La décision de geler le budget du Pass Culture : Une pure maltraitance institutionnelle – par Marie Lhuissier

Actualités La décision de geler le budget du Pass Culture : Une pure maltraitance institutionnelle – par Marie Lhuissier, autrice et conteuse. Je suis autrice et conteuse, j’ai écrit et je joue un spectacle de contes pour lequel une musique originale a été composée, qui tourne principalement en collège, et dont le financement se fait quasi exclusivement via le Pass Culture. Les représentations de ce spectacle constituent la très grande majorité de mes revenus, à la fois en tant qu’intermittente du spectacle et en tant qu’autrice. Le jeudi 30 janvier à 18 h, j’ai reçu un mail du Pass Culture, me prévenant que : « Dans une situation budgétaire inédite, le ministère de l’Éducation nationale doit maintenir strictement le budget alloué à la part collective du Pass Culture. Pour assurer la réalisation d’actions jusqu’à la fin de l’année scolaire 2024-2025 et afin de préserver la possibilité d’initier des actions à la rentrée 2025, un plafond de dépenses a dû être fixé pour la période janvier-août 2025. Dès l’atteinte de ce plafond, fixé à 50 millions d’euros, il ne sera plus possible d’effectuer de nouvelles réservations au titre de l’année scolaire 2024-2025. » Avec ma compagnie, nous avions onze dates dont l’organisation était quasi finalisée et qui devaient être financées par le Pass Culture, dont quatre dans le cadre de semaines de tournée loin de chez nous. Il faut savoir que les collèges étaient censés disposer en 2024-2025 de 25 € par élève. La plupart ont affecté ce budget aux différents projets portés par les enseignants en novembre. Ils ont veillé à ce qu’il soit équitablement réparti entre les niveaux, et entre les disciplines. Les enseignants avec qui nous échangions préparaient donc nos interventions depuis novembre au plus tard, souvent dès septembre. À la lecture du mail, nous nous sommes dépêchés de créer sur Pass Culture, le soir même, toutes les offres correspondantes. Finalement, le vendredi 31 janvier à 17 h, soit 23 h plus tard, j’ai reçu un second mail m’informant que : « Le budget alloué à la part collective du Pass Culture a été intégralement engagé. Dans une situation budgétaire inédite, le ministère de l’Éducation nationale doit maintenir strictement le budget alloué à la part collective du Pass Culture. Le plafond de dépenses fixé pour la période janvier-août 2025 (50 millions d’euros) ayant été atteint, les réservations pour de nouvelles offres sont suspendues. Les établissements scolaires n’ont donc plus la possibilité de réserver des offres collectives payantes au titre de l’année scolaire 2024-2025. Les propositions actuellement en attente de confirmation seront automatiquement annulées. » Nous ne saurons jamais pourquoi, mais les trois offres créées par ma doublure pour les dates qu’elle devait assurer ont été publiées sur la plateforme et ont pu être réservées ou pré-réservées. Les huit que j’avais créées moi-même (même compagnie, mêmes propositions, même description, même prix) ont toutes été automatiquement « mises en instruction », pour finalement être rejetées quatre jours plus tard. Huit dates se trouvaient donc sans financement. – Une seule a pu être maintenue au prix initial, grâce à une enseignante et une proviseure engagées, sur les fonds propres de l’établissement. – Quatre sont annulées. Parmi celles-là, deux faisaient partie de semaines de tournée, et avaient à ce titre une part de défraiements transport et hébergement qui n’est plus prise en charge. – Deux sont maintenus à 60 % du prix initial, soit à un tarif à perte pour la compagnie, mais préférable à une annulation pure et simple (à cause du fait qu’elles se trouvent au milieu de semaines de tournée). 
– Une reste en suspens, l’enseignant de primaire qui l’organise prévoyant de rechercher à nouveau des financements pour ce projet qu’il ne veut pas abandonner. Outre les heures passées à communiquer avec les enseignants pour essayer de trouver des solutions financières et logistiques, nous avons donc subi des pertes financières : – Le musicien qui m’accompagne et moi avons perdu quatre à cinq journées de travail chacun, soit autant de cachets – importants pour nos droits à l’intermittence. – Sur les deux semaines de tournée qui sont maintenues envers et contre tout, notre compagnie perd 20 % de ses revenus. – Avec le compositeur des musiques du spectacle, nos revenus d’auteurs sont également grevés. En effet, les pertes dues aux dates annulées ou maintenues à moindre coût représentent un peu plus de 1 000 € au total, soit ~25 % de nos revenus d’auteurs entre mars et juin. La brutalité avec laquelle la décision de geler le budget du Pass Culture a été prise et imposée a ainsi des conséquences lourdes sur la compagnie et les artistes qu’elle emploie (sans même parler des enseignants, du respect de leur travail et des projets pédagogiques et culturels qu’ils et elles organisent souvent sur leur temps personnel, et des élèves privés de ces projets). Au-delà même de la question de savoir si le contexte actuel nécessite des coupes dans le budget de la culture, et plus précisément dans la partie collective – celle qui profite à tous les jeunes – il est clair qu’une grande partie des dommages subis aurait très bien pu être évitée par une communication claire, faite en avance, et constante. Les coupes budgétaires sont des choix politiques qui se discutent, mais la temporalité choisie pour les annoncer et les mettre en œuvre est une pure maltraitance institutionnelle.