Traduire les jeux vidéo – Un entretien avec Maxime Place

Actualités Traduire les jeux vidéo – Un entretien avec Maxime Place, membre du groupement Doublage, Sous-Titrage du Snac, et membre de l’Ataa. Bulletin des Auteurs – Vous traduisez des jeux vidéo. Maxime Place – À côté de mes activités en doublage, sous-titrage et voice-over, je suis en effet adaptateur de jeux vidéo. Je traduis les paroles échangées entre les personnages du jeu vidéo, mais aussi les divers textes qui s’adressent au joueur, à savoir les menus, les tutoriels, des descriptions d’objets, des descriptions de quêtes, qui ajoutent à l’histoire et à la narration la partie ludique du jeu vidéo. Ce qui s’adresse au joueur est souvent écrit : en passant votre souris sur un objet, vous ouvrez l’encart d’une description, qui est du texte brut. Par ailleurs certains jeux vidéo ne se prêtent pas au doublage, ils fonctionnent encore avec des fenêtres de dialogues. Les grosses productions tendent de plus en plus à demander doublage et sous-titrage, mais un budget peut être insuffisant, ou un type de jeu peut ne pas appeler l’usage des voix. On reste alors sur du texte pur. Pour le texte brut, on vous fait traduire le segment que l’on vous confie sur un logiciel qui peut proposer une pré-traduction à partir de sa base de données. Pour le sous-titrage ce sera la même méthode, sauf qu’en jeu vidéo on n’applique pas vraiment les normes en vigueur au cinéma ou dans les séries. Dans le jeu vidéo, très souvent vous n’avez pas l’image, seulement le texte en VO, que vous devez traduire en respectant plus ou moins un nombre de caractères par ligne, ce qui pose des problèmes de lisibilité, si vous avez 120 caractères sur une ligne, ce qui est bien long, ou si 40 caractères sur deux lignes correspondent à 1,20 seconde du jeu, ça rend le tout difficilement lisible et l’on perd la dimension synthétique, voire artistique, du sous-titrage. Pour le doublage existent plusieurs méthodes. Soit on vous demande de faire de la synchronisation audio : vous avez l’extrait audio, sans l’image, quand vous traduisez vous devez rester dans les clous audio. Si le personnage parle durant deux secondes, il faut que lire la traduction prenne deux secondes. Une deuxième méthode est de faire de la traduction en synchronisation labiale, qui aligne les dialogues traduits sur les mouvements des lèvres des personnages, juste à partir de la vidéo, c’est-à-dire à la volée, à vue. Une troisième méthode consiste à faire pré-traduire par un traducteur classique, et ensuite à envoyer cette traduction à des adaptateurs, qui vont légèrement modifier le texte pour l’adapter à une bande rythmo. Il existe probablement une poignée de studios qui travaillent directement sur rythmo, comme en doublage, mais c’est une pratique assez marginale. Le choix entre ces différentes méthodes est une affaire de budget et de coût. Payer la traduction d’un texte de 6 à 8 centimes le mot, puis une adaptation à 15 euros la minute, cela revient moins cher que payer 30 euros la minute à un auteur de doublage, qui travaille directement sur la bande rythmo. B.A. – En jeu vidéo, comment s’organise la traduction ? M.P. – Suivant les jeux il y a un nombre immense de mots à traduire, qui peut dépasser le million. Comme nous sommes dans une industrie où tout doit être fait très vite, on divise cette somme de mots en segments de cinq, dix, quinze, vingt mille mots, qu’on distribue à différents traducteurs. L’utilisation du logiciel évite d’avoir à établir une gigantesque « bible », même si on le fait quand même parfois par précaution. B.A. – Qu’est-ce que la « bible » ? M.P. – La « bible », en jeu vidéo comme en doublage ou en sous-titrage, est un document qui va regrouper plein d’informations sur l’univers du jeu, vous y trouvez un trombinoscope qui déroule un panorama des personnages, leur nom, leur rôle, un tableau des « Tu » et des « Vous », afin de savoir quels personnages se vouvoient ou se tutoient, un glossaire détaillé du jeu, des informations sur le contexte, etc. Ainsi, si vous arrivez sur un projet qui a déjà publié une ou des saisons, ou qui demande une mise à jour, vous n’êtes pas perdu.e. B.A. – Comment s’articule votre travail avec l’utilisation du logiciel ? M.P. – Grâce au logiciel, et à son glossaire intégré, vous pouvez aller voir le travail du collègue, comment est-ce qu’il a traduit ce terme. Le logiciel construit ainsi une base de données, et est en mesure de proposer parfois des pré-traductions, sur la base de vos propres traductions précédentes et des traductions précédentes de vos collègues. Parfois en effet, vous pouvez avoir les mêmes mots, voire les mêmes fragments de segments, qui reviennent dans le jeu. Mettons que dans le jeu vous ayez dix vendeurs, chaque vendeur va dire : « Bonjour Voyageur, comment allez-vous ? », ce fragment de segment va donc apparaître dix fois, et la pré-traduction va vous être proposée dix fois. Le souci, c’est qu’en tant que traducteurs/ auteurs, on ne va pas se contenter de traduire cette phrase de la même façon à chaque fois, on va forcément trouver des variations qui colleront plus au contexte ou aux personnages. Si le logiciel détecte que le segment que vous traduisez est semblable par exemple à 80 % à un segment préalablement traduit, et vous en propose une pré-traduction, dans votre rémunération ce segment vous sera par exemple payé 30 % en moins de votre tarif parce que vous avez bénéficié d’une pré-traduction. C’est ce fameux système de « fuzzy grid » qui est hérité de la traduction pragmatique (juridique, technique, médicale…), et qui est une aberration en traduction de jeux vidéo, où l’on s’efforce de retravailler la pré-traduction le plus possible, pour créer une vraie immersion dans le jeu, et pas simplement un copier-coller prémâché et répétitif. En jeu vidéo, contrairement au cinéma ou aux séries, on travaille souvent sur un projet qui n’est pas terminé. S’il n’y a pas d’images ni de bible de développement, énormément