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Épiphanie(s) – par François Peyrony, compositeur.
Le 6 janvier est la date officielle de la fête religieuse chrétienne appelée « Épiphanie ». Pour beaucoup, c’est surtout l’occasion de s’adonner au rituel de la galette des rois. Sous la table, quand j’étais enfant, tout en sachant qu’hors de ma vue on désignait une part de la galette, je devais répondre à la question qu’on me posait : « Pour qui est cette part que je touche et que tu ne vois pas ? », en nommant un destinataire. J’étais le responsable de l’attribution de la fève ; j’étais le « faiseur de roi ».
Devenu adulte je n’ai plus jamais été faiseur de roi, et je ne comprends pas toujours le partage de gâteau – et qui a la fichue fève – dans les rétributions, au pourcentage, de mes droits d’auteur… Humour d’auteur, me direz-vous. Certes ; mais comme pour l’histoire du Père Noël, ou celle de la petite souris, le roi de la galette est un mensonge proféré par les adultes, au détriment des enfants.
Il existe donc, dans le monde des adultes, des mensonges interdits, et d’autres autorisés ; ces derniers sont sans aucun doute des outils nécessaires à l’exercice de la politique et de la diplomatie…
Le mot « Épiphanie » a un autre sens, plus savant – les auteurs aiment les mots savant – : il signifie « révélation, compréhension soudaine ». Tout le monde a connu ou connaîtra des épiphanies, parfois modestes, et parfois fondatrices d’une nouvelle vie ou d’une meilleure compréhension du monde. Découvrir que le Père Noël n’existe pas est probablement l’épiphanie la plus partagée du monde occidental ; les épiphanies peuvent être douloureuses.
À l’image du livre de Georges Pérec, « Je me souviens », qui est une longue liste de souvenirs de l’auteur, nous pouvons toutes et tous dresser la liste des épiphanies parsemant nos vies. Voici quelques-unes des miennes : comment se raser sans se couper (en gonflant les joues), comment repasser une chemise (mais pourquoi n’ai-je pas appris cela plus tôt ?), réussir une mayonnaise (tout est dans l’ustensile qu’on utilise). Mais aussi : la sixte napolitaine, ce que représente vraiment le logo de Carrefour, l’anatole, et pour finir par une blague, comment reconnaître un pigeon mâle d’un pigeon femelle (facile : forcer le pigeon à s’envoler ; si « il » s’envole, c’est un mâle, si « elle » s’envole, c’est une femelle).
L’épiphanie peut provenir de la communication écrite ou verbale de sentences, proverbes, aphorismes, et ça se comprend, car la pensée y est distillée. Voici celles de mes épiphanies qui ont pris un sens encore plus fort dans le cadre de l’exercice de ma fonction syndicale :
Tout d’abord : « La solidité d’une chaîne est celle de son maillon le plus faible. » Je ne me souviens plus dans quelles circonstances j’ai lu cette phrase mais ce qui est sûr, c’est que ma vie a changé ce jour-là. La métaphore du maillon faible est robuste parce qu’on ne peut pas la contredire ; c’est un truisme lourd de sens. L’attention au plus faible dans un collectif humain, l’attention à l’argumentaire le plus faible dans un argumentaire humain, doit êtretoujours activée, parceque, si ça casse, c’est là où ça va casser. Il faut avoir de la lucidité pour analyser nos faiblesses et ne pas trop se laisser bercer d’illusions sur nos forces. Il faut porter toute notre vigilance aux fragilités de certains, dont la chute pourrait provoquer celle de l’édifice tout entier. À ce titre, le syndicalisme est nécessaire au bon équilibre d’une société, parce qu’il s’attelle aux dysfonctionnements, aux inégalités, aux injustices ; ceux qui font tout pour affaiblir le pouvoir syndical – sans heureusement y parvenir totalement – se trompent lourdement.
Parfois, l’épiphanie s’opère quand on comprend soudain que telle maxime est fausse ou trompeuse ; une sorte d’épiphanie à l’envers. Très récemment, j’ai soudain pigé, grâce à une philosophe, que la célèbre maxime : « Quand on veut, on peut », bien culpabilisante, est inexacte. C’est l’inverse qui est vrai : quand on peut, on veut.
Le syndicalisme tourne autour de l’idée de pouvoir, mais pouvoir en tant que verbe et non en tant que nom commun. La confusion, d’ailleurs, est assez générale, car ce mot, comme la plupart des mots importants, possède plusieurs sens qui peuvent se contredire. Le pouvoir, en tant que nom, du syndicalisme est d’élargir le pouvoir, en tant que verbe, du travailleur, fût-il salarié ou indépendant comme l’est un auteur. Augmenter le pouvoir-verbe, c’est agrandir le champ des possibles, faire sauter les plafonds de verre, élargir l’espace des libertés individuelles et collectives. Alors, dans ces conditions, la volonté peut se libérer du carcan des contraintes, dans un élan créatif et positif.
Enfin, une autre de mes épiphanies s’accorde parfaitement à l’exercice du pouvoir syndical. Elle est due à ma nièce Marie qui, du haut de ses 11 ans et de son implacable logique d’encore enfant, à l’énoncé de la fameuse « goutte d’eau qui fait déborder le vase », a dit calmement : « Le vase déborde, certes, mais d’une seule goutte d’eau. » Une goutte d’eau qui déborde s’éponge facilement avec un Sopalin, et ensuite on s’occupe de vider doucement le vase pour rétablir une marge de sécurité. La goutte d’eau qui déborde, c’est l’alarme, c’est le symptôme annonciateur, ce n’est ni le drame ni la fin.
Dans notre époque si prompte à s’offusquer, à rageusement réagir, commenter, twitter, ayons le pouvoir du papier absorbant, ou mieux, celui du pansement.
Bonne année à toutes et tous !
Portrait Photo de François Peyrony. Crédit : Nathalie Campion.
Cet éditorial a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 160, en Janvier 2025.