Attentive vis-à-vis de l’Intelligence artificielle – Un entretien avec Marine Tumelaire, artiste illustratrice et coloriste de bande dessinée, représentante du groupement Bande dessinée.

Actualités Attentive vis-à-vis de l’Intelligence artificielle – Un entretien avec Marine Tumelaire, artiste illustratrice et coloriste de bande dessinée, représentante du groupement Bande dessinée. Bulletin des Auteurs – Êtes-vous en alerte face à l’IA ?     Marine Tumelaire – Je préfère dire que je suis attentive vis-à-vis de l’Intelligence artificielle, car plusieurs points posent problème quant au respect du droit d’auteur. Il faudrait que les pouvoirs publics communiquent plus sur la question, car on se sent seul. L’IA est un outil comme un autre, mais son utilisation doit être encadrée. Elle est aux mains de grandes entreprises, américaines pour la plupart, qui la nourrissent du travail et de la réflexion d’artistes de chair et d’os. Cette entité va ensuite générer des images qui vont enrichir l’entreprise qui l’a construite. Les artistes n’ont pas donné leur accord en amont pour que leurs œuvres soient utilisées. Ils n’ont reçu aucune rémunération en contrepartie. Au final, à qui appartient l’œuvre réalisée grâce à l’IA ? Même si un artiste crée une image à partir de l’IA, à qui appartient l’œuvre qu’il a ainsi créée ? Si une maison d’édition crée une image grâce à l’IA, à qui appartient l’exploitation des droits ? Selon les créateurs de MidJourney, l’image générée leur appartient. Et surtout qu’en est-il des artistes qui ont été utilisés à la source ? Qu’en est-il de la propriété intellectuelle ? On ne peut pas faire comme si il n’y avait pas de question. B. A. – Le morcellement et le mélange des sources n’empêchent-il pas l’exercice du droit d’auteur ? M. T. – Un accord préalable semblable aux traitements des données commerciales sur internet peut être appliqué. L’opt-out pour être en dehors du système et l’opt-in si l’on est d’accord avec une exploitation. Une rémunération des artistes auteurs doit être ensuite exigée. Il faut étudier comment cette rémunération pourrait être appliquée. Mais l’artiste doit avoir la possibilité de refuser, en amont, que son œuvre, son travail de toute une vie, soit utilisée. Actuellement, les gens du métier peuvent distinguer ce qui est issu de l’Intelligence artificielle. Peut-être bientôt ne pourra-t-on plus faire la différence entre IA et un travail d’un ou une autrice. Le grand public ne peut déjà pas faire cette distinction du tout. Les lecteurs doivent être informés si ce qu’ils achètent est un produit issu de l’Intelligence artificielle ou de l’œuvre originale d’un·e artiste. Le nom des artistes est présent sur les créations. Il doit en être de même pour une réalisation avec IA. C’est de la transparence et cela peut relever aussi d’un achat militant pour le public. Nous devons alerter sur le risque de perdre un savoir-faire. Le savoir-faire est l’alliance de la main et de l’esprit. Un artiste apprend, réfléchit, comprend les connotations de l’image, et se perfectionne tout au long de sa carrière. L’IA génère des images sans réflexion, sans jamais rien créer de nouveau, puisque toujours à partir d’œuvres qui lui préexistent. Dans les écoles d’art, nous essayons que chaque élève développe son art avec sa propre identité, sa propre écriture graphique. L’IA est un beau jouet facile à utiliser qui pour l’instant génère des images assez semblables. Le fait de sa simplicité d’utilisation peut amener les entreprises à ne passer que par elle. Cela pourrait appauvrir le savoir-faire et donc la culture, c’est envisageable. B. A. – N’existe-t-il aucune régulation ? M. T. – On a l’impression que c’est ouvert aux quatre vents, que les entreprises d’IA font ce qu’elles veulent. L’Intelligence artificielle est déjà là, elle fonctionne, et nous courons derrière en essayant de nous organiser pour nous protéger. Elle risque de nous échapper totalement dans des mesures incroyables. Ce n’est pas normal. On ne peut pas imposer un schéma d’exploitation sans concertation avec les principaux concernés. Les auteurs et leurs organisations professionnelles partagent leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux, il faut continuer pour que cela soit entendu, seule une intervention de l’État pourrait réguler. Heureusement les artistes du monde entier se mobilisent, et chaque jour le sujet avance et de nouvelles mobilisations sont constatées. Il y a un projet européen de régulation qui est en préparation, l’« IA Act ». Nous en saurons plus fin 2023 début 2024 apparemment… Ce que je pourrais conseiller aux jeunes auteurs·trices, ce serait de ne plus partager sans précaution leurs travaux sur Internet. Par exemple et depuis des années, je fais toujours des photos de mon travail, très rarement des post « propres ». L’angle de vue n’est pas droit, il inclut ma table de travail, des ombres et lumières nuancées sur les dessins, dues à la photo. Cela les rend inexploitables pour une impression et certainement pour un générateur d’images. Je partage mes travaux édités toujours en très basse définition au niveau des pixels pour empêcher une quelconque impression hors de mon contrôle. Ainsi on peut tout de même voir ce que je fais. Car les réseaux sociaux sont essentiels pour notre visibilité. Je ne dis pas que procéder ainsi va empêcher le pillage, mais peut-être le ralentir un temps. B. A. – Des auteurs utilisent l’Intelligence artificielle. M. T. – Oui, c’est un outil comme un autre au départ et le choix de l’utiliser est propre à chaque individu. Personnellement je ne l’utilise pas pour mon propre travail. J’ai mes créations, mes propres histoires, c’est la recherche et le perfectionnement personnels qui me passionnent. C’est certainement plaisant de générer des images avec des prompts, mais ça ne fait pas partie de mon process de travail et personnellement je ne tirerais aucun plaisir à travailler de manière professionnelle quand on sait ce que cela engage vis-à-vis du travail des artistes du monde entier. Je ne puis répondre à la place de ceux qui utilisent l’IA. Mais il y a toujours cette question au final : à qui appartient l’image créée grâce à l’IA ? Celles et ceux qui l’utilisent doivent être attentifs à ce que les droits d’exploitation leur appartiennent bien. Mais n’oublions pas les artistes à la source, c’est ça la clef ! Les gens vont s’approprier l’Intelligence artificielle, mais qu’est-ce que cela va devenir, tout est incertain là-dessus. B. A.  – Vous n’êtes ni pour ni contre l’Intelligence artificielle.

La protection sociale de l’artiste auteur : Écris un bestseller ou tais-toi ! – par Olivier Cohen, dramaturge, membre du groupement Théâtre, Scénographie, Danse.

Actualités La protection sociale de l’artiste auteur : Écris un bestseller ou tais-toi ! – par Olivier Cohen, dramaturge, membre du groupement Théâtre, Scénographie, Danse. « Compose le “Boléro” ou “Born to be alive”… Scénarise un blockbuster… Sois téléchargé un million de fois ou tais-toi ! » : alors qu’il apparaît comme indispensable à tout livre, spectacle, art visuel, concert, film, dramatique enregistrée, roman graphique, alors qu’il conditionne production, diffusion, médiation des œuvres, alors que sans lui rien ne se fait, rien ne se crée, l’auteur reste la seule personne non salariée dans le projet. Sur un plateau de théâtre ou d’opéra, dans une salle de concert, toutes et tous sont rémunérés, du technicien au comptable, du scénographe au régisseur, du comédien au musicien, hormis le créateur de l’œuvre, celui sans qui l’évènement n’a pas lieu. Le statut d’auteur n’existe même pas comme profession en tant que telle, par exemple au sein des AEM (attestation employeur mensuelle, seul document validant une activité auprès de Pôle Emploi par exemple). Seule l’œuvre est considérée et génère un revenu patrimonial, assimilable à une location. Pourtant, un compositeur doit souvent contribuer aux répétitions, expliquer, revoir sa partition, épauler le chef. De même un auteur doit retravailler son œuvre, la présenter, la commenter, l’expliquer, parfois faire répéter les acteurs. Une telle absurdité tient au statut particulier des créateurs d’œuvres de l’esprit. Contrairement par exemple au régime des intermittents du spectacle, qui jouissent de la présomption de salariat, et bénéficient des avantages inhérents à la condition de salariés, les artistes auteurs, eux, n’ont pas de « subordination » à un employeur, du moins en principe. Comment comprendre pourtant les incitations, demandes, objectifs imposés aux scénaristes, aux auteurs de théâtre ? Ou les commandes sur un thème imposé avec distribution obligée… et délai de livraison ? Les artistes auteurs ne sont pas considérés comme des travailleurs, alors que le spectacle, le concert, le livre ne peuvent exister sans leur incessante et active participation. Ils toucheront « leurs droits » et devraient en être satisfaits, puisque tout le monde travaille pour eux ! On peut juste objecter qu’un droit d’auteur ne rémunère que l’exploitation de l’œuvre et qu’elle est souvent partagée avec des éditeurs, et versée avec un retard de plusieurs mois sinon de plusieurs années, quand elle est versée… Pourtant, la plupart des œuvres (opéra, scénarii, romans, BD) peuvent impliquer des mois, voire des années de travail. Comment accepter qu’elles génèrent pour l’auteur un salaire dix fois inférieur à celui des interprètes, même si ces derniers ne consacrent que quelques heures au projet ? De manière cynique, les plus grandes structures expliquent encore parfois que la diffusion d’un texte, d’une partition, d’un scénario, d’une illustration constitue une excellente publicité et que pour cela il paraît normal qu’elle soit chichement rétribuée, sans avouer les salaires, les bénéfices incroyables parfois générés indirectement par l’œuvre. Il faut ajouter à cette indignité que l’auteur, le compositeur, le dessinateur, ne sont pas protégés lors de leurs actions, de leurs déplacements puisqu’il ne s’agit pas de travail… Il est heureux qu’aucun d’entre eux ne se blesse lors de leurs… comment dire ? visites amicales. Nous assisterions sans doute à un bel imbroglio administratif. J’ai même récemment découvert la belle invention d’« Allocation de droits d’auteur » proposé par une scène nationale alors que la tâche imposée inclut déplacements, activités sur le terrain, dialogue avec les acteurs du projet, etc. Alors que chaque travailleur se voit soutenu, aidé lors des épreuves de la vie, notamment par un système de chômage, l’artiste auteur bénéficie d’un triste privilège : celui de vivre selon les lois du XIXe siècle : devoir gagner assez d’argent pour se débrouiller seul ou crever ! Il peut pourtant vivre des moments difficiles dont les origines lui sont étrangères, par exemple la crise du disque qui a généré d’énormes baisses de revenus, une maladie, un accident, un burn-out… Et cette indignité, cette iniquité appauvrit, et tue : combien d’artistes auteurs ne bénéficient d’aucune protection ? Combien ne peuvent compter sur un revenu décent, malgré un travail acharné ? Récemment Alexandra Lazarescou, traductrice de deux pièces dans le « In », n’avait pas même été invitée à leur lecture et, malgré son désir, n’avait pas les moyens de se rendre au Festival, qui aime les auteurs, mais les oublie quelque peu lorsqu’ils ne font pas partie du cénacle. À plusieurs reprises, nous avions discuté de ses inquiétudes quant à la récupération de son travail par un réalisateur, de sa précarité, de la difficulté à se faire régler ses droits, de l’absence de considération, de l’oubli de son travail… Il y a quelques jours, épuisée sans doute, elle a mis fin à ses jours à 42 ans. Que cette brève contribution lui soit dédiée. Olivier Cohen Cette Tribune libre a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 155. Photographie d’Olivier Cohen. Crédit : Manuel Gouthière

Pour une musique nouvelle – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création.

Actualités Pour une musique nouvelle – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création. Pour inventer la musique d’aujourd’hui, il ne suffit pas de renouveler ses sonorités et ses formes, il faut en même temps transformer sa fonction, son utilité.   C’est par ce double mouvement qu’une musique nouvelle pourra surgir et se développer. On parle beaucoup dans les cénacles d’une « crise du langage » que nous traverserions. Par sa décision de table rase, la génération précédente nous a légué, en même temps qu’une grande rigueur de recherche, un grand retard dans la formation du public, sinon parfois une totale déchirure d’avec lui. Que nous tissions un nouveau réseau, que nous rendions la relation au public à nouveau nécessaire dès l’origine de l’œuvre, alors les problèmes esthétiques se poseront de manière beaucoup plus naturelle, donc créative. Si crise il y a, c’est plus d’une crise d’utilité que d’identité qu’il s’agit. Souvent la musique contemporaine suscite l’ennui, car aucun véritable public ne peut s’identifier ni à son discours, ni à ses enjeux, ni à ses structures. Il est temps que la musique nouvelle regarde vers l’avenir, en s’adressant au plus grand nombre. Il est temps que le compositeur cesse de considérer son public comme une projection mimétique de lui-même. Il est temps que le mouvement enclenché par un Vilar au théâtre atteigne enfin le rivage musical. L’époque des métaphores militaires (« l’avant-garde ») étant révolue, il est temps d’appareiller vers le large. Que la musique nouvelle sorte de ses labos, de ses studios, de ses ghettos ! Qu’elle se mêle à la rumeur de la cité, aux autres arts du spectacle, aux supports réels du monde réel ! Qu’elle confronte les résultats de ses recherches à la narration de son temps ! Qu’elle s’abreuve aux courants populaires ! Qu’elle envahisse les ondes et les images, si elle croit en son pouvoir ! Le temps n’est plus aux artistes-prophètes, mais aux artistes entrepreneurs, occupant sereinement une nouvelle place dans la cité. La musique dite contemporaine regarde la musique dite actuelle avec mépris ; celle-ci lui renvoie sa crainte et son envie. Elles travaillent pourtant avec les mêmes outils. L’époque semble s’habituer à cette totale séparation du genre « commercial » (pour le peuple) et du genre « culturel » (pour l’élite). Les créateurs n’ont pas à entériner cette coupure dans l’art musical d’aujourd’hui, sous peine de se transformer en fonctionnaires de l’art. Le pire vice de ce système n’est-il pas de nommer classique une œuvre avant que celle-ci ait trouvé son utilité communautaire ? Il est temps que ces mondes fusionnent. La musique n’est pas un supplément de culture pour élite fatiguée. Elle est le mouvement profond, l’élan de l’âme, l’imaginaire dramatique pur. Elle lie le corps et l’esprit, elle relie l’homme à sa condition. Il est temps qu’elle retrouve sa véritable utilité : langue de l’âme et des passions, formatrice du goût, révélatrice de l’expression. Dans ce mouvement, les musiciens (dits « interprètes ») retrouvent une place primordiale de chercheurs pratiques, qu’ils avaient magnifiquement occupée à l’âge baroque. Il est temps que cette économie-là, ce circuit-là, si propre à l’art musical, se libère de l’hypertrophie du rôle du compositeur. Il est temps que d’autres auteurs surgissent pour la musique, mutants, pratiques et théoriques, joueurs et scribes, poètes et saltimbanques. Pour une musique nouvelle, il est temps d’inaugurer de nouvelles pratiques. Denis Levaillant Cette Tribune libre a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 155. Photographie de Denis Levaillant. Crédit : Julie Levaillant.

L’IA doit nous pousser à agir, réagir, imaginer – ce qu’elle est incapable de faire ! – Un entretien avec Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Snac, membre du groupement Musiques à l’image.

Actualités L’IA doit nous pousser à agir, réagir, imaginer – ce qu’elle est incapable de faire ! – Un entretien avec Pierre-André Athané, compositeur, président d’honneur du Snac, membre du groupement Musiques à l’image. Bulletin des Auteurs – À la suite de son Assemblée Générale à Londres, Ecsa publie une déclaration à propos de l’Intelligence artificielle.   Pierre-André Athané – Oui, Ecsa dans cette déclaration pose le principe de la primauté de l’humain sur la machine et affirme de nouveau que le droit patrimonial des auteurs et leur droit moral doivent être préservés ; que l’utilisation des œuvres protégées doit donner lieu à déclaration et rémunération ; que les auteurs doivent avoir l’option de l’opt-in/ opt-out,c’est-à-dire la possibilité d’autoriser ou de retirer leurs contenus utilisés par l’IA. Par ailleurs un « AI Act » est en train d’être examiné au Parlement européen, et ECSA suit de près l’évolution des choses. Dans le cadre d’une journée organisée par Ivors Academy, organisation d’auteurs proche du Snac, à la suite des réunions ECSA de Londres, le député européen Axel Voss est venu nous présenter l’esprit de l’AI Act : « Le Parlement européen reconnaît les bénéfices potentiels et les enjeux de l’Intelligence artificielle et essaie d’élaborer un cadre global pour réguler son utilisation ».  L’Europe essaie donc d’imaginer, sans grande audace si l’on s’en fie à cette déclaration, une régulation qui se base sur le respect des droits, des bonnes pratiques. En tout cas on se penche sur la question en sachant que là encore la lutte entre lobbies fera rage. Peut-être arrivera-t-on à des lois, des règles ? Souhaitons-le, sachant qu’au sein de l’Europe, tout est extrêmement lent, et que doivent ensuite advenir des décrets d’application dans chaque pays. De plus, en juin 2024 auront lieu de nouvelles élections européennes, donc tout peut être remis en question. La route sera longue. L’IA va mille fois plus vite… B. A. – La composition musicale est-elle menacée ? P.-A. A. – Dans certains secteurs comme le doublage sous-titrage, les métiers d’auteurs et autrices semblent déjà affectés par l’Intelligence artificielle ; ce n’est pas encore le cas dans la musique, et pour moi ce ne le sera jamais vraiment. L’IA ne parviendra jamais à la complexité et à la finesse d’une création humaine. Et si je me trompe je plains l’humanité qui vivra un tel non-sens, un tel chaos. Globalement, on fonctionne trop sur des fantasmes, comme de dire que l’IA serait la dernière invention humaine. Je pense que c’est excessif. L’humain aura toujours la main d’une manière ou d’une autre. Dans le domaine de la musique, des outils d’aide à la composition existent déjà, permettent par exemple de développer nos capacités à créer à partir de ce que nous avons antérieurement composé. Personnellement cela ne m’intéresse pas trop, parce que je préfère le faire par moi-même. Mais certains peuvent être tentés. Pour aller où ? Sur le site Beatoven, qui s’adresse aux utilisateurs de musique, on peut demander à l’IA, sur la base de mots clefs, une mélodie de tel style, de telle rapidité, de tel ton, par exemple pop, rapide, joyeux, joué par tels ou tels instruments. Le résultat en est extrêmement médiocre. Cela va s’améliorer et on parviendra probablement à générer une musique de flux, un fond sonore plausible voire comparable à ce que font de mauvais compositeurs. L’IA saura vite faire de la musique de perroquet. Mais des obstacles vont intervenir : un blocage du dépôt à la Sacem, une impossibilité d’obtenir l’aide CNC si c’est une musique de film, etc. Le piège, ce serait peut-être des créations bâtardes, de compositrices ou compositeurs qui utiliseraient partiellement ou totalement l’IA et signeraient le résultat. Nous verrons bien. On va aller plus vite à fabriquer une musique de mauvaise qualité sans doute, mais je ne m’inquiète pas trop pour la vraie création. Quand on est compositrice ou compositeur, on connaît la complexité de la composition, ce qui en fait sa singularité, qui est attachée à une personne et son destin, une pensée et ses cheminements complexes, et ne peut être imitée. Faites imiter du Éric Satie par l’IA ? Le résultat en sera toujours lamentable. Les commanditaires, les professionnels, et une très grande partie du public feront la différence. Créer de la musique c’est d’abord communiquer un récit, le développer. L’auteur qui crée est un humain qui s’adresse à des humains, ceux qui reçoivent cette création veulent pouvoir admirer l’autrice ou l’auteur, le reconnaître, l’identifier et s’identifier à lui. L’Intelligence artificielle dite « générative » ne peut pas créer cette adresse aux autres. Elle peut au mieux être un gros jouet malin et rigolo. Elle ne séduira vraiment que les médiocres. Dans la musique, la technologie existe depuis toujours, elle commence avec la fabrication d’instruments. Tous les outils qui servent la créativité sont intéressants, une certaine forme d’IA n’est donc pas sans utilité. Un participant à cette journée d’Ivors Academy disait : « L’Intelligence artificielle n’est rien qu’un outil pour résoudre des problèmes. La musique n’est pas un problème à résoudre. » Il ajoutait que nous devons penser à ce que l’IA peut faire, non pas à ce qu’elle peut nous faire. J’aime assez cette approche. On doit considérer toutefois par prudence, par réalisme, que pour tous les métiers de la création il y a potentiellement un danger, une menace, y compris pour l’emploi, alors les organisations professionnelles, les gouvernements, les OGC, les institutions (CNM, CNC ou autres) l’Europe se mobilisent et ont raison de le faire. Peut-être aussi que l’IA pourra produire des outils afin de se réguler elle-même. Elle pourrait par exemple détecter ce qui est généré par elle-même ? Pourquoi pas ? Parmi les initiatives intéressantes évoquées à Londres, signalons celle de The Human Artistry Campaign. On peut signer la pétition proposée, et aussi adhérer à cette organisation, qui défend un certain nombre de principes, dont le fait que la technologie a toujours bénéficié à l’expression humaine, et que l’IA ne peut fonctionner autrement que comme un nouvel outil à son service. Visiblement, nombreux sont ceux ou celles qui en parlent, parfois trop, parfois pour ne rien dire, mais cela traduit une prise de conscience intéressante des

La Responsabilité du groupement « Musiques à l’image » – Un entretien avec Siegfried Canto, compositeur.

Actualités La Responsabilité du groupement « Musiques à l’image » – Un entretien avec Siegfried Canto, compositeur. Bulletin des Auteurs – Vous êtes le nouveau responsable du groupement Musiques à l’image au Snac.   Siegfried Canto – Je prends la succession de Yan Volsy et suis déterminé à me montrer à la hauteur de cette grande responsabilité. Comme beaucoup d’entre nous, c’est parce que j’ai régulièrement été confronté à de mauvaises pratiques dans mon activité que j’en suis venu à adhérer au Snac. La singularité de ce syndicat, qui fédère plusieurs groupements aux problématiques communes me semblait un bon principe. C’est dans ce type de cadre que l’on peut mettre en place un lieu d’échange et de réflexion idéal pour, in fine, faire avancer des sujets essentiels et défendre le droit des auteurs. Depuis quelques années que je suis au Snac, je me suis de plus en plus investi. B. A. – Quels sont les chantiers en cours ? S. C. – En premier lieu l’édition coercitive (ou l’accaparement éditorial), qui concerne toutes les musiques mais est endémique dans notre secteur. Nous devons mener un réel travail pédagogique auprès des producteurs et de nos tutelles. Les producteurs et éditeurs n’instaureront des pratiques plus vertueuses que s’ils sont cadrés par une institution comme le Centre national du Cinéma, qui est un grand financeur de la Musique à l’image. Nous avons récemment signé avec le CNC des accords (pour l’audiovisuel et le cinéma) relatifs aux clauses types subordonnant l’attribution des aides. C’est un bon début et nous souhaitons maintenant prolonger ce dialogue. Comme c’est maintenant le cas à la Sacem sur les aides en musique à l’image, nous souhaiterions que les financements du CNC dans ce secteur soient conditionnés au respect de certaines règles quand le producteur impose de prendre l’édition. À l’unisson avec les autres organisations de compositeurs (Unac, U2C) nous appelons de nos vœux une concertation sur ce sujet. Entendons-nous bien, nous ne sommes pas hostiles aux éditeurs. Au contraire, au Snac nous pensons que de « vrais » éditeurs – ceux qui font leur travail et assurent l’exploitation permanente et suivie des œuvres en trouvant régulièrement de nouvelles synchro, envoient les redditions de compte, etc. – sont de réels partenaires pour les compositeurs et des acteurs importants de la filière musicale. Ces bonnes pratiques, pourtant contractuelles, sont malheureusement très rares en musique à l’image. Nous défendons juste la liberté des compositeurs de travailler ou non avec l’éditeur de leur choix. Mais certains chantiers avancent bien ! En ce moment, une concertation a lieu avec le ministère de la Culture au sujet du rapport Bargeton sur le financement de la filière musicale. Le rapport recommande notamment de créer une taxe sur les revenus du streaming musical, afin de donner au Centre national de la Musique des moyens en accord avec sa mission. Le Snac y est partie prenante, aux côtés d’autres organisations professionnelles d’auteurs, de la Sacem, de la CSDEM, des syndicats de producteurs ainsi que d’autres acteurs de la filière. Par contre, nous attendons toujours l’arrêté d’extension du code des usages et des bonnes pratiques dans l’édition musicale, signé en 2017. Nous espérons aboutir rapidement à un accord avec le ministère. Le groupement a unanimement décidé de se pencher sur le secteur du jeu vidéo : nous devons ouvrir un vrai chantier sur des pratiques de rémunération des auteurs qui sont réellement discutables. Comme dans tous les groupements du Snac, l’Intelligence artificielle nous préoccupe particulièrement. C’est un des grands défis des années à venir. Nous appelons à une extrême vigilance et prudence. Il faut bien faire la différence entre l’outil et ses applications. Nous sommes au moment charnière d’une vraie révolution et bien malin celui qui pourrait prédire l’avenir. L’Intelligence artificielle constitue un immense progrès dans des domaines comme la médecine, les sciences. Ce peut être un formidable outil de travail pour les compositeurs, mais il faut rester très attentif sur l’Intelligence artificielle générative (IAG). Le Snac a fait paraître un communiqué de presse en juillet qui appelle à la mise en place d’outils techniques et juridiques permettant aux auteurs d’autoriser ou non l’utilisation de leurs œuvres pour nourrir les IAG (opt-in et opt-out). Nous appelons à un positionnement clair des pouvoirs publics sur ce sujet et travaillons avec différentes organisations européennes (Ecsa et IWC) et internationales (Cisac). La qualité de la musique produite par les IA est aujourd’hui encore assez médiocre, mais cela évolue vite, l’usage qui en sera fait est vraiment à surveiller. Globalement on observe qu’il y a une prise de conscience des acteurs de la culture sur ces enjeux, il faut donc rester optimiste, attentif, vigilant et définir avec l’aide des pouvoirs publics des cadres de travail sains qui préservent les intérêts des auteurs. B. A. – Maïa Bensimon va succéder à Emmanuel de Rengervé dans la responsabilité de déléguée générale. S. C. – J’ai énormément appris au contact d’Emmanuel de Rengervé, qui en plus de ses qualités humaines, est d’une grande rigueur professionnelle et partage avec générosité ses connaissances. Le Snac lui doit beaucoup, il va nous manquer. Nous accueillons Maïa Bensimon, notre nouvelle déléguée générale, avec enthousiasme, pour effectuer avec elle le travail à venir. La diversité et la richesse de son parcours professionnel lui permettront assurément de relever les défis que représente par définition un syndicat transversal et multisectoriel. B. A. – Comment animerez-vous l’esprit du groupement Musiques à l’image ? S. C. – Encore une fois, je me place dans la continuité du travail de Yan Volsy. Le groupement fonctionne très bien, les participants sont actifs, c’est un lieu où la parole et les idées circulent librement.  Beaucoup de nos membres représentent le Snac dans les organisations professionnelles, comme la Sacem, Ecsa, les institutions comme le CNM, le CNC, l’Afdas. Ils font entendre la voix du Snac. C’est un plus. Il y a cependant des points sur lesquels nous pouvons encore progresser. Il me semble important aujourd’hui que nous augmentions et surtout féminisions les adhésions, en musique comme dans l’ensemble des groupements. Nous devons convaincre les compositrices, et plus largement les autrices, qu’elles ont leur place au Snac. Nous

Porter la parole des auteurs – Un entretien avec Maïa Bensimon, Déléguée Générale du Snac

Actualités Porter la parole des auteurs – Un entretien avec Maïa Bensimon, Déléguée Générale du Snac Bulletin des Auteurs – Quel est le parcours qui vous a amenée à avoir envie de venir au Snac ?   Maïa Bensimon – Je dis souvent en riant qu’étant une artiste ratée, mes études m’ont naturellement portée vers le droit d’auteur – à la place de devenir dessinatrice, j’ai fait du droit pour aider les auteurs. J’ai eu cette chance de pouvoir le pratiquer dès mes premières années d’exercice dans le cabinet d’avocats où je suis arrivée après avoir passé le Barreau. J’y suis restée dix ans, en concentrant le plus possible ma pratique sur le droit d’auteur, autant en contentieux qu’en conseil. Nous avions de beaux dossiers, comme disent les avocats, avec des auteurs, des labels et des éditeurs, dans le domaine des arts, de la musique et du livre. Je dois beaucoup à une conseillère en droit des auteurs et compositeurs, Élizabeth Cornaton, qui nous a quittés récemment. Elle a passé des heures à m’expliquer le circuit des droits et les clefs de répartition Sacem. C’était pour moi, à 25 ans, à s’arracher les cheveux, mais j’adorais ces moments. Je profite de votre question pour lui rendre hommage. C’est pendant ces années que La Martinière a assigné Google pour son site « Google Livres ». J’ai alors eu la chance de pouvoir représenter les intérêts de la Société des Gens de Lettres. Nous avons œuvré aux côtés des éditeurs et du Syndicat National de l’Édition à l’époque pour empêcher que cette idée de la « culture gratuite pour tous » ne vienne abîmer le droit d’auteur. Nous avons gagné en 2009 mais hélas, cette idée était déjà présente partout, dans la musique et le cinéma, avec le piratage, et elle est devenue la diatribe de tous ceux qui pensent qu’il faut opposer accès à la culture et droit d’auteur. Au cours de mes dernières années au cabinet, j’avais de plus de plus d’auteurs de livres ou des musiciens (auteurs et compositeurs de musique actuelle surtout) qui venaient me voir, sans avoir les moyens financiers nécessaires. Quand le poste de responsable juridique à la SGDL s’est libéré et qu’on me l’a proposé, c’était un réel soulagement de consacrer mon temps – sans compter – à assister les auteurs. Pendant les huit ans passés à la SGDL, j’ai travaillé aux côtés d’Emmanuel de Rengervé sur les dossiers de fond traités par le Conseil Permanent des Écrivains (le CPE), notre fédération des auteurs de livres en France. Je connaissais le Snac du temps de mon cabinet, pour l’avoir rencontré dans des dossiers. J’ai appris beaucoup de choses grâce à Emmanuel. Je lui en suis très reconnaissante. C’est au cours de ces années que je suis retombée alors sur le débat de la « culture gratuite » au cours des débats sur la Directive droit d’auteur. Nous avons beaucoup travaillé tous ensemble du côté des titulaires de droits à faire adopter ce texte fondamental. Lorsque j’ai su qu’Emmanuel se préparait à partir, venir au Snac m’a paru être la continuité évidente de mon évolution au sein du secteur des organisations d’auteurs. Je ne me vois nulle part ailleurs qu’à leur service. B. A. – Vous prenez ainsi le relais d’Emmanuel de Rengervé. M. B. – Je vais pouvoir passer un trimestre en binôme avec Emmanuel de Rengervé et c’est très précieux ! J’en suis ravie. Il me faut ce temps d’observation afin de bien comprendre les enjeux et les pratiques de chaque secteur défendu par le Syndicat. Je suis notamment heureuse de me replonger dans l’actualité du monde de la Musique et de me mettre à jour des problématiques des autres groupements. Pouvoir le faire avec Emmanuel qui a vu les secteurs culturels évoluer depuis plus de trente ans, c’est une chance. En complément, je souhaite également rapidement rencontrer les auteurs, autrices, compositeurs et compositrices de chaque groupement du Snac pour les entendre sur leurs expériences et leurs besoins. Après quelques jours, je vois bien que le Syndicat a une activité très riche ! La BD, le théâtre, les albums jeunesse, la commande de musique à l’image, les auteurs de sous-titres et de doublages, etc. J’ai hâte d’échanger et de conseiller les auteurs de tous ces secteurs différents. J’aurai aussi besoin d’Emmanuel pour m’imprégner du Snac : son histoire, ses missions, etc. J’espère me mettre dans la continuité de son travail mais ne pourrai jamais vraiment le remplacer, ce sera autre chose, forcément. B. A. – Quelles sont les perspectives de votre nouvelle responsabilité ? M. B. – Il faut permettre au Snac d’accompagner les auteurs dans ce siècle qui nous bouleverse, tant par la rapidité de la circulation de l’information que par le niveau d’exigence du public d’accès à la culture et et par les développements technologiques tels que l’intelligence artificielle que je préfère appeler personnellement l’Informatique Avancée (IA) ! Peut-être encore plus aujourd’hui qu’auparavant (et ce n’est même pas sûr), il faut que le droit d’auteur et la nécessité de le respecter soient compris à l’extérieur du monde de la culture, par les pouvoirs publics bien sûr mais aussi par les consommateurs et les acteurs des nouvelles technologies. Il faut arrêter d’opposer en permanence le droit d’auteur à tout un tas d’autres « droits » ou « libertés » ou « avancées technologiques ». La démocratie ne peut se passer du droit d’auteur qui permet de rémunérer les auteurs – qui dit rémunération, dit des auteurs qui peuvent se vouer à leurs arts et à leurs œuvres et atteindre un niveau de qualité telle que cela participe à la culture et à la construction saine de la société dans laquelle on vit. Les auteurs sont la base de la culture, il faut la rendre solide. J’aime beaucoup mon précieux triptyque « ART » à cet égard, pour les auteurs, très simple à suivre finalement ! Autorisation, Rémunération, Transparence : ce n’est pas si compliqué, n’est-ce pas [rires] ? Alors c’est sûr que lorsqu’on parle du code de la propriété intellectuelle ou du code de la sécurité sociale ou encore du code général des impôts, ça donne mal à la tête à tout

Une entrée collective des audiodescriptrices et audiodescripteurs au Snac – Un entretien avec Dune Cherville, Cécile Mathias, Tatiana Taburno, audiodescriptrices, et Ouiza Ouyed, relectrice d’audiodescriptions.

Actualités Une entrée collective des audiodescriptrices et audiodescripteurs au Snac – Un entretien avec Dune Cherville, Cécile Mathias, Tatiana Taburno, audiodescriptrices, et Ouiza Ouyed, relectrice d’audiodescriptions. Photographie de Dune Cheville. Crédit : Karoll Petit / Hans Lucas. Photographie de Cécile Mathias. Crédit : Lewis Wingrove. Photographie de Ouiza Ouyed. Crédit : Katia Lutzkanof. Photographie de Tatiana Taburno. Crédit : Antonio Cinefra. Durant l’été, le Snac a observé une adhésion importante et collective des autrices et auteurs d’audiodescription. Nous avons demandé à quatre d’entre elles quelle a été la genèse de ce mouvement. Dune Cheville est audiodescriptrice et « voix », c’est-à-dire artiste interprète d’audiodescriptions, depuis une vingtaine d’années ; Cécile Mathias est autrice d’audiodescriptions depuis 2018 et traductrice FALC (Facile à Lire et à Comprendre) ; Ouiza Ouyed est relectrice non-voyante d’audiodescriptions depuis 2003 ; Tatiana Taburno est interprète et, depuis quatre ans, autrice de sous-titrages et d’audiodescriptions. * Bulletin des Auteurs – Le Snac salue cette entrée importante et collective des audiodescriptrices et audiodescripteurs. Dune Cherville – Des audiodescripteurs, comme Laurent Mantel ou Héloïse Chouraqui, adhéraient déjà au Snac, et pouvaient nous conseiller sur un plan juridique. Nous menons avec eux notre combat pour que les audiodescripteurs puissent bénéficier des droits de diffusion, qui nous sont jusqu’à présent refusés, bien que nos audiodescriptions passent et repassent sur les chaînes de télévision. Nous étions déjà persuadé·e·s de l’importance d’être syndiqué·e·s, un événement récent a fait que nous avons besoin d’être réuni·e·s collectivement sous l’égide du Snac. Bulletin des Auteurs – Pouvons-nous rappeler en quoi consiste l’audiodescription ? Dune Cherville – C’est un procédé technique né aux États-Unis à la fin des années 1980, qui commence à s’imposer en France, notamment parce que depuis le 1er janvier 2021, tous les films qui ont l’agrément CNC, soit 350 films par an, ont l’obligation d’avoir la piste audiodescription et le sous-titrage SME (Sourds et Malentendants). C’est un métier d’auteur, d’écriture. Nous sommes des traducteurs d’images. Nous partons d’une page blanche et traduisons des images au fur et à mesure que le film se déroule, en prenant bien en compte l’architecture sonore du film, pour laisser les reliefs des bruitages, de la musique, laisser vivre les silences, les dialogues. Nous nous insérons de manière discrète, mais essentielle, puisque nombre de films seraient inaccessibles sans l’audiodescription. Une minute de film représente une heure de travail. Notre texte n’est pas fait pour être lu, mais entendu. Un comédien va donc interpréter, dans un deuxième temps, le texte, dont l’enregistrement va être mixé avec la bande-son du film, en studio, par un ingénieur du son. Cécile Mathias – Nous ne devons pas interpréter, mais nous devons analyser et traduire le message du metteur en scène. Chaque film est différent, notre travail n’est pas mécanique, c’est un travail d’orfèvre. Ouiza Ouyed – Je relis de nombreux auteurs, chacun a sa manière d’écrire, c’est un travail d’analyse en effet, et d’immersion dans l’œuvre cinématographique, vivante ou muséale. Tatiana Taburno – C’est une traduction sensible. On ne peut pas totalement se défaire d’une part de subjectivité. Nous sommes spectateurs·rices, individuellement, d’une œuvre originale et nous allons par la suite donner à voir et à interpréter, mais on ne doit aucunement imposer une interprétation. Il ne s’agit pas d’une explication. Donner à voir signifie dans ce cas permettre à chacun de laisser jouer son imaginaire pour développer un avis et un ressenti qui lui est propre, à partir de l’œuvre originale, de la même façon que trois voyants·es iront voir un même film, au même horaire, dans la même salle de cinéma et n’auront pas le même ressenti. Dune Cherville – Il y a une phrase très belle, d’une cinéaste aveugle, qui dit : « L’audiodescription, c’est comment par les yeux d’un autre, et surtout par les mots d’un autre, des images s’animent sur l’écran de mon regard intérieur. » Cécile Mathias – La dernière étape, c’est avec Ouiza, et d’autres personnes comme elle. Ouiza Ouyed – Je ne représente personne, mais un métier, oui, celui de la relecture. Nous, relecteurs aveugles, notre rôle est de vérifier avec l’auteur la fluidité de l’écriture, le sens, et justement que cette transmission des images, de l’intrigue, des émotions, des rires, des pleurs, soit bien sensible et cohérente, et que ce visionnage soit riche pour tout le monde, sachant que le public des non-voyants ou des malvoyants est un public aussi varié que celui des gens qui voient clair. L’audiodescription doit se fondre dans l’œuvre cinématographique sans la trahir. Tatiana Taburno – Cet aspect collaboratif et artisanal est fondamental et doit être préservé. Bulletin des Auteurs – Quel est l’événement qui menace désormais vos métiers ? Tatiana Taburno – Ce qu’il se passe a trait à l’intelligence artificielle générative et va bien au-delà de l’audiodescription. Nous sommes confronté·e·s à l’arrivée de nouveaux outils connectés et basés sur l’IA. Ces outils sont développés sur le principe des logiciels de doublage et sont amenés, in fine, à nous remplacer. Ils fonctionnent selon une architecture complexe et puissante d’algorithmes qui eux-mêmes sont nourris par la créativité humaine. Se pose donc nécessairement la question de l’éthique, de la dimension créative, de la propriété intellectuelle, des droits d’auteur, puisque nous sommes auteurs·rices d’une œuvre originale, bien qu’elle-même dérivée d’une première œuvre originale. Intégrer nos textes dans ces logiciels connectés et basés sur l’IA revient à nourrir la bête, en somme. Via ces algorithmes, les logiciels vont emmagasiner une mémoire colossale et l’IA pourra opérer une mise en lien de toutes ces données, mais une mise en lien dénuée de sensibilité. Il s’agit de mettre en garde contre cette perte de sensibilité et alerter sur un risque majeur pour nos métiers. Les auteurs·rices se transformeraient en correcteurs-exécutants de machines. Le gain de temps n’est absolument pas garanti. Une correction en bonne et due forme peut prendre autant de temps qu’une écriture originale et la liberté de création s’en retrouve biaisée. Par ailleurs, quid du statut d’auteur·ice, du rôle des relecteurs·rices, des ingénieurs du son et des comédiens·ne·s qui pourraient être remplacé·e·s par des voix de synthèse si aucun cadre législatif ne s’impose ? De nombreuses réactions voient le jour au sein d’organisations professionnelles, de

12 octobre 2023, premier épisode de la saison, n° 78 de votre série préférée, Snac, les auteurs en action – par Bessora, présidente du Snac

Actualités 12 octobre 2023, premier épisode de la saison, n° 78 de votre série préférée, Snac, les auteurs en action – par Bessora, présidente du Snac J’ai découvert cette série en 2004, je n’en avais jamais entendu parler, alors que c’était la seule qui me correspondait le plus : elle était transversale. Chorégraphes, audiodescripteurs, scénaristes, écrivains, compositeurs, illustrateurs, dramaturges… et un tas d’autres métiers dont j’ignorais l’existence, regroupés sous la bannière du Snac ! Pour les défendre tous, il faut des moyens. Le financement des organisations professionnelles est l’une des intrigues où l’on rencontre le plus d’obstacles. Pourtant, la représentativité des organisations a été mesurée par l’État dans l’épisode 32 de la saison n° 76, afin de constituer le CA de l’organisme de sécurité sociale des auteurs. Moi j’ai envie de dire aux scénaristes qu’il y a peut-être là une piste à creuser… Depuis, donc, ma découverte de Snac, les auteurs en action, je n’en ai pas loupé un épisode. Enfin si, j’ai loupé un épisode de la saison 73, où nos héros votent pour participer à la fondation de la Ligue des Auteurs Professionnels, initiant un « spin-off » Snac, membre fondateur, administrateur et démissionnaire de la Ligue. À la saison suivante, nos héros n’ont pas d’autre choix que rompre la convention qui les lie depuis des années à La Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse, parce que deux ou trois représentants de cette organisation pratiquent le harcèlement en ligne… Mes amis, les harceleurs sont de retour et, bien qu’ils aient un peu changé de visage, un nouveau spin-off est peut-être en préparation. Il s’appellerait Si on organise des élections, les parasites comme le Snac disparaissent. À suivre… Il y a quelques années, j’ai passé un casting pour le rôle de la Vice-Présidente dans la série originale. J’ai été prise avec un certain nombre d’autres aspirants ! Depuis, j’ai intégré cette équipe et j’ai l’honneur d’y jouer désormais le rôle de Bessora, la présidente cumularde. J’étais donc particulièrement heureuse, le 12 octobre dernier, du déroulement de l’épisode 1 de la nouvelle saison. Nous y voyons apparaître Maïa Bensimon, ancienne avocate et directrice juridique dans le rôle de la déléguée générale en tuilage. L’épisode 1 était d’autant plus émouvant que le plus ancien personnage, Yoda, alias Emmanuel de Rengervé, quitte la série en janvier prochain : Bollywood lui a fait une proposition qui ne se refuse pas. Yoda tiendra donc le rôle titre dans Cnav, la retraite du DG. Selon certaines sources bien informées, Alia Bhatt lui donnerait la réplique. La nouvelle saison de Snac… promet d’être riche : les protagonistes continueront de négocier, avec aplomb, les virages casse-gueules qui se profilent devant eux : intelligence artificielle générative, transition écologique, rémunération, liberté de création, administration de la sécurité sociale des auteurs… Nos héros parviendront-ils à pérenniser le financement du Centre National de la Musique ? Et les aides à la création dans tout ça ? Un colloque est annoncé pour l’épisode 3, le 30 novembre prochain, qui portera sur les conditions de création dans la musique contemporaine. Dans le Livre, le Snac participera aux différents rounds de négociations, qui sont devenues des discussions. Nos héros ont beaucoup de mal à avancer sur ce sujet : les éditeurs ont évacué la question du partage de la valeur. Mais aussi, quelques organisations présentes confondent Négo avec cours de droit magistral et vendetta. Côté ministère, on compte les coups. Palpitant ! Retrouvez les meilleurs moments des dernières saisons sur la chaîne Youtube du Snac ! Assignations identitaires, succession, retraite complémentaire ! Ainsi nos héros échangent-ils avec l’Ircec au sujet du précompte producteur, notamment. Et puis, vous n’êtes pas sans l’ignorer, le CA du Raap sera renouvelé en fin d’année. Cet épisode promet d’être sanglant s’il se déroule comme il y a six ans ! Souvenez-vous, épisode 7 de la saison 72, Si je ne suis pas élue, je fais un procès à l’Ircec avec le fric de mon orga et je démolis les élus sur les réseaux sociaux. Rassurez-vous, rien d’anormal, comme chacun sait l’engagement et le militantisme sont parfois les cache-sexes d’ambitions très personnelles. Et puis pas de bonnes séries sans antagonismes ! En ce qui concerne les héros de Snac, auteurs en action, pas de dérogation à leur objectif thématique : To serve and to protect les auteurs (et leurs intérêts moraux et patrimoniaux). Cet éditorial a été publié dans le Bulletin des Auteurs n° 155. Photographie de Bessora. Crédit : Antoine Flament.