Il faut vraiment rééquilibrer le partage. Un entretien avec Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT Spectacle

Actualités Il faut vraiment rééquilibrer le partage. Un entretien avec Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT Spectacle Bulletin des Auteurs – Qui participera aux élections professionnelles prônées par le rapport Racine ? Denis Gravouil – Une élection professionnelle d’auteurs est logique, nous sommes d’accord avec cette mesure. Elle ne relève pas du Code du travail, mais elle doit trouver le bon dosage pour que tout le monde puisse s’exprimer, que personne ne se sente lésé. Un corps électoral qui ne serait défini que par les revenus ne prendrait pas en compte les plus fragiles, ceux qui ont par exemple le plus besoin d’accéder à la sécurité sociale. Le critère pour être électeur doit être le plus large possible, pour que personne ne soit oublié. B.A. – Qui sera élu ? D. G. – Des personnes physiques, représentantes des organisations. La représentation des autrices.teurs ne doit pas se faire à la notoriété, mais passer par les organisations. Quelles organisations ? Il faut qu’elles soient représentatives. Il s’agit de déterminer qui est représentatif et selon quel poids. Dans le monde salarié, les organisations non représentatives ont beaucoup moins de droits que celles qui sont dites représentatives dans une branche. Ne peuvent négocier des conventions collectives que les organisations représentatives. La question de la représentativité est cruciale, elle opère un tri. Il ne faut pas que les critères se retournent contre des organisations qui ont une activité très importante, comme le Snac. La représentativité d’une organisation peut être appréciée au regard de son activité, du nombre de ses adhérent.e.s, de ses liens avec des organisations syndicales confédérées. Une organisation qui n’a pas de frais de fonctionnement peut facilement s’engager dans une course à l’échalote pour engranger un nombre maximal d’adhésions à tarif symbolique, en ne rendant aucun service. B. A. – Que pensez-vous de la sectorisation des élections ? D. G. – Les questions peuvent être très différentes selon les secteurs, les revendications peuvent être communes, sur la sécurité sociale ou la retraite, mais peuvent aussi être différenciées selon les métiers. Le Conseil national des artistes-auteurs devra travailler par secteur, sinon on aura des grand-messes qui ne serviront à rien. Il faut savoir à la fois travailler sur les sujets en commun, et c’est l’avantage d’être une organisation transversale comme le Snac, et pouvoir répondre aux questions de chaque métier. Le Snac, qui fédère en son sein différents groupements, sera capable de travailler sur des sujets particuliers. B. A. – Est-ce que la présence des producteurs et diffuseurs au sein du CNAA pose problème ? D. G. – Il faut que ça reste un Conseil national des artistes-auteurs. Qu’un dialogue s’établisse avec les producteurs et diffuseurs est une chose, mais un déséquilibre ne doit pas se créer aux dépens des auteurs. Si l’on prend l’exemple du paritarisme, où l’on nous dit que c’est moitié-moitié entre employeurs et salariés, dans les faits on a intérêt à se montrer très très forts chez les salariés pour ne pas laisser les employeurs discuter tout seuls avec le ministère. B. A. – Le CNAA sera-t-il écouté, éventuellement suivi par le gouvernement ? D. G. – D’expérience, les Conseils mis en place de cette façon-là sont toujours consultatifs. On n’a aucun pouvoir, tout dépend de comment le ou la ministre veut les faire fonctionner. Nous le voyons avec le Conseil national des professions du spectacle, existant depuis 1993. Quoi qu’il en soit, il faut vraiment investir ce genre d’endroit, parce que c’est le seul moyen d’arriver à pousser à ce que la question soit prise dans le bon sens. C’est indispensable d’avoir cet outil, pour faire entendre une voix la plus large possible, mais c’est une condition sine qua non qui ne peut être suivie d’effet que si l’on arrive à faire en sorte que les pouvoirs publics aient vraiment envie d’entendre la position du Conseil national des artistes-auteurs et des organisations d’auteurs qui y siègent. Si la volonté est que le CNAA fonctionne, cela va permettre de poser beaucoup de questions. Les préconisations du rapport Racine sont plutôt positives. La question est : vont-elles être mises en œuvre ? En particulier, il y a beaucoup de sujets communs entre les auteurs et les salariés, qui sont liés à la protection sociale et à la répartition des richesses en direction de ceux qui font le travail, sur lesquels nous avons intérêt à nous coordonner car ce sont des batailles. Il y a des intérêts divergents entre ceux qui payent et ceux qui font le travail. Il faut vraiment rééquilibrer le partage. B. A. – La Fédération CGT Spectacle est très mobilisée face à la crise sanitaire et économique. D. G. – En tant que responsable fédéral, je suis attentif à tous ceux qui sont touchés par la crise. Les plus touchés ce sont les plus précaires, les salariés permanents dont l’activité est arrêtée, bien sûr, mais en premier lieu et en termes de revenus les artistes et techniciens intermittents du spectacle et les autrices et auteurs. La crise du Covid va avoir un impact comme jamais connu depuis la Seconde Guerre mondiale sur l’activité dans nos secteurs, et nous sommes en train de demander de façon convergente une politique forte, c’est-à-dire des droits sociaux, un plan de relance avec des aides à l’emploi ou des aides fléchées en direction de ceux qui font le travail, auteurs ou salariés. Certes il n’y a pas d’assurance chômage pour les auteurs, mais le combat pour l’accès à la sécurité sociale, notamment au congé maternité pour les autrices, ou pour le maintien d’un revenu, est le même. Les seuils s’avèrent trop élevés, il faut absolument obtenir qu’on fasse sauter ces seuils d’accès aux indemnités de congé maternité ou d’arrêt maladie. Organisations d’auteurs et organisations de salariés, dans des métiers qui dans notre fédération appartiennent parfois aux deux champs, comme chez les réalisateurs, nous devons agir ensemble parce que nous n’allons pas obtenir si facilement que cela que ce gouvernement tienne les promesses qui ont été faites, comme quoi personne ne resterait sur le

À propos du rapport Racine, deux points en libre opinion : par Christian Clozier, vice-président du Snac, membre du groupement Musiques contemporaines

Actualités À propos du rapport Racine, deux points en libre opinion : par Christian Clozier, vice-président du Snac, membre du groupement Musiques contemporaines Premier point Ma désapprobation de ce rapport centralisateur et normateur (faiseur de normes) porte en premier lieu sur cette affirmation que les auteurs doivent être professionnalisés et électeurs pour que leurs revendications soient entendues. Le rapport prouve qu’elles l’ont été (perçues mais non entendues) par le pouvoir central puisque politiquement il lui faut instrumentaliser les impasses-réponses qu’il promeut dans ce même rapport. Or, aucune réponse, aucune garantie ne sont données à leurs résolutions hormis un montage bureaucratique complexe dont l’articulation avec les instances de décisions ne sont pas établies, mais se résumant à informer le ministère, le même qui a (au nom du gouvernement) généré les conditions de leur existence. C’est donc infirmer le rôle, la fonction et l’efficacité des syndicats et groupements associatifs libres pour pouvoir opérer un regroupement sous contrôle de quelques structures dites représentatives qui seraient, elles seules, légitimes puisqu’élues selon des procédures non déterminées alors que ce sont les revendications portées jusqu’à ce jour par ces syndicats et groupements qui sont la base édulcorée des impasses-réponses données par ce rapport qui les instrumentalise. Ce rapport projette de professionnaliser la fonction d’auteur, de créateur, qui ne serait légitime et présentable que si représentée à l’issue d’élections aux modalités floues. Je comprends que pour bénéficier au titre d’auteur de retombées légitimes et de sécurité sociale, retraite… il faille justifier de ses revenus d’auteur, avec, selon leur importance, les distinguos neutres d’affiliés et d’assujettis, disparus aujourd’hui, bien qu’« assujetti » soit un terme fort déplaisant. Mais ces distinguos n’étaient qu’administratifs et ne déterminaient en rien le profil d’auteur du compositeur. Par exemple, encore maintenant, pour obtenir une commande d’État, une aide du FCM ou peut-être du CNM naissant, être assujetti ou affilié, français ou étranger, n’était pas pris en compte, mais et seulement la qualité, la compétence de création. Le projet Racine classera, étiquettera les auteurs en un niveau financier ou suffisant ou insuffisant selon leurs droits perçus, créant, via le Conseil national et via le ministère, un statut-fixation des professionnels et l’agglomérat d’un sous-prolétariat de la création. Ce qui produit les situations financières pourrait idéalement être le talent, mais malheureusement il ne suffit pas d’être estampillé professionnel pour avoir du talent, il faut du métier. C’est pourquoi avoir du talent et donc du métier et ne pas être catalogué professionnel est inacceptable, quand bien même les créations ne rapporteraient pas assez. Ces catégories de compositeur « professionnel » et de compositeur « amateur » ou, pire encore, « occasionnel », sont à bannir.Être compositeur n’est pas un salariat, c’est un état et un étant, hors contingences de temps, créateur de ce qu’il advient. Et on ne peut simultanément être et ne pas être. Plus modestement et lexicologiquement, si l’on interroge le dictionnaire, il définit « professionnel » en multisens, comme il convient :1) – parlant d’une pers. : qui exerce un métier, une profession donnée ; qui a les qualités, l’habileté requises pour les exercer.– en parlant du comportement d’une pers. : qui relève de la personne de métier, de la compétence, de l’habitude à exercer un métier.2) – par ext. : qui fait sa principale activité de quelque chose, qui en tire ou non ses revenus.Et métier :C) – par anal. : rôle social, intellectuel, politique joué dans la sociétéD) – par méton. : habileté, savoir-faire dans la production ou l’exécution manuelle ou intellectuelle acquis par l’expérience, la pratique que confère un métier ou une activité permanente. Un compositeur qui doit exercer une (des) activité(s) complémentaire(s), voire subsidiaire(s) (enseignement, scène ou autres) pour améliorer l’ordinaire que ses créations lui rapportent, est inéluctablement tout autant professionnel. D’autant que talent ou pas, ce qui détermine fortement le taux de rémunération, c’est d’une part le genre, le style, la spécialité musicale et, d’une autre, l’appartenance à un réseau et, d’une autre part encore, la ville d’exercice. L’expression « monter à Paris » sous-entend bien ce qu’elle veut dire. Le Snac est bien conscient de ces causes / effets socialo-économico-culturels puisque les adhérents compositeurs s’inscrivent à leur choix dans trois groupements. Il est donc inacceptable que l’appellation « amateur » ou « occasionnel », qui de fait est stigmatisante dans l’environnement professionnel, soit appliquée à ces compositeurs de talent ou pas, qui ne peuvent subsister de leurs seuls revenus Sacem, commandes, ou autres mais qui ne sont pas moins personnellement et socialement professionnels. Ce n’est pas l’argent, la nomenclature du Siret, qui détermine la « qualité », le niveau de professionnalisme, mais la reconnaissance par le public, les collègues, ainsi que gens, institutions et opérateurs, eux effectivement professionnels du marché. Si je me permets de prendre mon exemple (non pour le talent mais le métier), je suis sociétaire définitif depuis 1987, compositeur de musique dite contemporaine et n’ai jamais pu vivre de mes répartitions.La diffusion d’un single sur les réseaux et médias génère en droits des niveaux sans commune mesure avec un concert en salle de musique contemporaine. Le plus simple et respectueux est donc de ne pas acter de distinguos basés sur les revenus et de considérer que les compositeurs, dotés ou mal lotis, ressortent à l’espèce générale des compositeurs, configurée en genres spécifiques aux déclinaisons particulières. Le droit d’auteur est leur lot commun, protecteur, qui confère à son bénéficiaire le titre de « compositeur », que son audience soit parcimonieuse ou grande. La Sacem ne fait pas de distinguos, elle perçoit, elle répartit à ses 169 400 créateurs et 6210 éditeurs les 140 millions d’œuvres dont 1,9 million d’œuvres déposées chaque année, utilisées par ses 506 000 clients. Ces derniers chiffres par eux seuls signifient la réelle démesure entre la capacité d’action d’un rétrograde Conseil national adossé à un ministère chiche de ses moyens et l’immense voire insensée autoproduction support internet qui n’a que faire de distinguos et de qualité. Pour en revenir au rapport Racine, dont le schéma des trois niveaux manifeste bien la mise sous contrôle régulateur étatique