Assignation identitaire ? – par Shumona Sinha, autrice. SNAC

Actualités Assignation identitaire ? – par Shumona Sinha, autrice. SNAC Les premiers webinaires sur les assignations identitaires se sont tenus les 15 mars et 23 juin 2023. Vous pouvez les visionner via ces liens : 15 mars : http://www.snac.fr/site/2023/06/auteurs-en-action-liberte-de-creation-et-assignations-identitaires-1-2/ 23 juin : http://www.snac.fr/site/2023/06/webinaire-les-auteurs-en-actions-assignation-identitaire-categorie-francophone/ En ouverture de ces webinaires, Bessora rappelait la définition de l’assignation identitaire, donnée par le musée de l’Homme en 2017, à l’occasion de l’exposition « Nous et les autres » : « Alors que chacun se définit en fonction d’un contexte, où d’éléments qu’il souhaite mettre en avant, l’assignation identitaire renvoie l’individu à une identité figée en lui attribuant des traits physiques, culturels ou psychologiques, propres à son groupe d’appartenance, qu’il soit réel ou supposé. » Shumona Sinha, romancière, autrice de « L’autre nom du bonheur était français », a confié au Bulletin des Auteurs n° 153 (en avril 2023) la publication de ce texte : Non. Aucune maison d’édition ne m’a jamais imposé, ni refusé, un projet de livre sous prétexte identitaire. Aucune maison d’édition n’a jamais cherché à définir ma supposée identité, ni ethnique, ni genrée, ni sociale. L’appréciation fut toujours, invariablement, littéraire. Non, aucun libraire n’a jamais choisi ni rejeté mes livres sous prétexte identitaire. Et non, aucun journaliste ne m’a jamais donné ni refusé la parole sous prétexte identitaire. En France. Dans mon pays natal, l’Inde, les choses sont légèrement différentes. Parlant de l’Hexagone, si je n’ai connu aucune ASSIGNATION identitaire : Alors pourquoi prendre la parole ici, pourquoi accepter l’invitation pour m’exprimer sur ce sujet ? C’est parce que ce que j’ai connu et que je continue à connaître ce n’est pas l’assignation mais une obsession identitaire. Aucune imposition, mais bien une passion, hexagonalement répandue, qu’on me fait vivre. Je suis née à Calcutta, en 1973 ; j’ai appris le français à 22 ans et je suis arrivée en France en 2001, à 28 ans. En 2008, à 35 ans, j’ai publié mon premier roman en français, chez un éditeur français, à Paris. En 2011, la publication de mon deuxième roman, « Assommons les pauvres », m’a fait connaître auprès des critiques littéraires, médias, public, en France et bientôt à l’étranger. J’ai publié d’autres livres, des romans principalement, reconnus en France et à l’étranger, les étudiants ici et ailleurs ont fait des thèses sur mes livres et les professeurs m’ont invitée à leurs conférences… Rien, jusque-là, ne prédisait qu’un jour je serais amenée à écrire « L’autre nom du bonheur était français » (Gallimard / Blanche, novembre 2022), à parler de la littérature française « de souche » et de la littérature « de la francophonie », d’une « littérature française du centre » et d’une « littérature française de la périphérie ». Dans ce récit sur ma francophonie j’ai amplement présenté les interrogations ethnocentrées, identitaires, auxquelles je suis souvent exposée. Non pas au moment de l’écriture de mes livres, évidemment que non, ni lors du dialogue avec mon éditeur et mes anciennes éditrices. Aucun journaliste littéraire ni de la presse écrite ni des médias audiovisuels n’a choisi l’angle ethnique pour apprécier mes livres, sans pour autant oublier mon point de départ dans mon pays natal, mon aventure et mon voyage vers la langue française. Ce livre cité ci-dessus qui a reçu une très belle presse – belle non pas seulement parce qu’elle fut ample, mais aussi parce que nous nous sommes compris, les journalistes littéraires français et mon livre, nous avons été en phase – n’a pourtant pas suffi pour clore le débat une bonne fois pour toutes. Il arrive encore et toujours un moment où l’on me réduit à mon identité ethnique, non pas pour mettre en valeur la singularité de mon parcours littéraire, mais pour m’imposer le travail de Sisyphe : devoir me justifier mes raisons d’être en France, mes raisons d’écrire en français. « Shumona Sinha, vous êtes née en Inde. Expliquez-nous pourquoi vous êtes en France, pourquoi vous écrivez en Français. » « Est-ce que vous écrivez directement en français ? Est-ce que vous pensez vraiment en français ? Qui traduit vos livres en français ? Est-ce que vous n’écrivez pas dans une langue métisse ? Et le bengali, votre langue maternelle, et l’anglais (langue dans laquelle vous avez été colonisée), ne nourrissent-elles pas inconsciemment vos écrits français ? » Oui, il y a souvent une falaise immense entre la presse et les estrades sur lesquelles je me trouve. Dans le meilleur des cas je suis « autrice de la francophonie », dans le pire des cas je suis une « exilée ». Je dirais même qu’il y a quelque chose de pervers, de tordu, dans ces interrogations sur mon supposé statut d’exilée, dans ces provocations permanentes sous forme d’omission : Oups ! Je n’ai pas compris que vous avez déjà répondu de nombreuses fois depuis dix ans à cette question pourquoi et comment vous êtes venue à la langue française ! Si j’en avais le droit, il suffirait de reproduire le chapitre intitulé « Le Nom des gens. Nom de dieu ! » de ce livre cité ci-dessus pour partager mon expérience. Essayons une variation autorisable. Le terme « Francophonie », popularisé par Léopold Sédar Senghor, évoque davantage « la conscience d’avoir en commun une langue et une culture francophones que de décisions officielles ou de données objectives. C’est une communauté d’intérêt. On y retrouve l’idée que le français serait le point commun d’une multitude de peuples différents, les fédérant dans un idéal culturel et linguistique. » L’idée de Senghor était celle de la fédération, du rassemblement, non pas de la division. Or, après nous avoir grandement servi, après nous avoir permis de mettre en lumière des écrivains de tous horizons, « la Francophonie est devenue un fardeau, une spécificité, une sanction. Elle crée une scission et fait perdurer le concept du centre et de la périphérie. De l’autre côté de la ligne rouge vit dans la réserve la faune exotique. Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve marginalisé », écrit Amin Maalouf dans « Les Identités meurtrières ». « Côté Afrique nous avons nos dynasties régnantes. Côté France nous avons notre francophonie. Où sont cantonnés des écrivains étrangers écrivant en français… et des écrivains français ayant une gueule d’étranger ! » déclare Bessora, ma chère amie et camarade du même combat. (in « L’autre nom du bonheur… ») Dans ces mêmes festivals, je partage souvent la table ronde avec mes « semblables », les autres « exilés ». Dans certaines librairies, en
Face à l’intelligence artificielle – Un entretien avec Fabien Vehlmann, scénariste de bande dessinée, membre du groupement Bande dessinée du Snac.

Actualités Face à l’intelligence artificielle – Un entretien avec Fabien Vehlmann, scénariste de bande dessinée, membre du groupement Bande dessinée du Snac. Bulletin des Auteurs – En quoi l’intelligence artificielle peut-elle être une menace pour les auteurs ? Fabien Vehlmann – Au préalable je tiens à préciser que je ne suis ni un expert en informatique ni complètement à la pointe de la réflexion qui a lieu autour de l’intelligence artificielle. Je fais simplement partie des personnes qui se sont senties très vite alarmées. B. A. – Mais vous êtes expert en bande dessinée. F.V. – Je suis en effet scénariste en bande dessinée et j’aime bien réfléchir à des scénarios d’anticipation. Anticiper ne veut pas dire cependant avoir raison. Il est important pour moi de préciser d’où je parle et de ne pas laisser croire que j’en sais plus que les autres. B. A. – Dans la Bande dessinée nous avons plusieurs métiers. F. V. – Dans un premier temps je réagirais plus au nom des dessinateurs que des scénaristes. Mais nous sommes tous dans le même bateau, car ce qui concerne les dessinateurs concernera les scénaristes. Les intelligences artificielles ont franchi un cap technologique décisif. Les plus connues travaillent autour des illustrations, telles Dall–E ou Midjourney. GPT – 4 produit désormais aussi des textes cohérents et relativement pertinents. Pour le moment nous n’avons pas encore vu un scénario illustré créé par une intelligence artificielle. Mais il n’y a pas de raison que bientôt la complexité de la narration ne soit pas également résolue. Aux USA une autrice a déposé une bande dessinée, dont elle avait écrit le scénario, réalisée grâce à l’IA. Le Bureau américain du droit d’auteur est revenu sur sa décision d’accorder le copyright à cette œuvre, à la suite d’une plainte des artistes américains. Un manga conçu grâce à l’IA vient aussi d’être publié au Japon. Les illustrations qui sont produites par l’intelligence artificielle sur une thématique donnée, à partir de mots-clefs, sur simple commande, sans avoir besoin d’aucune connaissance graphique, peuvent être réellement très impressionnantes sur le plan de la qualité, avec un degré de finition qui peut complètement tromper le regard. Un professionnel pourrait certes y relever quelques gimmicks laissant soupçonner l’usage de cette technologie, mais à condition qu’il sache au départ que cette illustration provient d’une intelligence artificielle. Des questions éthiques et juridiques, voire métaphysiques, vont donc se poser. Peut-on parler de droit d’auteur quand « l’auteur » est un ordinateur ? Quid de la création assistée par ordinateur ? Nous utilisons déjà une telle assistance par ordinateur, ne serait-ce qu’en ouvrant Word. Il ne s’agit pas d’interdire les nouveaux outils technologiques, mais de les encadrer. L’utilisation, pour créer de nouvelles images, d’un fonds d’images qui appartient collectivement aux auteurs et autrices qui en sont à l’origine, peut être abusive, notamment quand elle s’apparente à un plagiat. La photographie est aussi concernée. Toute photographie mise en ligne sur une plateforme numérique grand public, y compris nos photos familiales, peut nourrir l’intelligence artificielle, y compris dans un but commercial. La manière dont fonctionnent les algorithmes de l’IA est absconse. L’atteinte à la vie privée cependant pourrait être constituée. B. A. – Quelles seront les conséquences pour les auteurs ? F. V. – D’abord économiques. On pourrait nous objecter : « Tous les métiers changent. Il faut s’adapter. » Or ce n’est pas parce que les métiers changent qu’on ne doit pas accompagner ces changement, afin d’éviter une casse sociale majeure, ce qui risque d’être le cas. La différence aujourd’hui, c’est la rapidité. Il s’agit de changements extrêmement brutaux, qui peuvent arriver en quelques années, qui ne laissent pas le temps de se retourner comme dans une évolution normale des métiers. Les autrices et auteurs de bande dessinée connaissent la précarité. Ils sont obligés de diversifier leur travail, et font souvent de l’illustration pour des magazines, des affiches pour des expositions, etc. Or ce type d’activité accessoire, concurrencée par l’intelligence artificielle, est potentiellement appelé à disparaître. Dans la reprise de séries, que j’ai moi-même pratiquée avec « Spirou », l’intelligence artificielle sera aussi capable de continuer une œuvre d’un auteur disparu avec un réel respect de son univers et de son style. Au Japon, le travail des assistants du mangaka, dans son studio, sera remis en question. Les décors en arrière-plan, les bases qui permettent au mangaka d’aller plus vite, pourront être confiés à l’intelligence artificielle. Or, être assistant permet d’apprendre le métier, et de devenir un jour mangaka. Enfin, les étudiants en école d’art peuvent être déroutés par des illustrations générées en trois minutes par l’intelligence artificielle, qui sont bien meilleures que ce qu’ils peuvent eux-mêmes produire en cinq heures de travail. B. A. – Vous parliez d’une dimension métaphysique. F. V. – Nous sommes là face à ce que certains philosophes ou psychanalystes appellent des « humiliations » de l’espèce humaine. Réaliser que la Terre n’est pas au centre de l’univers, ou que l’homme est cousin du singe, voilà d’autres exemples de cette blessure narcissique et philosophique, qui nous contraint à plus d’humilité. B. A. – Quelle réplique est-elle possible ? F. V. – La stratégie des start-up est trop souvent de lancer une utilisation plus ou moins légale, que les gens adoptent et qui devient ainsi légitime. Quand le nouvel usage s’est installé, il est trop tard pour s’y opposer. Il faudrait donc légiférer, et vite. L’Europe a ouvert une fenêtre avec une proposition de règlement sur l’intelligence artificielle. Cet « AI Act » concerne plutôt la sécurité, les deepfakes, pas tellement le droit d’auteur. Mais cette loi est en cours d’élaboration, de discussion, nous devons rapidement nous en occuper car ces intelligences artificielles gagnent en notoriété, en usage. The European Guild for Artificial Intelligence Regulation (Egair), qui a été fondée par des auteurs italiens de bande dessinée, groupés au sein du MeFu [Mestieri del Fumetto], s’y emploie, et nous pouvons soutenir son action. Une des grandes forces de l’Europe est la volonté de légiférer, dans tous les domaines. Si le processus des intelligences artificielles est bien encadré, les autrices et les auteurs seront ravis de pouvoir s’emparer de ces nouveaux outils. Des plasticiens le font déjà. Le problème de la fracture numérique pourra néanmoins s’accentuer : celui ou celle qui pourra acheter un logiciel très coûteux sera avantagé.e, quand
Une nouvelle ère pour la composition musicale ? par Sylvain Morizet, pianiste, orchestrateur, compositeur, représentant du groupement Musiques contemporaines.

Actualités Une nouvelle ère pour la composition musicale ? par Sylvain Morizet, pianiste, orchestrateur, compositeur, représentant du groupement Musiques contemporaines. Intelligence artificielle, un mot à la mode L’expression « Intelligence Artificielle » (IA) est à la mode depuis une quinzaine d’années en raison de l’essor rapide des technologies numériques et de l’importance croissante des données dans notre société. Les avancées en matière d’apprentissage automatique et de traitement du langage naturel ont permis à l’IA de devenir de plus en plus sophistiquée, ouvrant la voie à de nouvelles applications dans de nombreux domaines, y compris la création artistique. L’IA est également devenue un sujet de plus en plus médiatisé en raison de ses implications potentielles sur l’emploi, l’éthique, la sécurité, les droits de l’homme… Certains craignent que l’IA ne prenne le contrôle de certains secteurs de l’économie, ce qui pourrait entraîner des pertes d’emplois massives. Intelligence Artificielle VS Intelligence Humaine L’intelligence humaine et l’intelligence artificielle sont deux types d’intelligence différents, chacun ayant ses propres avantages et limites. L’intelligence humaine est basée sur la conscience de soi, l’apprentissage continu, la créativité, l’empathie et l’expérience émotionnelle. Les humains sont capables de prendre en compte de nombreux facteurs, d’appliquer un raisonnement complexe et de faire preuve d’un jugement moral. Cependant, l’intelligence humaine peut être limitée par la fatigue, les erreurs de jugement et la difficulté à traiter de grandes quantités d’informations rapidement. L’intelligence artificielle, quant à elle, est basée sur l’apprentissage automatique, les algorithmes et les données. Les ordinateurs sont capables de traiter de grandes quantités de données en peu de temps et de fournir des résultats précis et cohérents. Cependant, l’IA peut manquer de la conscience de soi, de la créativité et de l’empathie des humains. Il est important de comprendre que l’IA est conçue pour compléter l’intelligence humaine, pas pour la remplacer. Les humains et les machines peuvent travailler ensemble de manière synergique pour résoudre des problèmes complexes et atteindre des objectifs ambitieux. Il est donc important de développer une compréhension approfondie de l’IA et de ses capacités, tout en mettant en valeur les compétences uniques que les humains apportent à la table. Les différents types d’IA L’IA faible ou étroite : C’est l’IA qui est conçue pour effectuer une tâche spécifique ou un ensemble de tâches. Elle est généralement limitée à une application ou un domaine particulier, comme la reconnaissance vocale ou l’analyse de données. Elle est souvent basée sur des algorithmes d’apprentissage automatique supervisé, non supervisé ou par renforcement. L’IA forte ou générale : Il s’agit d’une IA qui peut effectuer des tâches complexes qui sont généralement associées à l’intelligence humaine, telles que la reconnaissance visuelle, le raisonnement, la prise de décision, etc. Elle est encore en développement et n’existe actuellement que dans les films de science-fiction. Par exemple, il est possible d’apprendre les règles de la fugue à une IA. Nous pouvons aussi lui faire analyser les 48 fugues du Clavier Bien Tempéré, chef-d’œuvre de Bach ayant poussé l’art de la fugue à son paroxysme. Bien que ces 48 fugues soient toutes différentes et profondément originales, une IA, après avoir analysé cette œuvre, pourrait néanmoins nous décevoir en proposant une fugue d’école, correcte d’un point de vue académique, mais totalement inintéressante artistiquement parlant. Néanmoins, l’IA progresse constamment et l’algorithme « DeepBach », basé sur ses 389 chorals, donne des résultats étonnants, difficilement différenciables d’une œuvre originale qu’aurait écrite Bach. À quoi tient alors cette différence ? Sans parler des génies, ponctuels et infiniment minoritaires (mais qui écrivent l’histoire de l’art !), quels seraient les critères qui rendent une œuvre digne d’intérêt ? Art et Artisanat Le mot latin Ars nous a donné à la fois artiste et artisan. La différence entre l’art et l’artisanat est souvent subjective et peut varier en fonction des cultures et des personnes. Cependant, on peut identifier certaines différences générales : L’art est souvent considéré comme une forme d’expression créative qui est créée pour susciter des émotions ou transmettre des idées, des concepts ou des messages à un public. L’art peut prendre de nombreuses formes, telles que la peinture, la sculpture, la musique, la danse, la littérature, la photographie, etc. L’accent est souvent mis sur l’originalité, l’innovation et l’expression personnelle de l’artiste. D’autre part, l’artisanat est généralement considéré comme une pratique qui implique la fabrication d’objets utilitaires ou décoratifs à la main, souvent à partir de matériaux tels que le bois, la pierre, le métal, la céramique, etc. L’accent est souvent mis sur la qualité, la fonctionnalité et la précision technique de l’objet fabriqué. Cependant, nous entendons souvent qu’il existe des chevauchements entre l’art et l’artisanat, et de nombreux objets artisanaux peuvent également être considérés comme de l’art. Par exemple, une sculpture en bois peut être considérée comme de l’artisanat en raison de son utilité décorative, mais elle peut également être considérée comme de l’art en raison de sa qualité esthétique et de son expression créative. Cette affirmation fait abstraction de la principale différence entre art et artisanat. Il s’agit de la question du sens. La réalisation d’une œuvre d’art demande à la fois un travail d’artisan, nécessaire à la perfection technique, ainsi qu’un travail d’artiste pour donner du sens à l’œuvre. C’est sur ce point que l’artiste conserve une avance considérable sur la machine. L’art après 1945 a lui-même revendiqué exclure le sens de la création artistique. Il s’est rapidement heurté à nombre de contradictions. Un virage pour la composition musicale – le cas JukeBox L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée dans le domaine de la composition musicale. Les techniques d’IA peuvent aider les musiciens et les compositeurs à créer de nouvelles mélodies et harmonies, à explorer de nouveaux genres, à améliorer la qualité de leur composition, ou à expérimenter de nouvelles techniques de composition. JukeBox est un modèle d’IA développé par OpenAI (développant également Chat-GPT) qui est capable de générer de la musique originale dans différents styles et genres musicaux. Il utilise des techniques de génération de langage naturel et de traitement de signal audio pour créer des compositions musicales complètes, y compris des mélodies, des paroles et des arrangements instrumentaux. Le modèle JukeBox peut générer de la musique dans différents styles, y compris le
Les dangers de l’intelligence artificielle dans le domaine de la traduction – Un entretien avec Jonathan Seror, juriste de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF)

Actualités Les dangers de l’intelligence artificielle dans le domaine de la traduction – Un entretien avec Jonathan Seror, juriste de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) L’ATLF et l’Association pour la promotion de la traduction littéraire [Atlas] publient une Tribune intitulée : « IA et traduction littéraire : les traductrices et traducteurs exigent la transparence », qui alerte sur les dangers imminents de l’intelligence artificielle dans le domaine de la traduction. Bulletin des Auteurs – Qu’est-ce que la « traduction automatique » ? Jonathan Seror – C’est la « transcription » d’un texte d’une langue source vers une langue cible, réalisée par un programme informatique. Le logiciel va utiliser un algorithme qui analyse une quantité colossale de traductions humaines déjà existantes lui permettant d’établir des correspondances entre des corpus de textes écrits dans plusieurs langues pour reproduire in fine des mots, des phrases, parfois des paragraphes, sur une base statistique. La machine se contentant d’ingurgiter et de régurgiter des fragments de textes sans en comprendre le sens, la plupart des traducteurs récusent le terme de traduction et préfèrent parler de transcodage ou de sortie machine (pour mettre en avant l’aspect informatisé et l’absence de pensée de la mal nommée « intelligence » artificielle) ou encore de pré-traduction (ce qui suppose l’intervention ultérieure d’un « vrai » traducteur). B. A. – Où en est aujourd’hui l’édition dans le domaine de la traduction automatique ? J. S. – L’ATLF a mené une étude auprès de ses adhérents dès la fin 2022. Sur un échantillon d’environ 500 traductrices et traducteurs, il apparaît que le recours à la traduction automatique demeure aujourd’hui extrêmement marginal dans ce secteur. Pour l’instant les éditeurs français ne revendiquent pas officiellement l’utilisation de la traduction automatique pour publier de la littérature étrangère. De l’autre côté, on sent une grande réticence du côté des traducteurs face à l’éventualité de cette pratique. Cependant, les quelques cas qui ont été remontés nous amènent à nous poser cette question : pourquoi un éditeur ferait-il appel à la traduction automatique ? La réponse est évidente : de son point de vue, ce serait pour réduire les coûts et gagner du temps. B. A. – Quels sont les questions que soulèverait la traduction automatique ? J. S. – Sur le plan juridique, le traducteur est un auteur. Il crée une œuvre de l’esprit originale, même si elle est dérivée d’une œuvre première. Ainsi à partir d’un même texte, chaque traducteur créera une œuvre différente selon sa sensibilité, sa voix ou son style. On peut dire qu’il y a autant de traductions qu’il y a de traducteurs. Pour en revenir à la traduction générée par la machine, on distingue souvent en matière de droit d’auteur l’amont de l’aval. L’amont interroge la manière dont a été nourrie la machine. L’aval s’attache au texte généré par la machine. En amont, les algorithmes d’une traduction automatique se nourrissent du « Big data », des « données massives », à travers le « Deep Learning », l’« apprentissage profond ». Les algorithmes vont ingurgiter une quantité colossale de textes, souvent accessibles en ligne, afin de pouvoir potentiellement les reproduire. Se pose alors la première question : Quels sont les textes qui nourrissent la machine ? S’il s’agit de textes protégés par le droit d’auteur, et que la machine reproduit de manière fragmentée des traductions préexistantes, le droit d’auteur des créateurs de ces traductions préexistantes est violé. Le problème est que les auteurs de traduction ignorent potentiellement l’appropriation de leurs créations par une machine. En outre, compte tenu du processus de retranscription parcellaire par l’IA, il est quasiment impossible de démontrer une contrefaçon (bien que cette violation du droit d’auteur s’apprécie au regard des ressemblances entre les textes, et non des différences). C’est pourquoi une transparence de la part des développeurs sur la matière qui est donnée à la machine permettrait de tracer de telles utilisations. C’est d’ailleurs ce que demandent les organisations d’auteurs au niveau européen dans le cadre de la proposition de règlement sur l’IA. Dans ce contexte, la crainte est d’autant plus renforcée qu’en droit français a été introduite une énième exception au droit d’auteur suite à la transposition des articles 3 et 4 de la Directive européenne 2019/790 relative au droit d’auteur : « l’exception de fouille de textes et de données », « Text and Data Mining » prévue par les article L122-5et L122-5-3 du CPI, qui permettrait d’ingurgiter des textes sans demander l’autorisation des auteurs, lesquels ne pourraient qu’opposer un « opt-out » que l’on sait aujourd’hui impossible à mettre en œuvre. Cette exception est encore récente mais la première crainte des traducteurs est de se dire qu’à terme ils contribueront, sans le savoir et par la spoliation de leur création, à nourrir l’IA. En aval, nous avons un texte généré par l’ordinateur, qui à ce jour n’est généralement pas exploitable en l’état du fait de la syntaxe et des erreurs de sens, sans parler de l’absence de construction littéraire. Pour obtenir un texte de qualité publiable, il faut donc faire intervenir un traducteur sur la sortie machine, dans un travail qualifié de « post-édition ». Quel serait alors le statut du traducteur ? Son rôle se limiterait-il à corriger les erreurs et les fautes orthographiques, grammaticales et syntaxiques du texte issu de la traduction automatique, auquel cas il ne serait plus qu’un prestataire de services et perdrait de ce fait sa qualité d’auteur ? Ou devrait-il effectuer un vrai travail de réécriture, devrait-il retraduire, et donc réaliser une création originale, même partielle ? Le curseur est délicat à placer et il y a fort à parier que l’éditeur et le traducteur n’auront pas la même vision des choses. B. A. – Le recours à l’IA et à la post-édition entraîne-t-il réellement un gain de temps ? J. S. – Il n’est absolument pas démontré qu’une réécriture à partir d’un texte issu de la traduction automatique générerait un gain de temps puisque le traducteur, au lieu de travailler sur un seul texte (à savoir la version originale) devrait travailler à partir de deux textes, la version originale et le texte issu de la traduction automatique. Ce va-et-vient permanent entre la version originale, la sortie machine et le texte final prend plus de temps qu’on ne le pense. Qui plus est, sur un plan littéraire, nombre de traducteurs pointent l’appauvrissement de la créativité dans ce processus laborieux : la
Éloge de l’éclectisme – De l’Opéra de Paris à Rihanna – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création.

Actualités Éloge de l’éclectisme – De l’Opéra de Paris à Rihanna – par Denis Levaillant, compositeur, pianiste, auteur, président de la Fédération de la Composition – Musiques de création. Musique symphonique, musique électro, musique de scène, musique de ballet, musique de synchronisation, musique de film, musique actuelle : la création d’aujourd’hui traverse les catégories. Aucun préjugé de genre ne devrait entraver la libre circulation des œuvres dans la société ; il est totalement fallacieux de prétendre que la création musicale n’a pas de « marché » : il faut évidemment aller le chercher, prendre le temps de convaincre et de diffuser, être extrêmement professionnel dans la production, et être extrêmement patient. Il me semble que cette question mérite vraiment d’être débattue par le Snac, car elle concerne le métier dans sa définition, son économie, sa communication, elle touche au statut du compositeur, elle aborde le « périmètre » envisagé de nos actions, elle est selon moi aujourd’hui urgente et fondamentale. Je voudrais témoigner de ces percées, que j’ai profondément vécues dès mes débuts de créateur et qui nourrissent encore aujourd’hui mon quotidien. Quelques exemples : En 1983 je reçois une commande de l’État pour une création au Festival de musique contemporaine de la Rochelle, Piano transit, un concerto pour piano et électronique, tous les sons étant des traitements numériques de sons de piano faits au GRM (studio 123). Cette œuvre est donc coproduite par l’Ina-Grm qui la programmera au studio 104 à Radio-France. Je la dédie à Pierre Henry (qui assistera au concert de Paris) et l’interprète moi-même dans un dispositif de diffusion du son révolutionnaire (un réflecteur en forme de champignon suspendu au-dessus du piano, inventé par Jean-Pierre Morkerken). J’ai par la suite monté certains extraits de cette œuvre, très riche, en multipistes, et certaines séquences entières ont été éditées dans plusieurs albums destinés à la synchronisation au cinéma, dont The Fear Factory, chez Cézame, dans lequel Rihanna a puisé un titre pour le générique de fin d’une de ses vidéos récentes : une commande de l’État a donc été entendue partiellement par plus de 160 millions de personnes sur YouTube à ce jour. Étonnant, non ? Musique savante contemporaine, musique électronique, musique de synchronisation, musique actuelle : que sont les catégories devenues ? En 1987 je reçois une commande de musique de scène de la Comédie-Française pour Le Canard sauvage d’Ibsen mis en scène par Alain Françon. Je compose un quintette à vent qui est enregistré par le quintette Nielsen et diffusé en scène, pour plus de soixante représentations. J’en tire une version de concert : Sept prières pour un canard sauvage, qui est créée en 1995 au Centre Pompidou par Nielsen et repris à la Salle Gaveau. J’utilise quelques extraits de cette œuvre dans une production du CMG chez Cézame, L’Étrange, et ces titres depuis sont régulièrement synchronisés dans le monde entier. En 2008 le réalisateur hollandais Ad Bol me commande la BO de son film de fiction Blindspot. Il tombe amoureux de ce quintette et me demande de faire toute la BO avec ces matériaux. Dont acte. Musique de scène, musique « sérieuse de concert », musique synchronisée, musique de film : que sont les catégories devenues ? Après OPA Mia en 1991, je compose Les Couleurs de la parole, commande de Radio France pour le Philharmonique. Je prolonge l’orchestre de l’opéra, en poursuivant l’inspiration de la voix parlée, de la conversation. Création en concert. L’œuvre est enregistrée.Je m’empare de l’enregistrement et en fais la base d’un vaste traitement électroacoustique : Drama Symphony, commande de l’Ina-Grm. J’extrais de cette œuvre des fragments qui sont recomposés pour être synchronisés à l’image : Dark (chez Koka Media). Enki Bilal sera le premier à synchroniser deux titres dans la BO de son film Immortel. Cet album est devenu depuis une référence dans l’audiovisuel, dans le monde entier : plus de cent synchronisations par an depuis 2003. La même œuvre passe donc de la catégorie « musique symphonique contemporaine » à « électroacoustique » puis à « BO de cinéma » puis à « musique de synchronisation » : que sont les catégories devenues ? Éclectisme J’ai été classé à mes tout débuts dans le genre « musique improvisée », puis dans la « musique contemporaine », puis « musique électroacoustique », puis « musique de spectacle », puis « musique de film », puis « musique de synchronisation », puis « musique de ballet », puis à nouveau « musique sérieuse de concert », etc. Suspect aux yeux de tous les sectaires (puisque je traverse leurs cercles sans y prendre attache), je suis un créateur libre ; je vais là où mon instinct et mon désir me guident, et je cultive mon style à travers tous les genres. Mon éclectisme est salué par les Anglo-Saxons, pour qui la variété des techniques maîtrisées est un atout considérable pour un créateur. Colin Clarke, critique de Fanfare aux USA, a ainsi pu écrire : « His versatile musicianship is truly extraordinary. » Aucun critique français (en dehors des musicologues) jusqu’à présent n’a daigné porter la moindre attention à cet aspect fondamental de ma personnalité. Pourquoi parler ainsi de moi ? Parce que je pense avoir été en avance dans ma génération, à créer hors limites imposées, d’un genre à l’autre, en maintenant un cap authentique, sincère et indépendant. J’ai la profonde conviction que de plus en plus de jeunes créateurs suivent cette voie de l’ouverture, de la multiplicité, des brassages, des voyages, des traversées de frontières, bref de l’éclectisme – ou encore versatilité, mais allez en parler à un intellectuel français, il va vous traiter de girouette – si bien qu’il me semble que la conception sacralisée du « concert de musique contemporaine » comme seule source de communication (et de revenus ?) pour un créateur d’aujourd’hui est totalement désuète, obsolète, et souvent mortifère. Denis Levaillant Portrait de Denis Levaillant, par Julien Mélique. Cette « Tribune libre » a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 153, en avril 2023.