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« Filéas » prend vie et corps – Un entretien avec Séverine Weiss, traductrice et présidente du Conseil permanent des écrivains.
Bulletin des Auteurs – Nous avions conduit voici un an un entretien sur le projet « Filéas », qui est aujourd’hui proche de se concrétiser.
Séverine Weiss – L’assemblée constitutive et la désignation des membres du conseil d’administration ont eu lieu le 20 décembre 2024. « Filéas », qui signifie « Fils d’informations libraires, éditeurs, auteurs », est une plateforme d’information sur les ventes de livres destinée à l’ensemble des acteurs de la filière du livre, dont les éditeurs et les auteurs, avec le soutien des libraires. Le statut particulier de société à mission a été adopté pour la structure afin de souligner la dimension d’intérêt général du projet : un comité de mission sera ainsi garant de la bonne conduite et du respect des missions inscrites dans les statuts de Filéas. En feront partie de manière paritaire douze personnes, trois auteurs, trois éditeurs, trois libraires et trois représentants des pouvoirs publics : la Sofia, le CNL et la DGMIC. Au sein duconseil d’administration siègent le Syndicat national de l’édition, majoritaire en terme de voix étant donné la hauteur de sa participation au capital, les organisations interprofessionnelles Le cercle de la librairie et Dilicom, les libraires, et, pour les auteurs, la SGDL et le CPE. Le CPE dispose de trois représentants, un votant et deux suppléants. Dans ce premier conseil d’administration, appelé bien sûr à évoluer, je serai la personne ayant droit de vote, en tant que présidente du CPE, avec le Snac et la Scam comme suppléants. Les auteurs seront donc présents aussi bien dans le comité de mission que dans le conseil d’administration.
Dès 2025, en avril pour le premier volet et avant la fin de l’année pour le second, chaque auteur pourra s’inscrire sur cette plateforme pour avoir connaissance gratuitement, ainsi que ses ayants droit ultérieurement, des chiffres de vente de ses livres. Les canaux de confidentialité seront bien sûr respectés : l’éditeur aura accès à son catalogue et l’auteur à ses œuvres, publiées sous pseudonyme ou non, et en fonction de l’ISBN, donc par édition (grand format, poche, etc.). Pour les éditeurs souhaitant accéder à Filéas, les abonnements seront adaptés à la taille de leur structure, de sorte que le prix de la souscription ne soit en aucun cas un facteur discriminant et que les petits éditeurs puissent bénéficier du service. Ce sera un grand pas en termes d’information pour les auteurs, et un atout pour les petits éditeurs indépendants, notamment pour mieux gérer leur stock et éviter la « réimpression de trop ».
Il y aura en effet deux volets : dans un premier temps, auteurs et éditeurs auront accès à des données GfK globales et hebdomadaires.
Ces données couvrent presque l’intégralité des points de vente, notamment grandes surfaces culturelles (Cultura, Fnac, etc.), grandes surfaces alimentaires, librairies de niveau II (stations-essence, jardineries) et Amazon. Il s’agit de données extrapolées, mais l’auteur pourra ainsi avoir une idée générale de ses ventes. Jusqu’à présent, seuls les membres adhérents à la SGDL avaient accès à ces données GfK. Filéas honorera les frais de cet abonnement collectif à GfK.
Le deuxième volet, pionnier en Europe et précurseur, sera progressivement mis en place dans l’année qui vient. Il est le plus intéressant, car il s’appuiera sur les ventes réelles au lecteur – les « sorties de caisse », à une fréquence quotidienne.
Ce deuxième volet d’information quotidienne débutera avec les données des librairies indépendantes souhaitant s’engager sur le projet, avec le soutien de l’« Observatoire de la librairie » et de « Datalib ». L’objectif est bien sûr que ce noyau de départ se développe dans le temps.
Une telle plateforme d’information aux auteurs, libraires, éditeurs, n’existe aujourd’hui nulle part dans le monde.
B. A. – Dans la mesure où le processus va s’installer progressivement, l’auteur aura dans un premier temps accès à une évaluation de ses ventes.
S. W. – L’auteur aura trois sources d’information : la reddition de comptes de la part de l’éditeur, qui s’appuie sur des flux, lesquels comportent une incertitude quant au volume des retours, par détérioration ou mévente. Je précise, point important, que la rémunération des auteurs continuera à se fonder sur les redditions de comptes fournies par l’éditeur (une fois par an, bientôt deux). Filéas est un pur outil d’information, qui vient en complément de la reddition de comptes. Pour mieux anticiper ses revenus l’auteur disposera desdeux « volets » de Filéas : d’abord GfK, qui est un bon indicateur global, enfin à disposition des auteurs gratuitement, ensuite les chiffres de « sortie de caisse », qui lui permettront de connaître les ventes fermes, au début sur une base de plusieurs centaines de librairies indépendantes, appelé à s’élargir.
B. A. – Quels sont les avantages pour les libraires ?
S. W. – D’être solidaires avec l’interprofession. Nous pouvons dire « Merci ! » aux libraires qui font cet effort. C’est clairement un outil pour les auteurs et les petits éditeurs à la trésorerie fragile. Les libraires accompagnent et soutiennent ce mouvement.
Le CPE, qui réclame cet outil depuis plus de dix ans, est heureux de voir enfin cette « Arlésienne » prendre vie et se concrétiser. Les auteurs ont le droit d’être informés au mieux de la vie de leur œuvre, et nous espérons que ce nouvel outil se développera vite et répondra à leurs attentes.
Portrait photo de Séverine Weiss. Crédit : DR.
Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 160, en Janvier 2025.