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Quel avenir pour le dispositif de régularisation des cotisations arriérées ? Un entretien avec Pascale Fabre, Directrice des Ressources humaines et des Affaires sociales, et Véronique Pommier, Responsable de l’Action sociale de la Société civile des auteurs multimédia (Scam).
Bulletin des Auteurs – Pourriez-vous nous expliquer le dispositif de la régularisation des cotisations arriérées ?
Pascale Fabre – Avant 2019, la cotisation d’assurance vieillesse, qui sert à calculer la retraite de base de la sécurité sociale, n’a pas été systématiquement appelée auprès de tous les auteurs, notamment sur les droits des auteurs dits assujettis qui relevaient de l’Agessa. Seuls les auteurs qui effectuaient une démarche volontaire d’affiliation auprès de cet organisme ont cotisé à la retraite de base sur leurs droits d’auteur. Pour nombre d’auteurs, la confusion tenait au fait que leurs droits d’auteur étaient assujettis aux cotisations obligatoires comme l’assurance maladie à l’époque, la CSG et la CRDS, mais pas l’assurance vieillesse, qui était appelée au- delà de 900 Smic.
Plusieurs rapports ont souligné ces difficultés et mis en exergue la nécessité de réformer le régime de protection sociale des auteurs. Parallèlement certaines organisations professionnelles et OGC, dont le Snac et la Scam, ont réclamé la mise en place d’un dispositif réparateur, parce que beaucoup d’auteurs de bonne foi avaient omis de cotiser sur une partie de leurs revenus d’activité. Il fallait qu’ils puissent bénéficier d’une retraite qui soit le reflet de leurs revenus professionnels. C’est ce que propose ce dispositif de régularisation des cotisations dites arriérées : permettre aux auteurs qui le souhaitent de cotiser sur des revenus passés. Depuis 2019, les cotisations sont prélevées à la source sur les revenus artistiques dès le premier euro et alimentent les droits à la retraite des auteurs.
Nous avons négocié avec les ministères de la Culture et des Affaires sociales une première circulaire, qui est parue fin 2016, et qui a institué une mesure plus avantageuse que le rachat classique ouvert aux salariés. Puis nous avons fait évoluer ce dispositif, en négociant une deuxième circulaire en 2022 qui a considérablement amélioré le coût financier pour les auteurs en supprimant le taux d’actualisation, qui était une sorte de pénalité.
B. A. – Pourrions-nous préciser ce que sont les revenus professionnels d’auteurs qui ouvriraient à une éventuelle régularisation des cotisations arriérées ?
Pascale Fabre – Ce sont principalement les droits d’auteur versés par les éditeurs, producteurs, OGC (organismes de gestion collective) aux auteurs domiciliés fiscalement en France. Les revenus accessoires de type bourses de création et/ ou de résidence qui n’entraient pas dans l’assiette de cotisation des auteurs assujettis sur les périodes concernées (c’est-à-dire qui n’ont pas donné lieu à des prélèvements de cotisations sociales), ne sont pas pris en compte.
Véronique Pommier – De même, les revenus artistiques versés par les diffuseurs étrangers sont exclus de ce dispositif car non soumis à la règle du précompte des cotisations. Notons que les périodes qui peuvent être régularisées par les auteurs vont du 1er janvier 1976 jusqu’au 31 décembre 2018, puisqu’à partir de 2019 les cotisations sont prélevées à la source dès le premier euro pour les auteurs déclarant leurs revenus en traitements et salaires.
Pascale Fabre – L’auteur peut régulariser cinq périodes de trois années consécutives.
B. A. – Quelles sont les conséquences de la régularisation ?
Pascale Fabre – L’objectif de ce dispositif de régularisation est double. La retraite de base se calcule d’après le revenu moyen sur les vingt-cinq meilleures années (et dans la limite du plafond de la sécurité sociale) et le nombre de trimestres cotisés.
La régularisation permet aux auteurs d’une part d’augmenter le nombre de trimestres cotisés – les auteurs peuvent ainsi combler les manques éventuels dans leur carrière – et, d’autre part d’améliorer le montant de leur retraite de base, en augmentant le revenu soumis à cotisation. Ce dispositif concerne les auteurs anciennement assujettis et les auteurs qui se sont vu refuser leur affiliation à l’Agessa ou à la Maison des Artistes. Il faut bien sûr que ces auteurs relèvent du régime général de la sécurité sociale pour en bénéficier.
Les auteurs retraités peuvent en bénéficier, même après que leur retraite a été liquidée. Mais attention ! Pour les auteurs retraités la régularisation, quand elle a été demandée et obtenue, ne vaut que pour l’avenir, à compter de la date où elle a été accordée. Elle ne vaut pas de manière rétroactive, pour la pension qui a déjà été versée. Lorsque des délais de traitement de la Cnav sont anormalement longs, nous pouvons obtenir une mesure rétroactive mais uniquement à la date du dépôt. Cette mesure n’est pas systématique et relève malheureusement du pouvoir d’appréciation de chaque caisse. En Ile-de-France, nous obtenons généralement des décisions rétroactives.
L’auteur retraité qui envisage de se lancer dans ce dispositif doit mesurer son intérêt, en fonction de son âge au moment où il va déposer cette demande, où elle sera acceptée, et le temps écoulé depuis qu’il a commencé de percevoir sa retraite. Mais également en fonction de l’importance de la revalorisation dont il pourrait bénéficier. L’auteur peut projeter, grâce à un simulateur disponible en ligne (Simulateur des cotisations arriérées des artistes-auteurs), le coût que représenterait cette régularisation. Rappelons enfin que cette demande de régularisation doit être déposée avant le 31 décembre 2027. Au-delà de cette date, nous n’avons aucune garantie sur la poursuite du dispositif.
B. A. – Des aides sont proposées aux auteurs pour financer cette régularisation.
Pascale Fabre – En réponse à la demande déposée par l’auteur pour régulariser ses cotisations arriérées, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) lui propose un devis. L’auteur doit vérifier l’exactitude des revenus artistiques pris en compte, en particulier que la somme des salaires déjà cotisés et des revenus artistiques régularisés n’excède pas le plafond annuel de sécurité sociale de chaque année.
L’auteur peut, s’il remplit certains critères d’éligibilité, bénéficier d’aides au financement. D’une part, celle de la Sécurité sociale des artistes auteurs (SSAA), pouvant prendre en charge jusqu’à 50 % du montant de la régularisation, dans la limite du plafond mensuel de la sécurité sociale, qui est en 2025 de 3 925 euros. Et celles de certaines sociétés d’auteurs comme la Scam.
Véronique Pommier – La Scam met à la disposition de ses auteurs membres une aide d’un montant équivalent, sur critères sociaux et d’ancienneté d’adhésion à la Scam.
B. A. – L’auteur doit-il alors choisir entre l’aide de la SSAA et celle de la Scam ?
Véronique Pommier – Ces aides peuvent être cumulées, mais elles ne couvrent généralement pas 100 % du devis.
B. A. – De nombreuses organisations professionnelles d’artistes auteurs ont pu observer des dysfonctionnements dans ce dispositif de régularisation des cotisations arriérées. Ensemble, vous avez écrit une lettre ouverte, adressée le 27 mai 2025 aux ministères de la Culture, du Travail et de la Santé, du Travail et de l’Emploi.
Pascale Fabre – Les auteurs subissent de plein fouet les dysfonctionnements de la Cnav parce que les dossiers de régularisation sont lourds à traiter et que chaque dossier est unique et spécifique. Un auteur qui perçoit des droits d’auteur sur plusieurs années peut avoir à présenter un nombre impressionnant de pièces justificatives. La Cnav doit vérifier que chacune de ces pièces peut être prise en compte, ou pas, selon qu’elle comporte ou non, les éléments lui permettant de l’authentifier. Les dossiers sont traités plus rapidement lorsqu’ils comportent des relevés intégraux de droits d’auteur, c’est-à-dire des documents qui récapitulent, année par année, par diffuseur ou par OGC, le montant des revenus artistiques perçus. Les OGC produisent ces relevés de carrière, même si c’est un travail d’archive long et fastidieux. Par contre, il peut être compliqué pour les auteurs d’obtenir de tels relevés de la part de leurs producteurs ou éditeurs, qui peuvent aussi avoir disparu. L’administration des dossiers par la Cnav est parfois très lente, c’est très variable mais cela peut être de l’ordre de plusieurs années, certains sont en instance depuis 2019. Il arrive que certains auteurs ne reçoivent même pas d’accusé de réception. On ne sait pas si le dossier a été reçu par la Cnav. Quand un devis est proposé, il peut comporter des erreurs, il faut donc être très vigilant. Une fois que l’auteur a payé le devis dans son intégralité, que la régularisation est actée, la révision doit intervenir, comme stipulé dans la dernière circulaire, dès le mois suivant le paiement du devis. Nous constatons dans certains cas que plusieurs mois s’écoulent entre le paiement du devis et la révision de la pension, certes avec effet rétroactif. On a le sentiment, à travers les tribulations de ces dossiers, d’un manque de formation et de connaissance du régime des auteurs, de la part du personnel de la Cnav. Nonobstant, quand cela se passe bien, les auteurs que nous accompagnons et qui voient le montant de leur retraite revalorisé sont très satisfaits d’avoir franchi le pas. De plus, on peut déduire de ses revenus imposables les cotisations arriérées qui ont été réglées dans le cadre de la régularisation (sauf si l’on déclare ses revenus aux impôts en micro-BNC). Véronique, qui accompagne les auteur.trice.s constate que, en moyenne, les auteurs dont la régularisation a abouti ont rentabilisé en cinq ans leur investissement. Le dispositif de régularisation des cotisations arriérées est en effet avantageux par rapport à d’autres dispositifs de rachat.
B. A. – Quelles évolutions attendez-vous en réponse à la lettre ouverte ?
Pascale Fabre – Nous avons eu une réunion de concertation le 1er juillet avec le cabinet du ministère de la Culture. Ce dernier a pris acte de tous ces dysfonctionnements et s’est engagé à les résoudre. Nous espérons que la promesse sera tenue et que des solutions opérationnelles permettront de fluidifier la gestion des dossiers par la Cnav. Nous préconisons aussi que la Sécurité sociale des artistes auteurs joue le rôle d’accompagnement auprès de tous les auteurs qui souhaitent s’engager dans ce dispositif et surtout de tiers de confiance dans la validation des pièces et des dossiers en amont du dépôt de la demande. Elle pourrait enfin jouer aussi un rôle de médiation, d’interlocuteur privilégié de la Cnav sur ces dossiers bloqués. Des solutions existent pour que cette mesure bénéficie au plus grand nombre, en vue d’améliorer la retraite des auteurs.