Non à l’ancien régime repeint et à venir – par Christian Clozier, vice-président du Snac, compositeur de musique contemporaine

Actualités Non à l’ancien régime repeint et à venir – par Christian Clozier, vice-président du Snac, compositeur de musique contemporaine Au prétexte de mieux défendre les artistes-auteurs, les créateurs plus généralement et probablement les compositeurs bien que non cités, tous mêlés et dont les organismes de représentation actuelle (associatifs et syndicaux) lui apparaissent insuffisants (de définir un nouveau cadre de concertation, dans lequel ceux-ci seraient mieux représentés), Bruno Racine dans son rapport, « L’Auteur et l’acte de création », prévoit la création d’un Conseil national des artistes-auteurs, dont les représentants élus par les intéressés assureraient le lien et la promotion avec les appareils d’État centraux ou décentralisés, les diverses caisses et les organismes de gestion de droits sociaux, santé, retraite… (Une multitude de structures, de natures diverses, ont pour objet, chacune dans son domaine, de s’exprimer au nom des auteurs et de défendre leurs intérêts… Les instances de représentation existantes sont trop faibles ou contestées pour permettre un véritable dialogue social. En l’absence d’élections professionnelles, aucune structure ne peut se prévaloir d’être représentative au sens où l’entend le code du travail, d’où la relative faiblesse des syndicats autoconstitués… Postulant la légitimité d’une « politique des auteurs », la mission conclut à la nécessité pour l’État de s’affirmer dans son triple rôle de régulateur et garant des équilibres, de promoteur de l’excellence, de la diversité et de la prise de risque, tout en se montrant lui-même un acteur exemplaire.) Il n’y a pas lieu ici de revenir sur les analyses de ce rapport déjà produites ici et là et notamment au Snac, Bulletin des Auteurs n° 141, mais de s’interroger sur qui sont ces intéressés dont quelques recommandations proposent modalités et critères de sélection. À noter bizarrement que les recommandations 4-5-7 sont considérées en ordre inverse d’un déroulé organisationnel 7-5-4, à moins que l’essentiel du projet ne porte en fait sur la catégorisation, la nomenclature, le triage entre auteurs et créateurs, les uns dits « professionnels » et les autres dits « y a pas de nom », mais peu importe puisqu’ils sont déterminés comme hors-jeu : recommandation n° 7 : Créer un Conseil national composé des représentants des artistes-auteurs, des organismes de gestion collective et des représentants des producteurs, éditeurs et diffuseurs, chargé de formuler des propositions et de conduire les négociations collectives sur tout sujet intéressant la condition des artistes-auteurs ainsi que leurs relations avec les exploitants des œuvres. Puis, recommandation n° 5 : Organiser rapidement des élections professionnelles dans chaque secteur de création artistique afin de doter les artistes-auteurs d’organisations représentatives, financées par les organismes de gestion collective. Selon les modalités :recommandation n° 4 : Ouvrir le droit de vote à des élections professionnelles à tous les artistes-auteurs remplissant la condition de revenus (900 fois la valeur moyenne du Smic horaire) au cours d’au moins une des quatre années écoulées ; dans un second temps, prévoir les modalités permettant d’associer aux élections les artistes-auteurs ne remplissant pas la condition de revenus mais pouvant être regardés comme professionnels au regard de critères objectifs, lorsqu’ils en font la demande. L’important est donc d’édicter qui pourra être des collèges d’électeurs et d’élus. L’objectif annoncé étant d’ouvrir le droit de vote à des élections professionnelles… dans chaque secteur de la création artistique, il importe de s’assurer des liens claniques et d’intérêt de ceux qui constitueront, avec les régulateurs du marché, la création de ce Conseil national en charge de conduire les négociations collectives… Conseil, plutôt organisme parapublic de cogestion avec le ministère, dégageant ainsi les associations et syndicats acteurs de leur légitimité actuelle et privant ainsi leurs adhérents de représentativité indépendante sur la base de leur engagement personnel et de leur volontariat. « Dégagez », pensent-ils, nous sommes là pour cela, le terrain des interventions et des négociations pour les intérêts des artistes-auteurs est pour nous, en ligne directe. (voir pour exemple l’organigramme de sa future architecture à trois niveaux analysé dans le déjà cité Bulletin des Auteurs n° 141 du Snac). Cette inacceptable et désobligeante mise arbitraire à l’écart des organisations actuelles ayant déjà été commentée, considérons la procédure électorale annoncée pour y parvenir. L’élément majeur est l’obligation de critères définissant un statut professionnel de l’artiste-auteur. En fait celui déjà en pratique aux seins des Agessa et MaisondesArtistes. OR, chez ces derniers, leur fonction était de percevoir et répartir les droits sociaux corrélatifs à des travaux rémunérés effectués (commandes, droits d’auteur, activités annexes), les critères financiers retenus certes pénalisant pour certains aux revenus trop faibles, ne visaient à qualifier que les retombées pécuniaires et non la qualité intrinsèque de l’auteur ou de l’œuvre. Je comprends que pour bénéficier au titre d’auteur de retombées légitimes et de sécurité sociale, retraite… il faille justifier de ses revenus d’auteur, avec selon leur importance le distinguo affligeant entre affiliés et assujettis (disparu récemment), « assujetti » étant en soi un terme fort déplaisant. Mais ces distinguos n’étaient qu’administratifs et ne déterminaient en rien le profil de l’auteur ou du compositeur. Dans le cadre des élections professionnelles raciniennes, il s’agit de la personne même, de l’identité de l’auteur qui est en cause, qui est reconnue ou non selon ses revenus, et subséquent de son droit démocratique au vote, de son éligibilité et de sa représentabilité parmi ses collègues. Le projet implique donc une normalisation exécutoire de ce qu’auteur professionnel veut dire, implique et projette ainsi de professionnaliser la fonction d’auteur, de créateur, qui ne serait légitime qu’à certaines conditions économiques et dont la représentation sociale ne serait accordée qu’à l’issue d’élections censitaires. Le projet Racine classera, étiquettera les auteurs en niveaux financiers suffisants ou insuffisants selon leurs droits perçus, créant ainsi via le Conseil national et via le ministère, un statut-fixation des professionnels reconnus et l’agglomérat d’un sous-prolétariat de la création. Ces deux classes ou typologies imposées aux compositeurs et aux autres auteurs, dérivent des deux visages, deux faces du terme professionnel, ceux et celles d’un adjectif qualificatif reconnaissant la valeur artistique et le niveau de compétence du savoir-faire et celle d’un substantif, nominatif, lequel renvoie à quelqu’un qui vit de son métier,
Pour la reconnaissance d’un statut de « compositeur-réalisateur de musique » – par Yan Volsy, compositeur, responsable du groupement « Musique à l’image » du Snac.

Actualités Pour la reconnaissance d’un statut de « compositeur-réalisateur de musique » – par Yan Volsy, compositeur, responsable du groupement « Musique à l’image » du Snac. La mission confiée à un compositeur lors d’une commande de musique de film est aujourd’hui beaucoup plus large que la « simple » remise d’une partition. À l’heure où l’on parle d’un statut professionnel de l’auteur, il est peut-être temps de réfléchir à cette double casquette d’auteur et technicien, pour imaginer un statut inspiré par celui du réalisateur d’images. On m’a confié la composition de la musique originale d’un documentaire, je travaille dans mon home-studio : j’y écris un thème, le décline, l’arrange et l’interprète à l’aide d’instruments, souvent virtuels, afin de faire entendre une maquette au réalisateur et à la production du film. Je modifie ensuite cette maquette selon leurs retours et les changements de structure du film. Une fois, deux fois, parfois plus. Quand la musique est validée, je devrais avoir achevé mon travail de compositeur. Mais… non. Car ensuite je mets en page des partitions. Puis j’enregistre un ou plusieurs interprètes – au moins moi-même. Puis j’édite la matière enregistrée. Puis je synchronise sur les images. Puis je mixe. Puis je « masterise » au niveau requis par le média final. Puis je démixe sous forme de « stems »[1] : thème, accompagnement, section rythmique… Enfin, je livre la musique sous une forme audionumérique, prête au mixage du film. Ouf, c’est fini. Ah non, j’oubliais ! Il me faut encore renseigner la « cue-sheet »[2]. Bref : cette musique, je la compose et je la réalise, de bout en bout, seul. Comment pourrais-je faire autrement, avec un budget musique tout compris qui dépasse péniblement les 3 000 euros pour la musique d’un documentaire de 52 minutes ? Je constate par ailleurs que quand le film dispose d’un budget plus conséquent pour sa musique, ces fonctions que j’assurais seul, le plus souvent sur ma rémunération d’auteur, sont prises en charge par des techniciens ou artistes salariés par la production : orchestrateurs, ingénieurs du son, interprètes, monteurs musique… Ce fonctionnement, la plupart d’entre nous devrait pouvoir s’y reconnaître. Et nous devrions donc être d’accord pour dire que notre travail n’est pas seulement un travail d’auteur : comme décrit plus haut, nous assurons, dans la grande majorité des commandes, des fonctions de réalisateurs et interprètes de la musique. Quand nous travaillons seul, reconnaissons même que nous pouvons passer plus de temps à réaliser qu’à composer. Aussi nous pourrions nous inspirer du statut et modes de rémunération obtenus par les réalisateurs d’images. Nous pouvons lire sur le site de la SACD : « Les réalisateurs sont à la fois auteurs – rémunérés en droit d’auteur pour la partie création de leur activité – et techniciens (rémunérés en salaire). Chacun de ces aspects doit faire l’objet d’un contrat spécifique (ou d’un contrat en deux parties). »[3] On parle bien ici du réalisateur considéré comme auteur d’une mise en scène. Il peut par ailleurs être auteur du scénario, des dialogues, auquel cas il s’agit encore d’un contrat d’auteur à part. Pour les réalisateurs, l’usage, rendu nécessaire par les vérifications du CNC sur les aides attribuées, consolidé par une convention collective qui détermine des salaires minimaux, est que le réalisateur touche au moins autant en salaires qu’en droits d’auteurs, toujours en mettant de côté son éventuel rôle d’auteur du scénario. N’est-il pas temps, sur ce modèle, de faire reconnaître la valeur technique du travail que nous fournissons quand nous répondons à une commande ? À l’instar des réalisateurs, nous devrions collectivement réfléchir à une estimation du coût de ce travail, et à sa juste rémunération, en partie en droits d’auteurs, en partie en salaires. Depuis 2016 le groupement Musique à l’image du Snac a entamé un travail qui devrait aboutir à des recommandations de tarifs minimaux de primes de commandes. Pourquoi ne pas aller plus plus loin encore dans nos revendications avec l’invention de ce statut de compositeur-réalisateur de musique ? En éclairant la part de l’auteur et celle du technicien, il consoliderait le statut professionnel de l’auteur. En chiffrant la part technique d’une commande, il donnerait à la musique à l’image une plus juste valeur. Enfin et surtout, en posant les bases d’une rémunération minimale, il répondrait certainement à une demande de plus plus forte des compositeurs à l’image débutants, qui doivent aujourd’hui négocier leurs tarifs sans aucun repère. [1] Livraison en stems : la musique mixée est livrée en plusieurs pistes séparées, afin de permettre un rééquilibrage des parties instrumentales lors du mixage du film. [2] Cue sheet : document lié au programme, qui indique les occurrences et durées des musiques synchronisées, avec leur titre, origine, et leurs ayants droit. [3] https://www.sacd.fr/la-rémunération-des-auteurs-en-télévision-cinéma-radio-web Cette Tribune libre a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 142 (septembre 2020) Photo : Yan Volsy – Crédit : Caroline Roussel.