L’IAG un an et demi après la table ronde au FIBD 2024

Actualités L’IAG un an et demi après la table ronde au FIBD 2024 Quasiment un an et demi après la table ronde à Angoulême sur l’IA générative et son impact sur nos métiers, où en est-on ? Lors de cette rencontre en 2024 avec les différents intervenants, le constat d’un pillage des œuvres des auteurices à travers le monde et d’une évolution rapide de cette technologie et des dangers pour nos métiers avait été établi. Aujourd’hui, en avril 2025, que pouvons-nous observer ? Je me rappelle l’inquiétude du moment, la vitesse d’amélioration des générateurs tels que ChatGPT et MidJourney en quelques mois seulement, était tellement impressionnante que nous pensions être rayés de la carte en un an. Rien de tel pour l’instant. Par contre, et nous l’avions annoncé à ce moment-là, des vidéos générées à partir de dessins sont maintenant possibles, les erreurs anatomiques ont disparu pour la plupart. Maintenant, on trouve à chaque coin de page sur les réseaux sociaux, des personnages plus vrais que nature animés dans une démarche nonchalante, cheveux et vêtements flottant au vent dans une ambiance fantaisie romantique, incitant les webonautes au « put a clic » → à comprendre comme « inciter à cliquer » pour liker. Tout ça pour une course aux likes, ce qui génère du transfert de données et donc de l’argent. On retrouve l’utilisation de l’IA un peu partout dans notre quotidien. Tous les logiciels et toutes les applications mettent en avant leur propre IA. C’est la grande mode. Une agence immobilière qui me falsifie des intérieurs de maison ne m’aide en aucun cas à choisir une maison, ce serait plutôt l’effet inverse en ce qui me concerne. Pour d’autres, c’est vraiment un outil pour dégrossir le travail. Il faudra toujours l’expertise au dessus pour cadrer l’ensemble.  In fine, en a-t-on vraiment besoin ? Mais qu’en est-il véritablement de nos métiers d’auteurices ? Les maisons d’édition ne sortent pour l’instant pas de livres générés par IAG. Même s’il y a quelques ovnis parfois, le travail des auteurices reste leur fer de lance. Il se trouve quand même qu’il est proposé du travail à des auteurices avec comme charte graphique ou base de travail des visuels générés par IA. Quel est l’intérêt ? En quoi cela améliore-t-il le travail ? On choisit un ou une artiste en fonction de son travail et donc on a confiance en son jugement et ses capacités, non ? C’est un fait que de nombreuses municipalités, entreprises privées ou gouvernementales et même des écoles d’art utilisent de l’IAG pour réaliser leur communication visuelle ; affiches publicitaires pour un salon, des portes ouvertes et autres campagnes. Il est étonnant que les bonnes questions ne se posent pas en amont. Tout est une question d’éthique. Que veut-on pour notre avenir ? Le « fast image » comme j’aime à l’appeler ou un travail humain, soigné et réfléchi qui n’utilisera pas une fausse intelligence artificielle venue d’entreprises américaines. Et cela ne sous-entend pas que je parle de faire duprotectionnisme. Mais vraiment d’éthique humaine en plus d’écologique. Quand on sait maintenant que pour générer une image, il faut la consommation totale d’une batterie de téléphone portable, on comprend pourquoi Microsoft relance une ancienne centrale nucléaire pour alimenter les data centers de son IA. Ce n’est pas pour chauffer les foyers américains, non, c’est pour l’IA uniquement. Quid de la consommation d’eau astronomique qu’il faut pour refroidir ces énormes centres de données. En ces temps où l’écologie et la conscience de la consommation d’énergie n’ont jamais été autant d’actualité, peut-on vraiment continuer ainsi ? Tout ça pour du profit éphémère ? Pour une affiche ? La dernière nouvelle qui a fait le buzz, c’est le générateur d’image d’OpenAI façon studio Ghibli, qui a créé un véritable tremblement de terre sur les tables d’ateliers des artistes auteurices ! Un tremblement, dû à la colère j’entends. Hayao Miyazaki lui-même, en 2016, exprimait son mépris pour cette technologie. Que fait ce générateur ? → Chacun peut générer sa photo « façon Ghibli ». Cela a eu un tel succès que les datas ont été surchargées et qu’ils ont dû en réduire l’accès. Le pire étant les photos de guerre ou d’arrestation reprises dans ce style pour servir les propagandes gouvernementales. Entre indignité et niveau zéro, je vous laisse choisir. Le renforcement des clichés sexistes, racistes, virilistes et des écarts sociaux n’a pas décru non plus. Au lieu de modifier dans le bon sens, l’hypersexualisation de visages infantiles ne fait que continuer par exemple, avec des personnages féminins au visage très jeune, au regard innocent et romantique. Quant à côté, les personnages masculins sont enfermés dans un bodybuilding avec un regard ténébreux, renforçant l’image d’un patriarcat bien implanté. L’IAG ne fait qu’accroître les clichés. Sachant que l’image joue un rôle important dans notre société, l’impact que celle-ci a sur les plus jeunes et les ados n’est plus à démontrer. Pour rappel, pas d’écran avant 3 ans. Est-ce que tout le monde fait attention ? Et je n’ai pas parlé du « deep fake ». Quelle n’est donc pas notre surprise, à nous auteurices, quand nous découvrons des festivals de BD ou des salons du livre qui génèrent leur affiche par IAG. Il n’est pas question ici de taper sur les uns et les autres, mais de pédagogie. Il serait tellement plus gratifiant pour les organisateurs, les municipalités et les auteurices invité·es de venir dans un festival qui est attentif à ces questions. Par exemple, d’avoir un ou une invitée d’honneur qui s’occupe de réaliser l’affiche, celle-ci pouvant être imprimée et vendue au public et offerte aux auteurices. Avec possibilité d’expo ou de rencontres avec les collèges et lycées. Il y a plein de possibilités. Mais cela demande du soutien aussi aux bénévoles, le cœur des festivals. Donc force à celles et ceux qui organisent ces événements, et l’on sait comme le milieu associatif est riche mais qu’il est difficile et énergivore. Merci à celles et ceux qui soutiennent les artistes auteurices et font rayonner

Attentive vis-à-vis de l’Intelligence artificielle – Un entretien avec Marine Tumelaire, artiste illustratrice et coloriste de bande dessinée, représentante du groupement Bande dessinée.

Actualités Attentive vis-à-vis de l’Intelligence artificielle – Un entretien avec Marine Tumelaire, artiste illustratrice et coloriste de bande dessinée, représentante du groupement Bande dessinée. Bulletin des Auteurs – Êtes-vous en alerte face à l’IA ?     Marine Tumelaire – Je préfère dire que je suis attentive vis-à-vis de l’Intelligence artificielle, car plusieurs points posent problème quant au respect du droit d’auteur. Il faudrait que les pouvoirs publics communiquent plus sur la question, car on se sent seul. L’IA est un outil comme un autre, mais son utilisation doit être encadrée. Elle est aux mains de grandes entreprises, américaines pour la plupart, qui la nourrissent du travail et de la réflexion d’artistes de chair et d’os. Cette entité va ensuite générer des images qui vont enrichir l’entreprise qui l’a construite. Les artistes n’ont pas donné leur accord en amont pour que leurs œuvres soient utilisées. Ils n’ont reçu aucune rémunération en contrepartie. Au final, à qui appartient l’œuvre réalisée grâce à l’IA ? Même si un artiste crée une image à partir de l’IA, à qui appartient l’œuvre qu’il a ainsi créée ? Si une maison d’édition crée une image grâce à l’IA, à qui appartient l’exploitation des droits ? Selon les créateurs de MidJourney, l’image générée leur appartient. Et surtout qu’en est-il des artistes qui ont été utilisés à la source ? Qu’en est-il de la propriété intellectuelle ? On ne peut pas faire comme si il n’y avait pas de question. B. A. – Le morcellement et le mélange des sources n’empêchent-il pas l’exercice du droit d’auteur ? M. T. – Un accord préalable semblable aux traitements des données commerciales sur internet peut être appliqué. L’opt-out pour être en dehors du système et l’opt-in si l’on est d’accord avec une exploitation. Une rémunération des artistes auteurs doit être ensuite exigée. Il faut étudier comment cette rémunération pourrait être appliquée. Mais l’artiste doit avoir la possibilité de refuser, en amont, que son œuvre, son travail de toute une vie, soit utilisée. Actuellement, les gens du métier peuvent distinguer ce qui est issu de l’Intelligence artificielle. Peut-être bientôt ne pourra-t-on plus faire la différence entre IA et un travail d’un ou une autrice. Le grand public ne peut déjà pas faire cette distinction du tout. Les lecteurs doivent être informés si ce qu’ils achètent est un produit issu de l’Intelligence artificielle ou de l’œuvre originale d’un·e artiste. Le nom des artistes est présent sur les créations. Il doit en être de même pour une réalisation avec IA. C’est de la transparence et cela peut relever aussi d’un achat militant pour le public. Nous devons alerter sur le risque de perdre un savoir-faire. Le savoir-faire est l’alliance de la main et de l’esprit. Un artiste apprend, réfléchit, comprend les connotations de l’image, et se perfectionne tout au long de sa carrière. L’IA génère des images sans réflexion, sans jamais rien créer de nouveau, puisque toujours à partir d’œuvres qui lui préexistent. Dans les écoles d’art, nous essayons que chaque élève développe son art avec sa propre identité, sa propre écriture graphique. L’IA est un beau jouet facile à utiliser qui pour l’instant génère des images assez semblables. Le fait de sa simplicité d’utilisation peut amener les entreprises à ne passer que par elle. Cela pourrait appauvrir le savoir-faire et donc la culture, c’est envisageable. B. A. – N’existe-t-il aucune régulation ? M. T. – On a l’impression que c’est ouvert aux quatre vents, que les entreprises d’IA font ce qu’elles veulent. L’Intelligence artificielle est déjà là, elle fonctionne, et nous courons derrière en essayant de nous organiser pour nous protéger. Elle risque de nous échapper totalement dans des mesures incroyables. Ce n’est pas normal. On ne peut pas imposer un schéma d’exploitation sans concertation avec les principaux concernés. Les auteurs et leurs organisations professionnelles partagent leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux, il faut continuer pour que cela soit entendu, seule une intervention de l’État pourrait réguler. Heureusement les artistes du monde entier se mobilisent, et chaque jour le sujet avance et de nouvelles mobilisations sont constatées. Il y a un projet européen de régulation qui est en préparation, l’« IA Act ». Nous en saurons plus fin 2023 début 2024 apparemment… Ce que je pourrais conseiller aux jeunes auteurs·trices, ce serait de ne plus partager sans précaution leurs travaux sur Internet. Par exemple et depuis des années, je fais toujours des photos de mon travail, très rarement des post « propres ». L’angle de vue n’est pas droit, il inclut ma table de travail, des ombres et lumières nuancées sur les dessins, dues à la photo. Cela les rend inexploitables pour une impression et certainement pour un générateur d’images. Je partage mes travaux édités toujours en très basse définition au niveau des pixels pour empêcher une quelconque impression hors de mon contrôle. Ainsi on peut tout de même voir ce que je fais. Car les réseaux sociaux sont essentiels pour notre visibilité. Je ne dis pas que procéder ainsi va empêcher le pillage, mais peut-être le ralentir un temps. B. A. – Des auteurs utilisent l’Intelligence artificielle. M. T. – Oui, c’est un outil comme un autre au départ et le choix de l’utiliser est propre à chaque individu. Personnellement je ne l’utilise pas pour mon propre travail. J’ai mes créations, mes propres histoires, c’est la recherche et le perfectionnement personnels qui me passionnent. C’est certainement plaisant de générer des images avec des prompts, mais ça ne fait pas partie de mon process de travail et personnellement je ne tirerais aucun plaisir à travailler de manière professionnelle quand on sait ce que cela engage vis-à-vis du travail des artistes du monde entier. Je ne puis répondre à la place de ceux qui utilisent l’IA. Mais il y a toujours cette question au final : à qui appartient l’image créée grâce à l’IA ? Celles et ceux qui l’utilisent doivent être attentifs à ce que les droits d’exploitation leur appartiennent bien. Mais n’oublions pas les artistes à la source, c’est ça la clef ! Les gens vont s’approprier l’Intelligence artificielle, mais qu’est-ce que cela va devenir, tout est incertain là-dessus. B. A.  – Vous n’êtes ni pour ni contre l’Intelligence artificielle.