Le Centre national du Livre aide et accompagne les auteurs – Un entretien avec Florabelle Rouyer, chef du département de la création, et Laurence Pisicchio, instructrice en charge de la commission de la Bande Dessinée.

Actualités Le Centre national du Livre aide et accompagne les auteurs – Un entretien avec Florabelle Rouyer, chef du département de la création, et Laurence Pisicchio, instructrice en charge de la commission de la Bande Dessinée. Bulletin des Auteurs – Quelles sont les missions du CNL ? Florabelle Rouyer – Le Centre national du livre est un établissement public administratif du ministère de la Culture, au service du livre et de la lecture depuis 1946, qui a pour mission principale d’accompagner et de soutenir tous les acteurs de la chaîne du livre : auteurs, traducteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et organisateurs de manifestations littéraires, et de contribuer à la diversité et au rayonnement de la création littéraire et du livre, en France et dans le monde. Il met à la disposition de l’ensemble des professionnels de la chaine du livre 22 dispositifs de soutien. Le département de la création est l’un des quatre départements du CNL. Ce département est dédié à toutes les aides aux auteurs du livre, éditeurs d’ouvrages et de revues, il accompagne des associations de l’interprofession par des subventions annuelles, et il participe, au-delà de sa mission de service public, aux réunions de concertation pour l’évolution des bonnes pratiques, notamment dans les relations entre auteurs et éditeurs. Dans ce département, nous recevons environ 3 000 demandes par an, tous dispositifs confondus. Nous avons 10 dispositifs. 4 sont dédiés aux auteurs, le plus demandé étant la bourse d’écriture. Nous avons une bourse de résidence, à laquelle auteurs comme traducteurs peuvent prétendre. Nous proposons une bourse de traduction des langues étrangères vers le français. Et une bourse de séjour aux traducteurs du français vers les langues étrangères. Dans les bourses d’écriture, nous avons trois bourses et quatre montants : la bourse de découverte, de 5 000 euros, quand vous avez un livre publié à compte d’éditeur. La bourse de création, de 8 000 ou 15 000 euros, pour les auteurs ayant publié au moins deux ouvrages. La bourse d’année sabbatique, de 30 000 euros, pour les auteurs dont l’œuvre est conséquente et lorsque l’ampleur du projet le justifie. B. A. – Comment fait-on pour demander une aide au CNL ? F. R. – L’auteur doit en premier ouvrir un compte « auteur » sur le site du CNL. Plus de 4 500 auteurs l’ont déjà fait depuis l’ouverture du portail en mai 2018. Vous obtenez un code, qui vous permet d’accéder à un espace personnel, où vous trouvez soit une fiche vierge si vous n’avez jamais déposé de demande d’aide, soit votre ancienne fiche si vous avez déjà déposé des dossiers au CNL. Vous remplissez ou actualisez cette fiche, et vous avez accès aux quatre dispositifs ouverts aux auteurs et traducteurs ainsi qu’aux présentations des différentes aides et surtout à un tuto pour vos accompagner dans le dépôt de votre demande en ligne. Vous pouvez alors cliquer sur « Nouvelle Demande ». S’ouvre à vous un formulaire en ligne, qui se présente sous la forme d’une page avec une série d’onglets. Il comporte une partie administrative, avec votre bibliographie à indiquer, votre numéro de sécurité sociale, quelques pièces à joindre, et surtout votre motivation, qui se décline en : « motivation de ma demande d’aide », et : « présentation de mon projet ». Ces pièces administratives sont absolument incontournables, car nous sommes un établissement public et devons respecter des règles précises. B. A. – Les règles d’éligibilité aux aides ont évolué en 2019. F. R. – À la suite d’une évaluation du dispositif Auteurs par un cabinet extérieur, puis d’une concertation, la direction du CNL a souhaité augmenter les possibilités de dépôt de dossier. Cette augmentation de demandes nous a permis de convaincre de la nécessité d’un accroissement de notre budget, de l’ordre de 20 % en trois ans. Le budget que le CNL consacre aux auteurs avoisine aujourd’hui les 4 millions d’euros par an. Le premier levier pour faciliter l’accès au dépôt a été l’allègement des délais de carence. Le délai avant de pouvoir obtenir une nouvelle aide est désormais de trois ans, sauf pour l’année sabbatique, où il est de cinq ans. La deuxième manière de faciliter l’accès est qu’après un refus, le délai de carence d’un an et l’exigence d’une nouvelle publication ont été supprimés. Vous pouvez maintenant déposer une nouvelle demande dès la session suivante, à condition qu’il ne s’agisse pas du même projet. Le troisième moyen est la possibilité, si vous avez publié dans le domaine du roman, de déposer une demande dans un autre domaine, telle la bande dessinée, ou un essai de philosophie si vous êtes un auteur de théâtre. Avant 2019 vous deviez avoir publié un livre dans le domaine du projet que vous présentiez. Pour ce type de demande transversale, il faut tout de même avoir publié un ouvrage à compte d’éditeur et qui relève du champ d’attribution des aides du CNL. Par ailleurs, nous demandons un extrait, afin que la commission, qui ne peut avoir connaissance de votre travail antérieur dans ce nouveau domaine, puisse mieux cerner votre projet. De plus, les montants des bourses ont été augmentés. B. A. – Les revenus de l’auteur n’entrent plus en ligne de compte dans l’attribution de l’aide. F. R. – Cette mesure respecte mieux la confidentialité de la vie de chacun. Des auteurs pouvaient s’empêcher de déposer une demande. La lettre de motivation est aussi faite pour que l’auteur puisse y évoquer sa situation sociale, voire pécuniaire. Vous pouvez y exposer comment l’aide du CNL vous permettra de dégager du temps, de vous libérer d’un emploi ou d’activités annexes pour vous consacrer à l’écriture. B. A. – Les articles critiques sur les ouvrages précédents de l’auteur ne sont pas sollicités. F. R. – Non, La commission considère avant tout les ouvrages précédents, la motivation de la demande, la présentation du projet, la note critique du lecteur. Jusqu’à quatre ouvrages antérieurs peuvent accompagner le dossier. Tous les auteurs n’ont pas accès à l’attention des médias. C’est donc aussi un principe d’équité. B. A. – Avant que la demande ne soit examinée par la commission, le dossier est instruit. F. R. – Le rôle des instructeurs du CNL est essentiel. Laurence Pisicchio – Quand nous recevons les dossiers des candidats, en ce

La philosophie du projet – par Yan Volsy, responsable du groupement « Musiques à l’image ».

Actualités La philosophie du projet – par Yan Volsy, responsable du groupement « Musiques à l’image ». À l’occasion du Forum itinérant de la Musique à l’image, qui s’est tenu le 16 septembre 2021 à La Rochelle, animé par l’Union des compositeurs de musiques de films (UCMF), l’Union nationale des auteurs et compositeurs (Unac) et le Snac, ont été présentés les tarifs minima de la musique à l’image et a été publiée l’étude sur l’accaparement éditorial. En tant que compositeur « installé », membre actif du Snac, et responsable depuis quelques années du groupement « Musiques à l’image » de ce syndicat, je suis régulièrement sollicité par des compositeurs en quête d’informations. La question la plus courante est : « Combien puis-je demander pour répondre à cette commande de musique à l’image ? », ou : « Quel est le budget habituel pour répondre à tel type de commande ? ». Je suis en général bien en mal de répondre à cette question car : Il n’existe à ce jour, en France, aucun référentiel de tarifs des primes de commande. Le compositeur étant un auteur, et non un salarié, il n’existe pas non plus de grille de rémunération syndicale, négociée collectivement. Les variables sont très grandes d’un projet à un autre, et aucun projet n’est identique. Le coût de l’écriture et le coût de la mise en œuvre de la musique, ainsi que l’avènement de l’outil « home-studio », sont souvent totalement imbriqués : concrètement, les gestes de l’écriture de la musique jusqu’à ceux de la livraison du support sur lequel elle est enregistrée (aujourd’hui un ou des fichiers audio) deviennent parfois indiscernables, notamment dans le cas de la musique électronique.   À cette absence de référentiels communs, s’ajoutent quelques éléments qui rendent encore plus difficiles l’appréciation de la valeur de notre travail, et la mise en place de tarifs négociés : Le droit d’auteur nous protège en nous garantissant une rémunération proportionnelle à l’exploitation de nos œuvres, ici la diffusion de notre musique au sein d’un programme télédiffusé. Dans certains cas, cette rémunération est importante et gratifiante. Mais elle est extrêmement variable d’une diffusion à une autre. En janvier 2021, la diffusion d’une minute de musique au sein d’une fiction générait 400 euros sur Canal+ à 21 h, contre 25 euros sur France 3 à 1 h du matin. Cette diffusion ne génère pratiquement rien lors d’une diffusion sur Youtube ou une plateforme de streaming. Pourtant, nous fournissons le même travail. La captation de nos droits d’édition est devenue une pratique systématique, pour ne pas dire automatique : elle nous prive du choix d’un éditeur préféré, ou nous oblige à abandonner l’équivalent de 37,5 % du montant de nos droits en échange de la possibilité de la signature du contrat de commande. Dans ce cas, dans la mesure où la signature du contrat d’édition est souvent une condition nécessaire à l’obtention de la commande, on peut dire que l’on nous oblige à céder une partie de notre revenu pour pouvoir travailler. Enfin, dans les rares cas où un montant minimum de prime de commande a été imposé, comme par exemple pour la bonification CNC de la musique originale pour le documentaire, nous avons tous constaté que ce montant était vite devenu la norme, nous privant de la possibilité de négocier quoi que ce soit dans le cadre de la commande.   J’ajouterais que le métier de compositeur à l’image est un métier en grande partie solitaire, et nous devons reconnaître que nous ne faisons pas toujours preuve d’une grande solidarité professionnelle dans le partage des informations, du travail, et des commandes : en France comme à l’étranger, l’écriture de musique en équipe reste exceptionnelle. De fait, l’information sur les conditions de travail ne circule pas, ou très peu. Ce fut aussi, longtemps, un métier rare, soit pratiqué de manière occasionnelle, soit partagé dans un petit réseau d’initiés. Mais c’est de moins en moins le cas : avec la multiplication des canaux de diffusion, des plateformes de diffusion, de l’offre sur internet, le volume de production d’images n’a jamais été aussi grand, et il est en constante progression. De plus, une nouvelle génération de compositeurs, autodidactes ou formés dans de prestigieux conservatoires, est déjà sur le marché de la musique pour les médias. Aujourd’hui, nous sommes fiers de pouvoir proposer ce tableau de rémunérations minimales, qui est le résultat de deux années d’échanges et de réflexions via de nombreuses réunions, quand, paradoxalement, la pandémie nous a rapprochés en nous permettant d’adopter le réflexe de la visio-réunion. Ce tableau a plusieurs objectifs : Faire acte de pédagogie, en réexpliquant les facettes de notre métier aux compositeurs et producteurs, en déclenchant des rencontres et discussions entre organisations professionnelles. Répondre avec un référent commun et équilibré à la question du tarif posée par les jeunes compositeurs. Revaloriser la valeur brute de notre travail, en la détachant du succès potentiel d’un programme, donc de la rémunération proportionnelle. Redessiner les lignes entre le travail d’écriture et le travail de production de la musique. Yan Volsy Photographie Yan Volsy – Crédit : Caroline Roussel Cet article est paru dans le Bulletin des Auteurs n° 147 (novembre 2021).

Le droit d’auteur est-il en péril ? – par Régis Écosse

Actualités Le droit d’auteur est-il en péril ? – par Régis Écosse LE DROIT D’AUTEUR EST-IL EN PÉRIL ? par Régis Écosse, membre du groupement Doublage / Sous-Titrage Historique : Avec les usages internet, le piratage des biens culturels s’est développé massivement. Dans le même temps, des plateformes musicales sont apparues, proposant des offres légales d’accès à la musique grâce à des formules par abonnements. Malgré la faiblesse des montants de ces abonnements, les professionnels ont accueilli ces nouveaux acteurs, pleins d’espoirs, et les ont laissé prospérer, la formule semblant gagnante dans un contexte de crise sans précédent de l’industrie musicale. L’audiovisuel, en retard dans sa lutte contre le piratage, a fini par emboîter le pas des plateformes musicales, et des fournisseurs de VOD et de streaming sont apparus aux États-Unis, proposant des abonnements. Il y a sept ans, Netflix arrive en France. Depuis, d’autres plateformes se sont introduites sur le marché : Amazon, Disney +, etc. Avec elles apparaît une nouvelle pratique qui fait trembler tous les équilibres : alors qu’à leurs débuts, les plateformes ne proposaient que des programmes préalablement exploités au cinéma ou à la télévision, sur le modèle du vidéo-club, elles se sont mises à produire elles-mêmes des programmes et à les diffuser en exclusivité. Risquant de mettant en péril tout le système. Jusque-là, ces productions étaient majoritairement étrangères et les effets de ce nouveau modèle économique sont bien connus des auteurs de doublage sous-titrage. État des lieux : Depuis sept ans, les auteurs de doublage sous-titrage constatent des montants dérisoires de rémunérations au titre des droits d’auteur en provenance de ces plateformes et ne cessent de s’en alarmer. Il y a des raisons objectives à cette faiblesse de nos revenus : – Le faible montant des abonnements, qui plus est par « foyer », pas par personne. – Une « consommation » (puisque la culture est devenue une marchandise) éparpillée, chaque abonné ayant à sa disposition à l’instant T des milliers d’heures de programmes. En diffusion linéaire, les chaînes ne proposant à voir qu’un seul programme à la fois, le morcellement des droits globaux est moindre. – Pour les séries, une rémunération qui diminue au fil de leurs diffusions, résultat du décrochage de nombreux « utilisateurs » au fil des épisodes (le calcul de la rémunération étant basé sur le nombre de streams par programme). Ce phénomène n’est pas visible dans le mode de calcul des droits de diffusion sur les chaînes. Il n’empêche que, devant de tels niveaux de rémunération, c’est le principe même du droit d’auteur qui est ébranlé. En plein désarroi, les auteurs de doublage sous-titrage ont même déjà pensé à demander une revalorisation de leurs primes de commande, pour « compenser ». On se rapproche dangereusement du buy out (américain, où l’auteur renonce à ses droits contre une prime de commande plus importante). Il est urgent de réagir ! Lors de la crise de la Covid, les plateformes ont battu des records de fréquentation. Pourtant, les droits n’ont suivi cette augmentation qu’en partie. C’est l’effet pervers des formules par abonnements : l’augmentation du nombre d’abonnés fait monter la valeur du stream mais cette hausse est tempérée par la baisse de la valeur du stream qu’entraîne la surconsommation par abonné. Le mode de calcul de nos rémunérations en provenance des plateformes semble pourtant d’une parfaite équité : basé sur le nombre de streams effectifs par œuvre et par trimestre, on est en droit d’attendre que nos rémunérations soient le strict reflet de la « consommation » réelle de nos œuvres. Pourtant il n’en est rien car un élément fondamental vient perturber cette belle perspective : le piratage consenti. Quand 10 personnes se présentent devant un cinéma, chacun paye sa place pour entrer. Sur les plateformes, pour un abonnement payé, 10 personnes et plus ont accès au service, tant il est facile de distribuer ses codes d’accès à toute sa tribu. Dans un article récent, la part des « utilisateurs » de Netflix qui ne payent pas est estimée à 56 % (les plateformes elles-mêmes déplorent ce manque à gagner mais tardent à prendre les mesures pour le limiter). C’est la cause première de la surconsommation par abonné, qui fait baisser la valeur du stream. C’est comme si un magasin de mode achetait des blousons à 50 % sous prétexte qu’il va les vendre en solde. Ce n’est pas possible. Les plateformes sont en droit de faire des cadeaux à leurs abonnés, à des fins promotionnelles. Mais pas avec nos revenus. Il nous revient, à nous auteurs et compositeurs, de nous interroger sur ce système établi. À modèle économique nouveau, règles nouvelles. Des propositions sont à faire pour que, selon la règle d’or du droit d’auteur, la valeur du stream corresponde à la « consommation » réelle de nos œuvres. Nota bene : Le 17 septembre 2021 a été signé un accord entre les producteurs, les scénaristes et les réalisateurs pour protéger le droit d’auteur à la française face aux plateformes. Attendons d’en savoir plus pour poursuivre notre réflexion. Photographie : Régis Écosse – Crédit : Régis Écosse. Cette Tribune libre est parue dans le Bulletin des Auteurs n° 147 (novembre 2021).