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Une journée autour du documentaire radiophonique – Un entretien avec Simone Douek, présidente d’honneur du Snac, autrice de radio, représentante du groupement « Audiovisuel »
« Écrire la radio », comme « écrire un livre », avec un complément d’objet transitif.
Ce n’est pas écrire pour la radio. Écrire pour la radio, c’est par exemple écrire une fiction ou une chronique ; on écrit un texte au stylo sur un papier avant de le faire entendre à la radio, soit lu par une voix nue, soit entendu après avoir reçu un traitement particulier de réalisation et de mise en onde.
Mais « écrire la radio » c’est autre chose. Pensons à l’image de la page blanche sur laquelle s’inscrivent des caractères ; dans le cas de la radio, la page, on ne peut ni la toucher ni la voir. Pourtant sur cet espace impalpable s’inscrit et prend une existence physique ce que l’on entend, qui s’adresse à l’un de nos sens, l’ouïe, comme le livre s’adresse à la vue. Ensuite, l’œil ou l’oreille, dérivant, nous emmènent dans des mondes où ni le son n’est absent du roman, ni la vision ne manque à notre écoute des sons.
À la radio on fait le choix de construire un objet esthétique à partir de rien, et cette démarche concerne tout particulièrement le documentaire.
Bulletin des Auteurs – Vous allez proposer une journée consacrée au documentaire radiophonique.
Simone Douek – Le groupement « Musiques contemporaines » du Snac organise les journées « Musique & Créations », le groupement « Musique à l’image » participe au Forum itinérant de la Musique à l’image, le groupement « Bande dessinée » est à l’initiative de la journée autour des Dérives comportementales, le groupement « Audiovisuel » pourrait inaugurer une journée professionnelle autour de l’écriture du documentaire radiophonique, que le public connaît mal. Cela complètera l’exploration qu’a commencé à mener le Snac de nos divers métiers, qui font la richesse du syndicat.
Durant cette journée, nous aimerions donner la parole aux autrices et auteurs radiophoniques, et faire connaître leur mode d’écriture et ses particularités. D’où notre thème : « Écrire la radio. »
B.A. – Quels sont les outils d’écriture ?
S.D. – Le son, qui est composé des voix, du paysage sonore, de la musique, des textes, des documents d’archives, sans oublier le silence – le silence est toujours habité – et le son le perçoit. Tous ces éléments sont tissés entre eux.
Le nœud de l’écriture sonore, c’est le montage. Écrire un documentaire, ce n’est pas seulement donner une information.
Le documentaire part du réel, mais le réel est transformé en objet esthétique par l’écriture radiophonique.
Si nous prenons comme exemples des documentaires de 1 h 30, « Une vie, une œuvre », « Les mardis du cinéma », « La matinée des autres », « Surpris par la nuit » nous devons toujours trouver un équilibre entre les différents éléments. Au-delà de ce qui est dit, la voix d’une personne est révélatrice, d’une personnalité, d’une émotion. Le son est lui-même une voix, au sens où le son, lui aussi, exprime quelque chose, au même titre qu’une personne qui parle.
Dans le premier des quatre documentaires que j’avais consacrés aux « Cinémas de campagne » pour « Surpris par la nuit », qui s’intitulait « Au commencement », le début de la pièce sonore mêle des voix, des situations sonores, des sons, s’inscrivant dans l’idée du commencement. Nous sommes dans la cabine de projection, alors non numérique, où le projectionniste explique à une débutante le fonctionnement du projecteur. Il insère la boucle du film au début de sa trajectoire, nous entendons le son du projecteur, les bruits de la salle qui nous parviennent, le son du film qui débute – le générique parlé du début du Mépris. Toutes ces voix qui s’entremêlent avec les ambiances créent des résonances entre les différents éléments, des renvois de sons et de sens. Tout s’imbrique, en tentant de créer un équilibre qui fait sens. La réalité s’écoute autrement.
B.A. – Comment une archive prend-elle sa place dans un documentaire ?
S.D. – Il y a de nombreuses manières d’utiliser une archive. Elle peut intervenir comme une mémoire, qui donne une profondeur, ou par exemple être greffée dans une conversation entre personnes vivantes, comme dans le documentaire sur Roger Caillois, comme si la personne disparue participait à la conversation.
En préparant un documentaire sur Van Gogh, je suis tombée sur une archive de Georges Charensol, qui s’entretient en 1953, dans son émission « l’Art et la Vie », avec les filles de l’aubergiste M. Ravoux à Auvers-sur-Oise, chez qui Van Gogh a passé les derniers mois de sa vie. Les sœurs Ravoux étaient encore de ce monde, et ont directement connu Vincent Van Gogh. Dans une langue incroyablement soutenue, Adeline Ravoux y raconte le dernier jour de Van Gogh. Cette archive, que j’ai insérée, est comme un maillon qui nous met quasiment en présence de Van Gogh.
B.A. – Et les autres éléments ?
S.D. – Les ingénieurs du son ont des trésors dans leur sonothèque personnelle, qu’ils peuvent nous proposer, mais la plupart du temps, afin de préserver l’unité sonore du documentaire, les paysages sonores sont enregistrés au même endroit et au même moment que les voix. Un paysage sonore peut être écouté en tant que tel, et tenir son rôle dans la narration.
Les textes peuvent être ceux des auteurs qui sont le sujet du documentaire, comme par exemple, quand il s’agit de la Renaissance, des extraits de Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, de Giorgio Vasari.
J’évite que les musiques soient en lien direct avec le sujet, telle une musique de la Renaissance qui viendrait appuyer un sujet sur la Renaissance. Je préfère installer un climat sonore. On aimerait parfois commander une musique à un compositeur, mais les budgets ne nous le permettent pas, la plupart du temps. Dans le documentaire sur Piero della Francesca, j’ai choisi une musique d’Arvo Pärt, un compositeur lituanien contemporain, dont la musique contemplative se marie parfaitement au sujet. Un tel enrichissement crée une ambiance, et fait partie de l’écriture.
B.A. – Qu’en est-il du montage ?
S.D. – Le montage est une étape essentielle. Monter un entretien, c’est faire d’abord que la voix coule, on est obligé d’enlever les scories, si on le peut ; mais c’est surtout respecter la cohérence d’un entretien, puis construire, élaborer tout un récit documentaire. On fabrique une séquence, par un montage qui peut être « visible » ou « invisible », selon la distinction d’André Bazin : le montage visible est volontairement perceptible, c’est par exemple le montage en parallèle, en alternance, en accéléré, toutes ces techniques définies par Dziga Vertov, où l’on voit bien une intervention du réalisateur ; le montage invisible, c’est une histoire qui coule sans qu’on se rende compte du travail effectué. Le montage est aussi la maîtrise des bifurcations, comme l’illustrent les films Smoking/ No Smoking, d’Alain Resnais, qui sont une métaphore de toutes les bifurcations que nous prenons dans notre vie. On oriente le montage dans le sens où l’on veut aller. Cet objet esthétique doit porter l’auditeur, lui proposer une vision, une entrée dans un univers. Le documentaire radiophonique doit se suffire à lui-même, fonctionner tout seul, comme un film.
B.A. – Matériau, montage, mixage, sont les ingrédients du récit radiophonique.
S.D. – À la table ronde de notre journée professionnelle nous inviterons, à côté des autrices et auteurs de radio, un ingénieur du son, ainsi qu’une ou un chargé.e de réalisation, car l’écriture d’un documentaire radiophonique se tisse à six mains. L’auteur de la création sonore, appelé producteur, a élaboré l’idée, sa direction, sa conception, ce qu’il souhaite faire percevoir. L’auteur agence les éléments selon un point de vue déterminé, donne à l’objet sonore sa singularité, son originalité, et le statut d’œuvre radiophonique. Il travaille ensuite en complicité avec le ou la chargé.e de réalisation pendant l’étape du montage. L’ingénieur du son intervient d’abord à la prise de son, et il est ensuite en charge du mixage, une étape également essentielle : le matériau est monté dans un certain ordre narratif, puis le travail du mixage consiste à unifier ces différentes séquences, à en adoucir la succession, les marier, travailler le son en lui donnant la dernière touche esthétique. Chaque ingénieur du son a son propre style.
Cette journée permettra aussi l’écoute d’un documentaire radiophonique en son intégralité, qui sera comme le moment d’un concert après la table ronde, et permettra de faire comprendre la richesse de ce qu’on peut appeler un cinéma sonore, de plonger dans son univers.
Simone Douek est l’autrice de « L’Acte radiophonique – une esthétique du documentaire » (2021), publié aux éditions Créaphis, deuxième édition revue et corrigée, 2025.