, du rôle des relecteurs·rices, des ingénieurs du son et des comédiens·ne·s qui pourraient être remplacé·e·s par des voix de synthèse si aucun cadre législatif ne s’impose ? De nombreuses réactions voient le jour au sein d’organisations professionnelles, de
Les dangers de l’intelligence artificielle dans le domaine de la traduction – Un entretien avec Jonathan Seror, juriste de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF)

Actualités Les dangers de l’intelligence artificielle dans le domaine de la traduction – Un entretien avec Jonathan Seror, juriste de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) L’ATLF et l’Association pour la promotion de la traduction littéraire [Atlas] publient une Tribune intitulée : « IA et traduction littéraire : les traductrices et traducteurs exigent la transparence », qui alerte sur les dangers imminents de l’intelligence artificielle dans le domaine de la traduction. Bulletin des Auteurs – Qu’est-ce que la « traduction automatique » ? Jonathan Seror – C’est la « transcription » d’un texte d’une langue source vers une langue cible, réalisée par un programme informatique. Le logiciel va utiliser un algorithme qui analyse une quantité colossale de traductions humaines déjà existantes lui permettant d’établir des correspondances entre des corpus de textes écrits dans plusieurs langues pour reproduire in fine des mots, des phrases, parfois des paragraphes, sur une base statistique. La machine se contentant d’ingurgiter et de régurgiter des fragments de textes sans en comprendre le sens, la plupart des traducteurs récusent le terme de traduction et préfèrent parler de transcodage ou de sortie machine (pour mettre en avant l’aspect informatisé et l’absence de pensée de la mal nommée « intelligence » artificielle) ou encore de pré-traduction (ce qui suppose l’intervention ultérieure d’un « vrai » traducteur). B. A. – Où en est aujourd’hui l’édition dans le domaine de la traduction automatique ? J. S. – L’ATLF a mené une étude auprès de ses adhérents dès la fin 2022. Sur un échantillon d’environ 500 traductrices et traducteurs, il apparaît que le recours à la traduction automatique demeure aujourd’hui extrêmement marginal dans ce secteur. Pour l’instant les éditeurs français ne revendiquent pas officiellement l’utilisation de la traduction automatique pour publier de la littérature étrangère. De l’autre côté, on sent une grande réticence du côté des traducteurs face à l’éventualité de cette pratique. Cependant, les quelques cas qui ont été remontés nous amènent à nous poser cette question : pourquoi un éditeur ferait-il appel à la traduction automatique ? La réponse est évidente : de son point de vue, ce serait pour réduire les coûts et gagner du temps. B. A. – Quels sont les questions que soulèverait la traduction automatique ? J. S. – Sur le plan juridique, le traducteur est un auteur. Il crée une œuvre de l’esprit originale, même si elle est dérivée d’une œuvre première. Ainsi à partir d’un même texte, chaque traducteur créera une œuvre différente selon sa sensibilité, sa voix ou son style. On peut dire qu’il y a autant de traductions qu’il y a de traducteurs. Pour en revenir à la traduction générée par la machine, on distingue souvent en matière de droit d’auteur l’amont de l’aval. L’amont interroge la manière dont a été nourrie la machine. L’aval s’attache au texte généré par la machine. En amont, les algorithmes d’une traduction automatique se nourrissent du « Big data », des « données massives », à travers le « Deep Learning », l’« apprentissage profond ». Les algorithmes vont ingurgiter une quantité colossale de textes, souvent accessibles en ligne, afin de pouvoir potentiellement les reproduire. Se pose alors la première question : Quels sont les textes qui nourrissent la machine ? S’il s’agit de textes protégés par le droit d’auteur, et que la machine reproduit de manière fragmentée des traductions préexistantes, le droit d’auteur des créateurs de ces traductions préexistantes est violé. Le problème est que les auteurs de traduction ignorent potentiellement l’appropriation de leurs créations par une machine. En outre, compte tenu du processus de retranscription parcellaire par l’IA, il est quasiment impossible de démontrer une contrefaçon (bien que cette violation du droit d’auteur s’apprécie au regard des ressemblances entre les textes, et non des différences). C’est pourquoi une transparence de la part des développeurs sur la matière qui est donnée à la machine permettrait de tracer de telles utilisations. C’est d’ailleurs ce que demandent les organisations d’auteurs au niveau européen dans le cadre de la proposition de règlement sur l’IA. Dans ce contexte, la crainte est d’autant plus renforcée qu’en droit français a été introduite une énième exception au droit d’auteur suite à la transposition des articles 3 et 4 de la Directive européenne 2019/790 relative au droit d’auteur : « l’exception de fouille de textes et de données », « Text and Data Mining » prévue par les article L122-5et L122-5-3 du CPI, qui permettrait d’ingurgiter des textes sans demander l’autorisation des auteurs, lesquels ne pourraient qu’opposer un « opt-out » que l’on sait aujourd’hui impossible à mettre en œuvre. Cette exception est encore récente mais la première crainte des traducteurs est de se dire qu’à terme ils contribueront, sans le savoir et par la spoliation de leur création, à nourrir l’IA. En aval, nous avons un texte généré par l’ordinateur, qui à ce jour n’est généralement pas exploitable en l’état du fait de la syntaxe et des erreurs de sens, sans parler de l’absence de construction littéraire. Pour obtenir un texte de qualité publiable, il faut donc faire intervenir un traducteur sur la sortie machine, dans un travail qualifié de « post-édition ». Quel serait alors le statut du traducteur ? Son rôle se limiterait-il à corriger les erreurs et les fautes orthographiques, grammaticales et syntaxiques du texte issu de la traduction automatique, auquel cas il ne serait plus qu’un prestataire de services et perdrait de ce fait sa qualité d’auteur ? Ou devrait-il effectuer un vrai travail de réécriture, devrait-il retraduire, et donc réaliser une création originale, même partielle ? Le curseur est délicat à placer et il y a fort à parier que l’éditeur et le traducteur n’auront pas la même vision des choses. B. A. – Le recours à l’IA et à la post-édition entraîne-t-il réellement un gain de temps ? J. S. – Il n’est absolument pas démontré qu’une réécriture à partir d’un texte issu de la traduction automatique générerait un gain de temps puisque le traducteur, au lieu de travailler sur un seul texte (à savoir la version originale) devrait travailler à partir de deux textes, la version originale et le texte issu de la traduction automatique. Ce va-et-vient permanent entre la version originale, la sortie machine et le texte final prend plus de temps qu’on ne le pense. Qui plus est, sur un plan littéraire, nombre de traducteurs pointent l’appauvrissement de la créativité dans ce processus laborieux : la
Quand les auteurs sont mobilisés, ça marche ! – Un entretien avec Emmanuel de Rengervé, délégué général du Snac

Actualités Quand les auteurs sont mobilisés, ça marche ! – Un entretien avec Emmanuel de Rengervé, délégué général du Snac Bulletin des Auteurs – Les auteurs de Doublage / Sous-Titrage se sont mobilisés pour valoriser leur rémunération au sein des entreprises du secteur. Emmanuel de Rengervé – Les organisations professionnelles, Snac, Ataa, Upad, ont publié en novembre 2021 les préconisations de rémunération pour les auteurs du secteur, car il n’y avait pas eu de revalorisation de ces rémunérations depuis les années 1990. Les auteurs ont constaté que ces préconisations n’entraînaient pas, dans les entreprises, de changement de leur rémunération. 2022 a été une année d’inflation et de tension pour tous les Français, et pour les auteurs. Au sein de certaines entreprises ont commencé à émerger des discussions entre auteurs, qui ont estimé que cette situation était inacceptable. Des courriers, émanant de collectifs d’auteurs de différentes entreprises, ont été adressés, d’abord au sein des entreprises les plus importantes, comme Dubbing Brothers, qui représente plus de la moitié du marché du doublage, où plus de deux cents auteurs ont signé une telle lettre ouverte. La mobilisation n’a pas été traitée de façon anormale par les entreprises. Un rendez-vous a été pris avant l’été 2022 avec Dubbing Brothers pour discuter des termes du courrier, et pour envisager de revaloriser la rémunération des auteurs. Le tarif, qui était depuis plus de trente ans à 221 euros la bobine, soit l’équivalent de dix minutes, a été porté à 250 euros. Une nouvelle valorisation a eu lieu à la fin de l’année 2022. Nous sommes maintenant, dans cette entreprise, à un tarif systématique de 275 euros la bobine, augmenté de 25 % en cas de « rush », quand on demande à un auteur de travailler dans l’urgence pour satisfaire un client. Par ailleurs, le fait d’accomplir certaines tâches techniques, liées à l’adaptation, doit être payé en sus, alors que jusqu’alors ces tâches n’étaient pas payées. L’exemple de Dubbing Brothers a permis que s’établisse le même type de relations dans d’autres entreprises, avec plus ou moins de succès, mais les sociétés Eva-Local-is-action, Libra Film, Nice Fellow Kayenta Production (NFKP), Chinkel, Hiventy, Iyuno, ont suivi le mouvement, avec certes des différences dans la valorisation. La hausse des tarifs a été de 15 % à 25 % selon les entreprises. Le secteur du doublage a été principalement concerné, mais quelques demandes ont été faites dans le secteur du sous-titrage, avec moins de succès, certainement parce que la situation y est très différente en termes de volume de travail, et de besoin d’auteurs. Dans le domaine du doublage, les entreprises manquent d’auteurs disponibles pour satisfaire le marché. Les collectifs d’auteurs ont amplifié le travail des organisations professionnelles, qui avaient préconisé des tarifs, à 33 euros la minute en télévision, et 44 euros la minute pour les films qui sortent en salle. Là, nous allons arriver à 29 euros la minute dans les entreprises les plus importantes. C’est un mouvement très positif, pour lequel il faut saluer les auteurs qui ont consacré leur temps à défendre les intérêts collectifs. Quand les auteurs sont mobilisés, ça marche ! Crédit de la photo d’Emmanuel de Rengervé : Snac. Cet entretien est paru dans le Bulletin des Auteurs n° 152 (Janvier 2023)
Une rencontre avec la Ficam – Un entretien avec Stéphanie Penot–Lenoir et Estelle Renard, traductrices-adaptatrices, membres de l’Ataa et du Snac

Actualités Une rencontre avec la Ficam – Un entretien avec Stéphanie Penot–Lenoir et Estelle Renard, traductrices-adaptatrices, membres de l’Ataa et du Snac Crédit photo de Stéphanie Penot-Lenoir : Stéphanie Penot-Lenoir. Crédit photo d’Estelle Renard : Jean-Baptiste Duchenne. Bulletin des Auteurs – L’Ataa a pris l’initiative de rencontrer la Ficam le 16 novembre dernier. Stéphanie Penot–Lenoir – Depuis plusieurs années les auteurs se plaignent de leurs conditions de travail, avec une baisse des tarifs, une pression sur les délais, une multiplication des tâches annexes à l’adaptation sans ajustement de la rémunération. Depuis un an, des auteurs se sont regroupés en collectifs et sont allés frapper à la porte de certains prestataires, en premier Dubbing Brothers, qui est en France le numéro Un du secteur, et dont les tarifs n’avaient pas augmenté depuis vingt-deux ans. Six ou sept négociations avec d’autres prestataires sont en cours ou ont abouti dans le doublage, d’autres actions sont menées en sous-titrage. Pour capitaliser sur ces actions et la dynamique du dialogue qui s’est engagé, mais aussi pour aller plus loin en tant qu’organisation professionnelle, nous avons voulu réouvrir le dialogue avec la Ficam. Une charte des bons usages avait été signée sous l’égide du CNC en 2011, qui prévoyait des réunions tripartites régulières, au moins annuelles. Malgré les sollicitations de l’Ataa et du Snac en ce sens, ces réunions n’ont jamais eu lieu. Certains éléments de la charte ont été appliqués, d’autres pas du tout. Le CNC n’a jamais répondu à nos demandes réitérées. Estelle Renard – Lors de cette rencontre informelle de l’Ataa avec la Ficam, qui avait pour but de prendre la température, de voir comment nous pouvons faire appliquer ce qui est dans la charte, nous avons eu la bonne surprise de voir, aux côtés des interlocuteurs de la Ficam, que des prestataires très implantés dans le marché, membres de la Ficam, avaient souhaité être présents. Cela témoignait sans doute d’une certaine crainte de leur part, face aux lettres qu’ils avaient reçues, signées par les trois quarts de leurs auteurs. Mais c’est surtout un signe fort que les auteurs sont aujourd’hui davantage entendus et considérés, et que les prestataires sont prêts à travailler avec nous. La Ficam a d’emblée écarté l’hypothèse de négociations tarifaires collectives, qui pourraient, selon elle, être interprétées comme une entente illicite, dans un secteur où la concurrence doit pouvoir s’exercer librement. Les discussions devaient contribuer à améliorer les relations auteurs/ prestataires, à assainir le marché et à trouver ensemble les voies qui permettent d’éviter ce type de frondes et de réclamations, mais l’écriture d’une grille tarifaire était pour eux hors de question. B. A. – Que pensez-vous de ce discours ? S. P.-L. – C’est un point qui me semble discutable. Les perspectives peuvent évoluer avec récemment des signes encourageants au plan national et européen, notamment la Directive européenne de 2019 et tout le travail que fait l’Association européenne des traducteurs audiovisuels (AVTE). Mais pour l’instant nos discussions avec la Ficam doivent rester à un autre niveau. E.R. – Nous avons abordé la question des tâches annexes, qui se sont multipliées depuis l’arrivée des plateformes. L’idée est de réfléchir à une grille de ces tâches annexes, non pour les tarifier, mais dans un premier temps pour séparer ce qui ressortit au travail de l’adaptation et donc est compris dans la prime de commande, des éléments périphériques, qui devraient donner lieu à une discussion parallèle pour délai et rémunération supplémentaires. B. A. – Quelles sont ces tâches annexes ? S. P.-L. – On nous fait remplir des tableaux, avec des glossaires, des descriptions de personnages, des résumés, destinés on ne sait pas à quoi, sans doute pas forcément utilisés, mais qui nous prennent un temps fou, qui n’avaient pas été convenus dans le cadre de la prime de commande, et qui nous sont parfois demandés deux, quatre, six mois après que nous avons rendu notre adaptation, ce qui nous oblige à nous replonger dans le projet, que nous n’avons plus aussi bien en tête. B. A. – D’autres points ont été abordés ? E.R. – La charte de 2011 prévoyait l’utilisation d’un modèle d’accusé de réception de commande, qui n’est pas employé. Nous souhaitons travailler à un modèle de contrat de commande avec la Ficam et avec les commanditaires. Actuellement, nous signons un contrat avec nos prestataires, dont les conditions leur sont imposées, selon eux, par les commanditaires. Les trois parties, auteurs, prestataires et commanditaires, devraient s’asseoir autour de la table, avec le CNC s’il acceptait de nous accompagner, afin de bâtir une trame assez encadrante et contraignante pour être avalisée par des commanditaires anglo-saxons ou nord-américains, et assez souple pour être utilisée largement. S. P.-L. – Nous comprenons en effet de ces échanges que les auteurs ont tout intérêt à affirmer les conditions dans lesquelles ils souhaitent travailler clairement et d’une même voix, afin de redéfinir les règles du marché et que les prestataires puissent s’en faire le relais auprès des commanditaires. B. A. – Un calendrier a-t-il été mis en place pour un suivi de cette première rencontre avec la Ficam ? E.R. – Pour l’instant non. Nous allons leur proposer de nouveaux rendez-vous. La Ficam semble avoir le même objectif que nous, d’assainir la filière pour que tout le monde travaille en bonne intelligence. Nous devrions pouvoir avancer sur la question des tâches annexes comme sur le contrat de commande. Le principe d’une réunion tripartite a été entériné par la Ficam qui doit contacter les commanditaires en ce sens. De notre côté, nous devons nous mettre bien d’accord en amont sur ce que nous souhaitons défendre dans ce cadre. Nous allons mettre en place un groupe de travail avec des auteurs et le Snac, afin notamment de nous mettre d’accord sur les termes à employer. B. A. – Qu’attendez-vous d’une réunion tripartite ? S. P.-L. – L’Ataa et les collectifs d’auteurs ont réussi à rencontrer les prestataires, qui disent qu’ils sont pieds et poings liés par les commanditaires. L’Ataa a réussi également, au cours de ces dernières années, à tisser des liens et à engager le dialogue avec des commanditaires, qui nous disent ne jamais imposer des conditions de tarif insupportables aux prestataires. Parfois des conditions
Un changement de paradigme ? – Un entretien avec le collectif Deluxe US de l’Ataa.

Actualités Un changement de paradigme ? – Un entretien avec le collectif Deluxe US de l’Ataa. Il convient avant tout de lever toute confusion entre Deluxe US, la société américaine dont nous parlons ici, et Deluxe Paris Media qui est un laboratoire de sous-titrage et un studio de doublage basé à Paris. Bulletin des Auteurs – Que pensez-vous du sous-titrage sur interface en ligne ? Collectif Ataa – Cette manière de travailler induit une transformation complète de nos conditions de travail mais aussi certainement de notre métier et, à terme, de notre statut. La société Deluxe Media Inc. (« Deluxe US »), comme Eikon, Iyuno ou TransPerfect qui fonctionnent de la même manière, propose de sous-titrer les programmes pour le monde entier, notamment pour les plateformes de VOD (Netflix, Disney+, Amazon Prime Vidéo…) et, dans une moindre mesure, pour les sorties en salles. Pour ce faire, ils imposent aux auteurs de travailler sur une interface en streaming nommée, chez Deluxe US, « Sfera ». L’auteur ne peut communiquer que par mail avec le « Project Coordinator » qui lui est attribué. Ces « PC » ne connaissent pas notre métier, ce qui est une source constante d’erreurs et de perte de temps. La division du travail fait que le coordinateur n’a aucune latitude, alors il esquive toute question, en usant d’une novlangue qu’il serait intéressant d’étudier pour évaluer son influence dans ce projet novateur. Les erreurs innombrables concernant le projet, erreurs sur le travail à accomplir, erreur d’envois de la version du film, qui n’est pas toujours la dernière en date, provoquent une cascade de mails inutiles, et d’injonctions à accomplir des tâches qui n’ont parfois pas de sens. Comme, par exemple, l’obligation de soumettre trois titres français pour un film tiré d’un livre qui a déjà un titre en français, alors que le film sera diffusé avec son titre original. On peut parfois recevoir plus de 100 mails pour un film peu bavard, alors qu’avec un laboratoire français tout se règle en une dizaine de mails et quelques appels. La plateforme Sfera n’est pas performante, pas assez précise (moins que les premiers logiciels des années 1980) et, outre le fait qu’elle plante régulièrement, faisant à l’occasion disparaître nos sous-titres comme dans les années 1990 au temps des logiciels à disquette, elle tente d’imposer un nouveau modèle de travail qui modifie toutes les étapes du sous-titrage, pour nous amener lentement vers la disparition de notre autonomie et de notre souveraineté. B. A. – Quelles sont les différences principales ? Collectif Ataa – La première étape est celle du repérage, tâche technique qui consiste à découper le dialogue en sous-titres vides. C’est une étape cruciale, qui n’a rien d’automatisable : le découpage doit suivre le rythme du dialogue et tenir compte du montage, afin de permettre une lecture fluide. Chez Deluxe, le repérage est fait par une machine ou par quelqu’un qui ne connaît rien à notre travail, et obéit aveuglément à des normes absurdes. En outre, un seul repérage est effectué pour les versions du monde entier, c’est-à-dire pour toutes les langues cibles, ce qui est une hérésie puisque, suivant la langue dans laquelle on traduit, on ne découpera pas le texte de la même manière. Deluxe prétend procéder ainsi pour que les auteurs de sous-titres puissent l’adapter à leur langue mais c’est de la mauvaise foi, c’est seulement une économie pour eux puisqu’ils ne font qu’un repérage, et que les auteurs doivent finalement le refaire quasi intégralement. Du moins, quand les auteurs en ont le droit, ce qui est très rare, surtout hors de France. Quelques auteurs facturent un supplément pour la reprise du repérage, mais tous ne sont pas en position de le faire car le rapport de force joue en leur défaveur. L’auteur reçoit donc une liste de sous-titres vides mal faite, appelée “template”. À l’opposé, lorsqu’on travaille sur nos logiciels, il est possible d’apporter tous les changements de repérage que l’on souhaite, modifier les time-code, rassembler deux sous-titres, les séparer, etc. Cela paraît anodin mais un bon repérage, c’est une étape cruciale dans l’élaboration d’un bon sous-titrage. Chez Deluxe, il est interdit de modifier le repérage pendant toute la durée de l’adaptation, la deuxième étape du sous-titrage. Ce n’est que sur la dernière version du programme, une fois le montage jugé définitif, que l’autorisation est accordée d’opérer des changements. L’auteur adapte donc à l’aveugle dans un premier temps, en faisant le pari que s’il prévoit tels changements de repérage, l’adaptation conviendra. Ce n’est qu’à la dernière relecture qu’il saura s’il avait raison. En temps normal, l’auteur tâtonne, se questionne, essaie des choses qui ne fonctionnent pas toujours, bref, ce que fait tout humain au travail : il réfléchit. B. A. – Pourquoi n’a-t-on pas le droit de toucher au repérage avant la fin ? Collectif Ataa – Parce que Sfera est tellement automatisé qu’il ne peut pas le gérer, ce qui trahit un manque de professionnalisme et de savoir-faire, et indique clairement que l’ensemble du processus n’est pas conçu pour nous laisser modifier le repérage. Un exemple de plus de l’automatisation comme source d’inefficacité, d’autant que Deluxe peut nous demander de travailler pendant des semaines sur des versions non définitives pour finalement nous laisser deux jours en bout de course pour tout reprendre sur l’image finale. La troisième étape, c’est la simulation. Lorsque le travail est fini, on se rend habituellement dans un laboratoire pour visionner le film avec la cliente ou le client, et la personne chargée de cette opération au sein du laboratoire. C’est un moment essentiel où l’on montre notre travail à des regards neufs, des gens qui pensent, qui réagissent à ce qu’ils voient, et nous échangeons en direct pour améliorer la qualité du travail. Au contraire, sur cette interface, cette étape de la simulation ne peut avoir lieu dans la majorité des cas, puisqu’on ne se parle pas, on ne se voit pas. Il y a seulement un « Quality Check » (QC), fait par on ne sait qui, on n’a aucun contact même par mail avec cette personne ou cette machine qui balance des corrections qu’il nous est seulement possible d’accepter ou de refuser en cliquant sur le bouton