Le retour de l’essentialisme. Assignation identitaire et retournement du stigmate – par Jean-Loup Amselle, anthropologue et ethnologue.

Actualités Le retour de l’essentialisme. Assignation identitaire et retournement du stigmate – par Jean-Loup Amselle, anthropologue et ethnologue. Peut-on écrire une femme quand on « est » un homme ? Et réciproquement ? Peut-on écrire un « Blanc » quand on est un « Noir » ? Et réciproquement ? Quid de la traduction française d’un auteur Cherokee ? Les auteurs français ayant une « gueule d’étranger » doivent-ils être cantonnés dans une littérature dite « à part », dite « francophone » ?   Ce sont des questions auxquelles sont confrontés les auteurs, dans le livre, mais pas uniquement. Nombre d’entre eux dénoncent ces assignations identitaires, qui sont à l’origine d’injonctions de contenu remettant en cause la liberté de création. Percival Everett abordait déjà cette problématique dans son roman « Effacement », écrit en 2001 et adapté au cinéma en 2023 sous le titre « American Fiction ». Le Snac a organisé deux webinaires sur cette question : # 1 – Liberté de création & Assignations identitaires : État des lieux. https://youtu.be/WJN9yJrczVQ?si=4X3eOTzTdq0JAaRI # 2 – La catégorie Francophone. https://youtu.be/aB_cks6YrV0?si=e565yTrI3Nh6_9rY Des auteurs comme Shumona Sinha et Bessora ont publié dans le « Bulletin des Auteurs » des textes sur le sujet. Ci-dessous, Jean-Loup Amselle nous propose une réflexion sur le retour de l’essentialisme. Lorsque Césaire et Senghor créent le concept de « négritude », ils s’emparent d’un stigmate infâmant qui leur est accolé, celui de « nègre » et le retournent pour en faire un objet de fierté, une sorte de « black pride ». Vous nous avez insultés en nous traitant de « nègres », nous disent-ils, eh bien soit, nous assumons cette insulte et nous nous en emparons en faisant de ce stigmate une valeur positive. La négritude, telle qu’elle est conçue par Césaire et Senghor, est donc une forme d’essentialisme et elle a été très tôt critiquée comme telle notamment par Jean-Paul Sartre dans « Orphée noir », la préface à la « Nouvelle Anthologie de la poésie nègre et malgache de langue française » de Senghor (1948)[1]. Dans cette préface, Sartre conseille aux Africains de ne pas se tourner vers le passé (« Orphée ») et de considérer que la négritude n’est qu’une phase d’affirmation identitaire sans doute nécessaire mais qui n’est pas destinée à durer puisqu’elle sera vouée à disparaître dans le cadre du socialisme. Là est déjà en germe la notion d’« essentialisme stratégique », telle qu’elle sera développée ultérieurement, comme on le verra, par Gayatri Spivak. La notion de « négritude » s’attirera rapidement des critiques venues de tout bord, celle du philosophe béninois Stanislas Adotevi dans « Négritudes et Négrologues » (1970)[2], lequel voit dans Senghor un suppôt du colonialisme français, celle de l’écrivain nigérian Wole Soyinga pour lequel « le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit » (1966), ou bien encore de Yambo Ouologuem qui, dans « Le Devoir de violence » (1968), renvoie les difficultés de l’Afrique actuelle à la période précoloniale, et donc exempte d’une certaine façon le colonialisme[3]. Le sort de la « négritude » semble donc être scellé en tant que figure majeure de l’essentialisme au profit d’analyses contextualisées des réalités africaines, et cela d’autant plus que Senghor est contesté à cette époque en raison de ses liens très étroits avec l’ancienne puissance coloniale. Mais c’est sans compter avec l’essor des études postcoloniales et notamment des « Subaltern Studies » qui se développent en Inde puis aux États-Unis dans les années 1990[4]. Axées sur une critique de l’historiographie indienne classique, ces études qui s’appuient notamment sur les idées de A. Gramsci et de W. Benjamin, visent à lire les archives coloniales « à rebours » afin de remettre sur le devant de la scène les différentes formes de la conscience populaire telles qu’elles ont émergé dans les grèves et les révoltes indiennes. L’un des membres de cette école historienne, Gayatri Spivak,redonne vie, d’une certaine façon, à la négritude de Senghor et de Césaire en pointant, comme on l’a dit, la nécessité de recourir au concept d’« essentialisme stratégique » dans un but d’affirmation identitaire. Car, après la chute du mur de Berlin, il n’est plus question, comme du temps de Sartre, d’espérer que les identités essentialisées disparaîtront d’elles-mêmes dans le cadre du paradis communiste. Désormais, les expressions culturelles, de race ou de genre, qu’elles soient africaines, indiennes, ou amérindiennes, sont destinées à durer sub specie aeternitatis et ne sauraient donc être un appoint à la lutte des classes. C’est dans cette optique qu’il faut replacer le célèbre essai de Gayatri Spivak « Les Subalternes peuvent-elles s’exprimer ? »[5]. Ce tournant essentialiste n’est pas seulement le fait de celle qui apparaît aujourd’hui comme une figure éminente du féminisme postcolonial. C’est toute l’école des « Subaltern Studies » indienne qui opère, dans une deuxième phase, un changement profond de paradigme avec le départ de certains de ses membres aux États-Unis (Gayatri Spivak, Partha Chaterjee, Dipesh Chakarabarty, etc.) et l’influence conjuguée des idées de la « French Theory » (M. Foucault, J. Derrida, G. Deleuze), de celles de M. Heidegger et de l’ethnologie indianiste (L. Dumont). Désormais, le marxisme, parfois teintée de maoïsme, comme chez le chef de file de ce mouvement – Ranajit Guha, n’est plus de mise. En lieu et place, le projecteur est désormais orienté vers les valeurs essentielles de la culture indienne telles qu’elles figurent notamment dans les épopées comme le Mahabharata ou le Ramayana ou dans la pensée védique (Ashis Nandy). On retrouve cette même inflexion dans la mouvance décoloniale qui présente maintes ressemblances avec le postcolonialisme et apparaît à certains égards comme son prolongement. Dans la pensée décoloniale, le marxisme et la dialectique sont dévalorisés au profit de la mise en avant de ce que E. Dussel, par exemple, nomme l’« analectique », c’est-à-dire des valeurs amérindiennes essentialisées comme la Pachamama ou le « buen vivir ». De la sorte, l’action des entreprises minières capitalistes en Amérique du Sud est vue davantage comme un viol de la Terre-Mère que comme le simple produit de l’exploitation capitaliste. Avec le postcolonialisme et la pensée décoloniale, il se produit un surgissement de pensées alternatives qui s’opposent à l’universalisme perçu comme la résultante de la domination occidentale. On assiste donc au triomphe du relativisme culturel et à la revendication d’un essentialisme identitaire comme chez Norman Ajari ou Houria Bouteldja[6]. Pour ces auteurs, les mœurs et les coutumes de chaque groupe discriminé ne sauraient être mises en cause au nom de l’universalité des droits de l’homme. Elles ne sauraient pas

Les négociations Auteurs/ Éditeurs dans le cadre de la concertation menée sous l’égide du ministère de la Culture – Un entretien avec Emmanuel de Rengervé et Maïa Bensimon, délégué•e général•e du Snac.

Actualités Les négociations Auteurs/ Éditeurs dans le cadre de la concertation menée sous l’égide du ministère de la Culture – Un entretien avec Emmanuel de Rengervé et Maïa Bensimon, délégué•e général•e du Snac. Bulletin des Auteurs – Pouvez-vous faire un premier bilan de la concertation Auteurs/ Éditeurs en cours au ministère de la Culture ?   Emmanuel de Rengervé et Maïa Bensimon – À la suite de la mission Sirinelli, qui n’avait pas abouti à propos de la question de la rémunération des auteurs, dont les éditeurs n’entendaient pas discuter, le ministère de la Culture – Service du Livre et de la Lecture de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) – a établi un programme sur l’ensemble de l’année 2023. La concertation a été organisée autour de différentes thématiques et de la façon suivante : Les parties devaient fournir de la documentation au ministère, pour que ce dernier puisse prendre la mesure de ce qui est demandé au regard de chacune des thématiques. Les services du ministère discutaient ensuite en bilatéral, d’un côté avec le collège Auteurs (composé de représentants du Conseil permanent des écrivains (CPE) dont le Snac, des représentants de la LAP et depuis peu à nouveau de la Charte), de l’autre avec le collège Éditeurs (le SNE). Puis une réunion plénière avait lieu, au cours de laquelle la discussion s’engageait sur la base d’un document de synthèse établi par le ministère sur la position des uns et des autres et sur les propositions que le ministère pourrait faire au sujet de la thématique.   Le CPE et ses représentants [ATLF, Scam, Snac et SGDL] sont la force essentielle du collège Auteurs dans les discussions qui ont lieu. Un premier bilan a été dressé le 11 juillet concernant les quatre premières thématiques abordées durant le premier semestre 2023, et un second bilan a été dressé le 21 décembre dernier concernant les trois secondes thématiques abordées.   1/ Thématique concernant la vente des livres soldés. Le ministère a rappelé la définition juridique du terme « Solde » et que la vente en solde du stock ne peut avoir lieu si le livre est encore exploité, avec un prix différent. Selon les auteurs, si un éditeur solde, c’est qu’il arrête l’exploitation, il doit résilier le contrat d’édition dans sa totalité, et le contrat d’adaptation audiovisuelle aussi. Se pose aussi la question de la rémunération de l’auteur en cas de vente soldée de tout ou partie du stock par l’éditeur à un soldeur. Dans la plupart des contrats aujourd’hui, l’auteur ne touche rien si le stock est vendu avec une remise qui peut être fixée au contrat entre 60 % à 80 % du prix public. Les représentants des auteurs souhaitent que l’auteur perçoive une part significative de revenus si le stock de ses livres est vendu à un soldeur. Les auteurs souhaitent que le stock soit proposé en priorité à l’auteur, et qu’il s’agisse d’une obligation pour l’éditeur. À ce stade, le collège Auteurs et le collège Éditeurs ont des positions différentes, tant sur l’étendue de la résiliation que sur la rémunération de l’auteur en cas de solde du stock. Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 1 : Les services du ministère (DGMIC – SG) proposent une réflexion autour d’une règle nouvelle : l’obligation d’une rémunération proportionnelle de l’auteur en cas de vente de tout ou partie du stock par l’éditeur à un soldeur, sachant que l’assiette de cette rémunération doit être le produit brut de cette vente pour l’éditeur. La détermination du taux de cette rémunération relèverait quant à elle de la liberté contractuelle des parties au contrat d’édition ; une obligation de transparence vis-à-vis de l’auteur, non seulement sur ce produit brut, mais encore sur le nombre d’exemplaires concernés ; la mise en solde du livre rendrait automatique la fin de la partie du contrat d’édition relative à l’exploitation du livre sous forme imprimée à l’issue de l’opération de solde par l’éditeur.   2/ Thématique portant sur l’assiette de la rémunération en cas de cession de droits par l’éditeur à un tiers, dans le cadre par exemple d’une traduction ou d’une reprise en livre de poche. Il s’agit pour les représentants des auteurs d’éviter que l’éditeur puisse diminuer l’assiette par des frais divers, tels les honoraires d’agent. Sur ce point, sous réserve de certains ajustements et de clarifications, il semble possible de parvenir à un accord avec les éditeurs. Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 2 : À l’issue de la réunion plénière, et en s’appuyant sur les points de consensus qui semblent se dégager des discussions entre les deux collèges, les services du ministère de la Culture proposent une nouvelle règle (  une modification du code des usages en matière de littérature générale ou, sous réserve d’une modification de l’article L. 132-17-8 du CPI, de l’accord mentionné au même article) : Qui préciserait que l’assiette de la rémunération due à l’auteur en cas de cession de droits par l’éditeur à un tiers est constituée des sommes hors taxe, comptabilisées et encaissées par l’éditeur. Qui préciserait que l’éditeur ne peut déduire de cette assiette des frais générés par la négociation.   3/ Thématique concernant les ventes de livres à l’étranger. Sur la base du modèle de contrat d’édition établi par le SNE, la plupart des contrats stipulent que le taux de base des droits d’auteur s’applique dans un périmètre restreint, soit la France, soit la France/ Belgique/ Suisse, soit les pays francophones… A contrario de ce périmètre, il s’agit des « Ventes de livres à l’étranger ». Le pourcentage de la rémunération des auteurs peut alors, selon les contrats, être diminué de moitié. Nous constatons être assez éloignés d’un accord avec les éditeurs. La loi ne précise rien sur le taux de la rémunération. Nous demandons que les taux de droits d’auteur soient les mêmes dans tous les cas de figure, sans considération de pays ou de circuits de ventes. Les éditeurs soutiennent pour leur part qu’il est légitime que la rémunération des auteurs baisse si les frais de transports d’un livre sont plus élevés que pour une vente dans le premier périmètre. Extrait

L’auteur aura accès au suivi de ses ventes réelles – Un entretien avec Séverine Weiss, traductrice, vice-présidente de l’ATLF, co-présidente du CPE.

Actualités L’auteur aura accès au suivi de ses ventes réelles – Un entretien avec Séverine Weiss, traductrice, vice-présidente de l’ATLF, co-présidente du CPE. Bulletin des Auteurs – Éditeurs, libraires, diffuseurs et auteurs sont associés dans le projet « Fileas ».   Séverine Weiss – « Fileas » signifie « Fil d’information pour les libraires, éditeurs, auteurs ». Ce projet s’est construit autour de la question du « booktracking », à savoir de la traçabilité des ventes de livres en librairie. Depuis une vingtaine d’années, un procédé technologique permet de faire remonter les « sorties de caisse » grâce au code ISBN. La Grande-Bretagne a été pionnière en la matière. En France, le point de départ a été le rapport Gaymard de 2009, plutôt tourné vers la librairie, mais qui soulignait l’intérêt de cette traçabilité. Au cours des années suivantes, le Conseil permanent des écrivains [CPE], la fédération regroupant les organisations françaises du secteur du Livre, dont l’ATLF, le Snac et la SGDL, a demandé aux éditeurs de travailler avec eux sur cet outil technologique, qui permet d’améliorer l’information fournie aux auteurs sur la vente de leurs œuvres. Cette idée est demeurée un peu l’arlésienne jusqu’à l’année dernière, où la venue d’un nouveau directeur général au Syndicat national de l’édition a donné une nouvelle impulsion au projet, qui avait par ailleurs les faveurs de Vincent Montagne, le président du SNE. Le « booktracking »permet en effet aux éditeurs de mieux gérer les pilons, les réassorts, et d’éviter une réimpression prématurée par ignorance de la quantité définitive des retours. Les auteurs auront donc accès grâce à cette plateforme aux « sorties de caisse » librairie, c’est-à-dire aux ventes réelles – une donnée à différencier des redditions de comptes que l’on reçoit une fois par an (bientôt deux fois par an), qui se fondent sur le flux aller, et éventuellement retour, de leurs œuvres entre distributeur et librairie. Ce sera un outil différent, un complément d’information – sachant que la rémunération des auteurs continuera à se fonder sur les chiffres livrés par la reddition de comptes. Les auteurs pourront savoir au quotidien où ils en sont de leurs ventes, avec un minimum de précision géographique, et ce par ISBN, c’est-à-dire par titre et par édition de leurs ouvrages (y compris les ouvrages numériques et audio). Le seul outil disponible actuellement pour obtenir cette information est GfK. Mais souscrire à GfK est onéreux, un auteur ou un petit éditeur ne peuvent généralement pas se le permettre. De plus, GfK s’appuie sur un panel de librairies assez important, mais en extrapolant. GfK est donc plutôt efficace pour les best-sellers, mais beaucoup moins pour les ouvrages spécialisés, les ouvrages de fonds, les petites éditions. Filéas est conçu comme un outil interprofessionnel, qui servira la chaîne du livre dans son ensemble, les libraires, les distributeurs, les éditeurs et les auteurs. Chacun doit y trouver son intérêt. Le ministère de la Culture a choisi de déléguer la mise en place de cet outil au SNE, qui a recruté une très bonne équipe technique pour le créer. Après quinze années d’inertie, la construction a été rapide, les ateliers de travail se sont succédé, auxquels ont participé tous les intervenants de la chaîne – l’ATLF, la SGDL et le Snac y faisant entendre la voix des auteurs. Cette plateforme devrait peu à peu se mettre en place au cours de l’année 2024, avec un réseau de libraires volontaires important, notamment des librairies indépendantes et des grandes surfaces spécialisées et généralistes. Il s’agit d’un vrai geste de solidarité interprofessionnelle de la part des libraires, qui bénéficient déjà d’outils d’analyse du marché. Pour des raisons techniques il est encore difficile de toucher certains points de vente spécifiques (stations-service, jardineries…), mais l’on espère un effet d’entraînement concernant les librairies. Plus les libraires adhéreront, plus les résultats seront précis. Ces données « libraires » seront récupérées par un tiers de confiance, Dilicom, puis agrégées, et enfin livrées aux différents acteurs de la chaîne en suivant, bien sûr, des canaux de confidentialité. Les auteurs et leurs ayants droit pourront s’inscrire à cette plateforme grâce à France Connect. L’accès à Filéas sera gratuit et leur donnera accès à leurs ventes à J-1, leur pemettant ainsi de mieux anticiper leur rémunération. Pour les éditeurs, il y aura une base gratuite – un véritable atout pour la gestion de trésorerie des petits éditeurs –, puis des options payantes, comme des données supplémentaires de marché. Les diffuseurs auront également accès à cet outil, pour les communiquer à leurs éditeurs et mieux gérer leur stock. Concernant le modèle économique, le SNE a choisi de faire de Filéas une SAS à mission. Le ministère de la Culture, qui participera financièrement à la construction technologique de cet outil, est le garant du caractère interprofessionnel de ce projet. La question encore en suspens et qui demande à être discutée avec les éditeurs sera celle du fonctionnement de cette SAS. Le Conseil permanent des écrivains n’est pas forcément sur la même longueur d’onde que les éditeurs pour l’instant… Nous allons devoir veiller au maintien du caractère interprofessionnel de cette nouvelle structure, jusque dans ses statuts et sa gouvernance, et travailler avec le SNE pour que les auteurs soient associés de manière juste et équitable à ce nouvel organisme, que nous espérons évidemment viable à long terme et au service de toute la chaîne du livre. Photo : Séverine Weiss. Crédit : CPE. Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 156 du Snac, en janvier 2024.

La Défense du droit d’auteur – Et aussi l’occasion lors de ce bref regard en arrière d’un petit au revoir… – Un entretien libre avec Emmanuel de Rengervé

Actualités La Défense du droit d’auteur – Et aussi l’occasion lors de ce bref regard en arrière d’un petit au revoir… – Un entretien libre avec Emmanuel de Rengervé Emmanuel de Rengervé a cessé son activité comme délégué général du Snac. Maïa Bensimon lui a succédé.   Bulletin des Auteurs – Au cours de votre longue présence comme délégué général du Snac, comment la défense du droit d’auteur a-t-elle évolué ? Emmanuel de Rengervé – J’ai été engagé par le Snac parce que je suis juriste de formation avec une spécialisation en droit d’auteur. J’ai eu de l’angoisse, du stress et des satisfactions à faire ce travail qui consiste à épouser la cause des auteurs et, pour cela, à aller les rencontrer et les écouter. Les causes à porter pour défendre les auteurs que le Snac assiste concernent des hommes et des femmes de métiers, de parcours, d’expériences et d’humanité très divers. L’intérêt de la fonction que j’ai occupée au Snac est d’avoir une vision transversale de ce qu’il se passe pour les auteurs de différents secteurs (de la musique, du livre, de l’audiovisuel, du spectacle vivant), dans des mesures différentes, au fil du temps, selon les sujets et les dossiers, avec un renouvellement des questions, des problèmes, et des moyens à mettre en œuvre pour essayer de les traiter, sur le plan national, européen, voire international. Parce qu’il est toujours régulièrement attaqué, directement ou indirectement, il faut défendre le droit d’auteur (la possibilité juridique pour les auteurs d’espérer vivre de leur métier et des fruits de l’exploitation de leurs œuvres). Il faut se souvenir de quelques-uns des débats enflammés qui se sont déroulés sur des sujets internationaux comme par exemple d’abord sur l’exception culturelle (dans les années 1990) ou après, celui sur la diversité culturelle (dans les années 2000). Les questions concernant la libre circulation dans l’Union Européenne, des biens, des marchandises, des services, ont aussi fait l’objet de travaux longs et difficiles. Dans l’esprit de certains et de plus en plus dans les trente dernières années, le droit d’auteur est considéré comme une entrave à la liberté de commerce et au développement de l’économie de certaines entreprises au sein de l’Union Européenne. Pour quelques économistes écoutés dans l’Union Européenne, les biens culturels, auxquels appartiennent les œuvres de l’esprit, sont des biens ou des produits comme n’importe lesquels. Vu sous cet angle, les auteurs et leurs sociétés de gestion collective sont des entraves à la libre expression des « lois du marché ». Le Snac intervient sur les divers sujets sociétaux qui peuvent avoir pour effet de changer la relation des auteurs avec les diffuseurs ou les exploitants de leurs œuvres mais aussi avec le public. Le public est de plus en plus envisagé comme un simple consommateur, le droit de la consommation venant parfois se mettre en opposition avec le droit d’auteur. Si je jette un œil sur mes trente-six années (et des poussières) de présence au Snac, le constat est que nous avons tenu notre rôle pour participer activement à la défense du droit d’auteur et des intérêts des auteurs (y compris pour leur régime de sécurité sociale, de retraite et leur fiscalité), mais que pour autant rien n’est jamais réglé de façon définitive… Bien des choses ont changé pour les auteurs, quels que soient les secteurs, et bien des choses aussi en ce qui concerne l’exploitation des œuvres. Il y a infiniment plus de possibilités d’exploitation des œuvres aujourd’hui dans certains secteurs. La fabrication aussi a changé. Par exemple, dans le domaine du livre, le support par lequel l’auteur remet son œuvre à l’éditeur, la façon dont un éditeur va pouvoir fabriquer le livre, en termes de maquette comme d’impression, ont totalement changé au fil du temps. Cependant un livre reste un livre. Et, pour le moment, le support papier est le même qu’il y a quarante ans. Pour autant, le livre numérique est bien là, même si pour le moment il ne représente qu’un faible chiffre d’affaires. Dans le domaine musical, du vinyle ou de la cassette, on est passé, à la fin des années 1980, au CD. Mais il restait une économie reposant toujours sur la consommation de support physique. Puis le Peer to Peer (pair-à-pair, le téléchargement illégal de musique) est apparu dans les années 2000, c’est-à-dire le piratage de masse. La mutation de la musique vers le modèle d’exploitation dématérialisée, streaming ou autre, étant une mutation nécessaire, elle a entraîné des évolutions très importantes concernant les flux économiques pour les auteurs et compositeurs. Pour la production de musique à l’image, l’environnement n’a majoritairement plus rien à voir avec ce qu’elle était dans le passé, surtout si le compositeur se charge de fournir les enregistrements nécessaires à son propre outil de travail. Les évolutions très importantes dans les conditions d’exploitation des œuvres par divers opérateurs a provoqué l’arrivée dans certains secteurs de l’industrie culturelle de personnes qui ne connaissaient rien à la relation des auteurs avec les diffuseurs de leurs œuvres, et qui ont voulu, parce qu’elles venaient d’autres horizons, instaurer d’autres règles. Ces nouvelles règles furent parfois meilleures mais le plus souvent elles ont constitué des attaques contre les droits ou les intérêts des auteurs. La propriété littéraire et artistique c’est la reconnaissance par la loi de la propriété des auteurs. Mais les droits d’auteur, ce sont aussi les droits qui vont être cédés ou transférés par l’auteur à des cessionnaires de droits ou à des organismes de gestion collective de droits. La gestion collective est le seul moyen pour l’auteur d’espérer renforcer son pouvoir dans la négociation avec les opérateurs pour essayer d’obtenir ce qu’individuellement il ne parviendrait pas à négocier. La loi sur le droit d’auteur avait pour fondement juridique et pour objectif principal de protéger la partie faible contre la partie forte dans la relation Auteurs/ Diffuseurs d’œuvres. L’équilibre de cette relation a été considérablement changé avec les gigantesques concentrations industrielles aux mains d’un nombre limité d’entreprises. C’est vrai dans tous les domaines : l’audiovisuel, le livre, la musique, le spectacle vivant… La situation oppose désormais un être de

La rémunération proportionnelle doit entrer dans les mœurs. – Un entretien avec Christophe Héral, compositeur de musiques de jeux vidéo, membre du groupement « Musiques à l’image ».

Actualités La rémunération proportionnelle doit entrer dans les mœurs. – Un entretien avec Christophe Héral, compositeur de musiques de jeux vidéo, membre du groupement « Musiques à l’image ». Bulletin des Auteurs – Quelles sont les pratiques qui régissent la rémunération des compositeurs de musiques pour les jeux vidéo ? Christophe Héral – Dans les années 1990, les éditeurs de jeux vidéo proposaient aux compositeurs français des contrats sous la forme juridique du « Work for Hire » : « Je t’achète ton œuvre et elle m’appartient ». Une telle cession incluait le droit moral. Aucune rémunération proportionnelle n’était consentie. Aux États-Unis, même sous le régime du Copyright, certains compositeurs peuvent avoir une rémunération liée à l’exploitation de l’œuvre, en tant que co-producteurs, la valeur de leur talent, de leur nom, étant considérée comme un capital apporté à l’entreprise. Le pékin moyen, lui, n’a droit à rien. L’intervention de la Sacem, s’appuyant sur le droit de la propriété intellectuelle, s’est révélée contre-productive, dans la mesure où elle est devenue la bête noire de l’industrie du jeu vidéo, dont le chiffre d’affaires dépasse depuis cinq ou six ans celui du cinéma dans le monde. Les compositeurs français, voire européens, ont été ainsi mis au ban des maisons de production. La jurisprudence actuelle a statué, affirmant que le jeu vidéo n’est pas qu’une œuvre collective, mais est une œuvre collective et de collaboration, et que les graphistes, les scénaristes, c’est-à-dire les auteurs de la narration, comme les compositeurs, sont soumis aux règles de l’œuvre de collaboration. On peut nommer ce qui a été créé, et les gens qui l’ont créé. La musique peut être extraite d’un jeu et avoir une vie autonome, comme dans toute œuvre audiovisuelle. Je crée pour le jeu vidéo depuis 1999. Je suis peut-être à l’origine de cette nouvelle position de la Sacem, que j’avais alertée sur ce type de contrat, quand je travaillais sur « Beyond Good and Evil ». Dans un premier mouvement la Sacem m’avait répondu que, dans ces conditions, je n’avais pas le droit de créer pour le jeu vidéo. J’ai opposé qu’une société d’auteurs ne pouvait m’interdire, à moi auteur, de travailler avec un autre auteur, à savoir le réalisateur du jeu. « Faites-le, mais ne le dites pas », m’a-t-il alors été conseillé. Au moment de la signature du contrat avec Ubisoft pour la musique de « Tintin and the secret of the Unicorn », le jeu officiel du film « Le Secret de la Licorne », comme un bon petit soldat j’ai recontacté la Sacem, où Catherine Kerr-Vignale, directrice de la SDRM [Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique] m’a confirmé la position de son organisme. Je me sentais une responsabilité, alors que je pouvais travailler dans cette industrie, vis-à-vis des jeunes compositeurs qui m’interrogeaient parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi, à cause de leur nationalité, les maisons de production les éconduisaient. Et ça continue aujourd’hui. J’étais assez proche de Catherine Kerr-Vignale, ensemble nous essayions de trouver une solution. À l’occasion de la signature du contrat pour « Rayman Origins », la Sacem n’était toujours pas prête. Mon nom figurait sur les jacquettes, mais ma musique était intégrée au jeu vidéo, sans sortie physique audio. Par ailleurs je ne pouvais pas cotiser via la Sacem à l’assurance Retraite. J’avais une société, qui facturait à Ubisoft. Est arrivé « Rayman Legends ». J’ai exposé à la Sacem qu’elle autorisait un de ses membres à traverser hors des clous. C’est enfin un jeu intitulé « Just dance » qui a permis l’élaboration d’un contrat qui autorisait à encapsuler dans un jeu vidéo des musiques préenregistrées, qui appartenaient déjà au catalogue de la Sacem. Ce contrat s’est ensuite appliqué à la musique originale, dans le cadre d’un accord tripartite, entre la Sacem, l’éditeur de jeu vidéo et le compositeur. Désormais, un premier contrat me lie à l’éditeur pour un tiers de la somme en jeu. C’est un contrat normal de producteur à compositeur. Un deuxième contrat lie l’éditeurà la Sacem pour les deux tiers restants, d’entreprise à entreprise, qui oblige l’éditeur à une reddition des comptes, avec droit de contrôle pour la Sacem. Les frais de gestion de la Sacem s’élèvent à 5 %. La facture Ubisoft/ Sacem est décorrélée des répartitions, ce qui permet de payer plus rapidement les droits d’auteur. B. A. – Grâce à vos actions répétées, les difficultés se sont ainsi aplanies. Ch. H. – Le jeu vidéo a quand même essuyé quelques plâtres, parce que les ressources humaines de la Sacem n’étaient pas à la hauteur. Une seule personne avait en responsabilité Apple Music, toutes les licences liées à l’exploitation numérique, et le jeu vidéo, ce qui générait des délais de réponse pas acceptables par les éditeurs. Peut-être que le jeu vidéo, et ses musiques, n’étaient pas assez considérés. Depuis 2023 Louis Fritsch s’occupe exclusivement du jeu vidéo, devenant ainsi la personne référente qui établit la passerelle entre les compositeurs, éditeurs et Sacem. B. A. – La voie est-elle ouverte désormais aux jeunes compositeurs et compositrices ? Ch. H. – Le problème juridique demeure, car le jeu vidéo est globalisé. Une musique pour un jeu est pour le monde entier. Si l’éditeur français ne peut vendre son jeu à un diffuseur américain, la situation est bloquée. Le fait d’être français empêche toujours de travailler. La loi internationale s’impose à la loi française, ou européenne. C’est la loi du marché. Les États-Unis ne veulent pas entendre parler d’une rémunération proportionnelle. Le créateur de Batman, ou de n’importe quel personnage chez Marvel, peut très bien mourir dans la dèche. Le syndicat national des éditeurs de jeux vidéo [SNJV] ne facilite pas l’application de l’accord tripartite. Quant à l’Association française pour le jeu vidéo [AFJV], elle déconseille totalement de travailler avec des compositeurs français, surtout s’ils sont membres de la Sacem. Quand un éditeur demande à un auteur d’agir hors la loi, il se met en péril. Si le compositeur se rebiffe devant le tribunal de grande instance, l’éditeur perdra. Faire appel à un compositeur français est donc un risque. B. A. – Les compositeurs réagissent-ils ? Ch. H. – On peut réagir quand on a le ventre

Interroger le lien entre auteur, compositeur, éditeur – Un entretien avec Pierre Thilloy, compositeur, membre du groupement « Musiques contemporaines ».

Actualités Interroger le lien entre auteur, compositeur, éditeur – Un entretien avec Pierre Thilloy, compositeur, membre du groupement « Musiques contemporaines ». Bulletin des Auteurs – Une nouvelle journée « Musique & Créations » se prépare pour 2024.   Pierre Thilloy – La journée « Musique & Créations » du 30 novembre a été organisée grâce à l’investissement soutenu du groupement « Musiques contemporaines » et d’un premier soutien financier de la SEAM [Société des Éditeurs et Auteurs de Musique]. Cette subvention, financée par la rémunération pour copie privée, a été renouvelée et augmentée pour l’année 2024 autour d’un nouveau projet. Nous proposons un regard non seulement sur les compositeurs, mais aussi sur les auteurs, et par effet de rebond, in fine sur l’éditeur : le Snac est le seul syndicat qui soit transversal à tous les métiers de la création, d’où cette idée, partagée et discutée avec Henri Nafilyan et le groupement, de réfléchir sur la relation entre auteurs et compositeurs. Si les compositeurs ont tendance à travailler sur des poèmes de Verlaine ou de Baudelaire, qui sont dans le domaine public, ou préfèrent, à l’instar de Wagner, écrire eux-mêmes le texte, on peut se demander pourquoi. Wagner est un grand compositeur mais n’est pas toujours pas considéré à ce jour comme un grand auteur. Est-il dommage qu’il n’ait pu s’adjoindre la plume d’un grand auteur ? Qu’est ce qui a conduit à une telle démarche que l’on retrouve de plus en plus aujourd’hui ? Peut-on ou doit-on regretter l’époque des mélodies (ou des lieder), quand la relation entre compositeur et auteur était directe ? On était alors dans une période où l’on créait, avant de se préoccuper des contrats. La SEAM regroupe également les éditeurs. Nous avons pensé intéressant d’interroger ce lien entre auteur, compositeur, éditeur sans qu’il soit pour autant restrictif. Il existe des tensions perpétuelles, par exemple dans l’opéra, au moment de la répartition des droits entre les 300 ou 400 pages de musique et le texte du livret, ou n’importe quel opus musical nécessitant du texte, deux écritures qui n’occupent pas le même temps linéaire. Un débat serait-il le bienvenu, qui permette d’élaborer une charte des bonnes pratiques, voire de s’entendre sur des fourchettes de répartition, qui éviteraient que naisse une tension là où il n’y en a pas besoin, ou la question est-elle trop sensible pour l’aborder frontalement ? La deuxième idée de notre projet est d’organiser cette nouvelle journée non à Paris, mais à Mulhouse, ville transfrontalière et proche aussi bien de l’Allemagne que de la Suisse, nous permettant ainsi d’inviter nos collègues d’outre-frontières à participer activement et débattre de cette question, ouvrant alors aussi sur la question de traduction (le cas du Faust de Goethe dans la traduction de Nerval est évidemment en ligne de mire pour ouvrir vers la traduction et l’appropriation d’un texte). L’invitation des sociétés d’auteurs de ces pays voisins nous permettra – peut-être – de connaître l’état de la relation entre auteurs et compositeurs chez eux et de créer l’embryon d’une réflexion européenne sur le sujet. ECSA [European Composer & Songwriter Alliance] et EWC [European Writers’ Council]serontsollicités pour participer à ces échanges. L’idée de nous réunir en province est aussi bien évidemment une manière de ne pas oublier que si Paris est la capitale de la France, elle n’en n’est pas pour autant la France et qu’il est revigorant de développer une activité qui ne sera pas centralisée. Nous défendons ainsi l’idée que les membres du Snac puissent également s’investir là où ils résident, faisant abonder leurs propres réseaux vers cette idée fondamentale qu’est la défense du droit d’auteur. Il est prévu à ce titre de travailler avec la formation LP GEPSAC [Licence Professionnelle en Gestion des Projets et Structures Artistiques et Culturels] de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Haute-Alsace où nous allons impliquer les étudiants de cette formation sur deux promotions dans ce projet, en continuité des invitations que nous avons déjà faite en 2022-2023, ce qui entre dans leurs compétences, et parce que nous souhaitons les initier au mieux à ce qu’est la défense du droit d’auteur. La mission première du Snac est de défendre la notion de droit, moral et patrimonial. Les étudiants doivent s’emparer très vite de cette notion, au moins pour en avoir conscience car dès lors que nous sommes en contact avec des étudiants, nous avons le devoir moral de sensibiliser les décideurs de demain sur ces aspects. Les étudiants qui suivent cette formation ne sont pas des artistes, ce sont de futurs administrateurs, qui ne doivent pas être ignares en la matière. Depuis de nombreuses années, nous avons pu observer un glissement de la culture vers le spectacle de divertissement. Trop de décideurs politiques sont devenus des incultes notoires. Pour eux la culture est ce qui est vu ou connu (le meilleur étant le label « vu à la TV »), ce qui est mondain. Le temps a montré que la culture est exactement l’inverse. (Je vous invite à relire (ou lire) le visionnaire et extraordinaire ouvrage La crise de la culture d’Hannah Arendt sans omettre l’efficace et implacable S.O.S. Culture de Serge Regourd). Nous essaierons également de toucher un public plus jeune, notamment au lycée, dans les classes musicales en horaires aménagés et les prépas littéraires, toujours dans l’esprit de sensibilisation nécessaire à ce domaine qui nous est cher. Enfin, pour finir comme nous avons commencé, le Snac étant pluriel, nous allons proposer aux auteurs de bande dessinée d’entrer dans cette discussion. Nous avons la musique à l’image, nous avons eu quelques tentatives (un peu bancales) de musiques de livres, la BD a un côté script rapide qui s’accorderait bien à la musique. Tout comme pour la première édition, cette journée se bâtira avec les auteurs. Elle aura pour but d’ouvrir un débat qui n’a pas encore eu lieu et qui est pourtant fondamental. Nous pouvons nous éclairer les uns les autres sur les problématiques que nous rencontrons. À demeurer dans un entre-soi, on s’étouffe. Nous avons besoin de l’avis de chacune des corporations, auteurs, compositeurs, éditeurs de textes ou de musiques. Photo :

« Comment une Charte des bonnes pratiques dans le Spectacle vivant protégera-t-elle les auteurs et autrices ? » par Camille Dugas, scénographe, membre de l’Union des Scénographes (l’UDS est membre du Snac), François Peyrony, compositeur, Olivier Cohen, dramaturge

Actualités « Comment une Charte des bonnes pratiques dans le Spectacle vivant protégera-t-elle les auteurs et autrices ? » par Camille Dugas, scénographe, membre de l’Union des Scénographes (l’UDS est membre du Snac), François Peyrony, compositeur, Olivier Cohen, dramaturge Photographie de Camille Dugas. Crédit : Doriane Fréreau. Photographie de François Peyrony. Crédit : François Peyrony. Photographie d’Olivier Cohen. Crédit : Manuel Gouthière. Les autrices et auteurs du Spectacle vivant souhaitent écrire et que soit adoptée une « Charte des bonnes pratiques » dans le Spectacle vivant. Nous avons posé à trois auteurs de ce secteur la question : « Comment une Charte des bonnes pratiques dans le Spectacle vivant protégera-t-elle les auteurs et autrices ? * Une Charte des bonnes pratiques dans le spectacle vivant permettra de mettre en lumière certaines dérives, malheureusement monnaie courante dans nos métiers artistiques, et de servir d’appui aux créateurs lorsqu’ils y sont confrontés. Peut-être, alors, en sera-t-il terminé : des créations signées par un autre que celui qui les a réalisées, des commandes livrées mais jamais rémunérées, des créations originales réutilisées sans même que l’auteur en soit informé, du non-respect de la qualité et des droits des auteurs, des heures de travail non prises en compte et jamais rémunérées, et de toutes autres mauvaises pratiques dont nous allons prendre connaissance en enquêtant auprès des créateurs, dans les domaines de la scénographie, de la musique de scène, des créations lumière et costume, de la chorégraphie, notamment. En effet, les auteurs du spectacle vivant sont particulièrement touchés par ces dérives, alors même qu’ils sont souvent dans une situation précaire. Cela est dû à plusieurs facteurs : une tradition orale très forte qui empêche d’avoir des traces écrites des commandes et donc de pouvoir prouver les choses en cas de litige, une demande quasi systématique de commencer à travailler sans avoir signé aucun contrat, une commande de maquettes très en amont, pour espérer avoir une aide financière pour un projet qui ne verra souvent, malheureusement, jamais le jour, l’accaparement par un seul auteur des droits d’une œuvre pourtant collective, une volonté économique, bien cachée sous des intentions écologiques, de réutiliser des œuvres originales sans l’accord de leur auteur, et tout autre facteur qui apparaîtra lors de l’enquête préalable. L’existence de cette Charte, idéalement validée par toutes les parties, permettra : aux auteurs de pouvoir se protéger et se défendre, en ayant connaissance de ce que doivent être les bons usages, les bonnes pratiques, aux institutions de disposer d’un cadre de référence pour s’assurer du rôle et de la place de chacun, aux producteurs de prévoir des garanties pour les créateurs, lorsqu’ils leur passent commande, que la production ait lieu ou pas, aux jeunes générations qui débutent dans nos métiers de disposer de références solides pour ne pas accepter des conditions inacceptables. Camille Dugas, François Peyrony, Olivier Cohen Cette Tribune libre a été oubliée dans le Bulletin des Auteurs n° 155.