Assignation identitaire ? – par Shumona Sinha, autrice. SNAC

Actualités Assignation identitaire ? – par Shumona Sinha, autrice. SNAC Les premiers webinaires sur les assignations identitaires se sont tenus les 15 mars et 23 juin 2023. Vous pouvez les visionner via ces liens : 15 mars : http://www.snac.fr/site/2023/06/auteurs-en-action-liberte-de-creation-et-assignations-identitaires-1-2/ 23 juin : http://www.snac.fr/site/2023/06/webinaire-les-auteurs-en-actions-assignation-identitaire-categorie-francophone/ En ouverture de ces webinaires, Bessora rappelait la définition de l’assignation identitaire, donnée par le musée de l’Homme en 2017, à l’occasion de l’exposition « Nous et les autres » : « Alors que chacun se définit en fonction d’un contexte, où d’éléments qu’il souhaite mettre en avant, l’assignation identitaire renvoie l’individu à une identité figée en lui attribuant des traits physiques, culturels ou psychologiques, propres à son groupe d’appartenance, qu’il soit réel ou supposé. » Shumona Sinha, romancière, autrice de « L’autre nom du bonheur était français », a confié au Bulletin des Auteurs n° 153 (en avril 2023) la publication de ce texte : Non. Aucune maison d’édition ne m’a jamais imposé, ni refusé, un projet de livre sous prétexte identitaire. Aucune maison d’édition n’a jamais cherché à définir ma supposée identité, ni ethnique, ni genrée, ni sociale. L’appréciation fut toujours, invariablement, littéraire. Non, aucun libraire n’a jamais choisi ni rejeté mes livres sous prétexte identitaire. Et non, aucun journaliste ne m’a jamais donné ni refusé la parole sous prétexte identitaire. En France. Dans mon pays natal, l’Inde, les choses sont légèrement différentes. Parlant de l’Hexagone, si je n’ai connu aucune ASSIGNATION identitaire : Alors pourquoi prendre la parole ici, pourquoi accepter l’invitation pour m’exprimer sur ce sujet ? C’est parce que ce que j’ai connu et que je continue à connaître ce n’est pas l’assignation mais une obsession identitaire. Aucune imposition, mais bien une passion, hexagonalement répandue, qu’on me fait vivre. Je suis née à Calcutta, en 1973 ; j’ai appris le français à 22 ans et je suis arrivée en France en 2001, à 28 ans. En 2008, à 35 ans, j’ai publié mon premier roman en français, chez un éditeur français, à Paris. En 2011, la publication de mon deuxième roman, « Assommons les pauvres », m’a fait connaître auprès des critiques littéraires, médias, public, en France et bientôt à l’étranger. J’ai publié d’autres livres, des romans principalement, reconnus en France et à l’étranger, les étudiants ici et ailleurs ont fait des thèses sur mes livres et les professeurs m’ont invitée à leurs conférences… Rien, jusque-là, ne prédisait qu’un jour je serais amenée à écrire « L’autre nom du bonheur était français » (Gallimard / Blanche, novembre 2022), à parler de la littérature française « de souche » et de la littérature « de la francophonie », d’une « littérature française du centre » et d’une « littérature française de la périphérie ». Dans ce récit sur ma francophonie j’ai amplement présenté les interrogations ethnocentrées, identitaires, auxquelles je suis souvent exposée. Non pas au moment de l’écriture de mes livres, évidemment que non, ni lors du dialogue avec mon éditeur et mes anciennes éditrices. Aucun journaliste littéraire ni de la presse écrite ni des médias audiovisuels n’a choisi l’angle ethnique pour apprécier mes livres, sans pour autant oublier mon point de départ dans mon pays natal, mon aventure et mon voyage vers la langue française. Ce livre cité ci-dessus qui a reçu une très belle presse – belle non pas seulement parce qu’elle fut ample, mais aussi parce que nous nous sommes compris, les journalistes littéraires français et mon livre, nous avons été en phase – n’a pourtant pas suffi pour clore le débat une bonne fois pour toutes. Il arrive encore et toujours un moment où l’on me réduit à mon identité ethnique, non pas pour mettre en valeur la singularité de mon parcours littéraire, mais pour m’imposer le travail de Sisyphe : devoir me justifier mes raisons d’être en France, mes raisons d’écrire en français. « Shumona Sinha, vous êtes née en Inde. Expliquez-nous pourquoi vous êtes en France, pourquoi vous écrivez en Français. » « Est-ce que vous écrivez directement en français ? Est-ce que vous pensez vraiment en français ? Qui traduit vos livres en français ? Est-ce que vous n’écrivez pas dans une langue métisse ? Et le bengali, votre langue maternelle, et l’anglais (langue dans laquelle vous avez été colonisée), ne nourrissent-elles pas inconsciemment vos écrits français ? » Oui, il y a souvent une falaise immense entre la presse et les estrades sur lesquelles je me trouve. Dans le meilleur des cas je suis « autrice de la francophonie », dans le pire des cas je suis une « exilée ». Je dirais même qu’il y a quelque chose de pervers, de tordu, dans ces interrogations sur mon supposé statut d’exilée, dans ces provocations permanentes sous forme d’omission : Oups ! Je n’ai pas compris que vous avez déjà répondu de nombreuses fois depuis dix ans à cette question pourquoi et comment vous êtes venue à la langue française ! Si j’en avais le droit, il suffirait de reproduire le chapitre intitulé « Le Nom des gens. Nom de dieu ! » de ce livre cité ci-dessus pour partager mon expérience. Essayons une variation autorisable. Le terme « Francophonie », popularisé par Léopold Sédar Senghor, évoque davantage « la conscience d’avoir en commun une langue et une culture francophones que de décisions officielles ou de données objectives. C’est une communauté d’intérêt. On y retrouve l’idée que le français serait le point commun d’une multitude de peuples différents, les fédérant dans un idéal culturel et linguistique. » L’idée de Senghor était celle de la fédération, du rassemblement, non pas de la division. Or, après nous avoir grandement servi, après nous avoir permis de mettre en lumière des écrivains de tous horizons, « la Francophonie est devenue un fardeau, une spécificité, une sanction. Elle crée une scission et fait perdurer le concept du centre et de la périphérie. De l’autre côté de la ligne rouge vit dans la réserve la faune exotique. Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve marginalisé », écrit Amin Maalouf dans « Les Identités meurtrières ». « Côté Afrique nous avons nos dynasties régnantes. Côté France nous avons notre francophonie. Où sont cantonnés des écrivains étrangers écrivant en français… et des écrivains français ayant une gueule d’étranger ! » déclare Bessora, ma chère amie et camarade du même combat. (in « L’autre nom du bonheur… ») Dans ces mêmes festivals, je partage souvent la table ronde avec mes « semblables », les autres « exilés ». Dans certaines librairies, en