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Une Table ronde en prise avec une réalité vécue – Un entretien avec Marc-Antoine Boidin, scénariste, dessinateur et coloriste de Bande dessinée, responsable du groupement « Bande dessinée ».
Bulletin des Auteurs – « Les Secrets du succès ! » était la thématique de la Table ronde organisée par le Snac au Salon du livre et de la presse « Jeunesse » de Montreuil.
Marc-Antoine Boidin – Notre thème de prédilection, ce sont nos contrats. Nous voulions parler de la question de l’adaptation de la Bande dessinée par l’image animée. Nous avons invité deux auteurs, qui forment un couple à la ville et travaillent ensemble, Jonathan Garnier et Amélie Fléchais, qui sont respectivement scénariste et dessinatrice de la série « Bergères guerrières », une BD Jeunesse mais pas seulement, car elle peut toucher un large public, avec notamment, en fil rouge, une thématique sur le deuil. Quatre tomes ont été publiés, la série est achevée. À la faveur de la Table ronde « Les Secrets du succès ! », nous voulions aborder la nécessité de bien cadrer les clauses de son contrat parce qu’on n’est jamais à l’abri d’un succès ! Cela signifie : Faites attention à votre contrat, prévoyez ce qu’il peut arriver à votre titre et à votre œuvre même si le succès vous semble lointain ou improbable. Les quatre tomes créés par Amélie Fléchais et Jonathan Garnier ont connu un succès grandissant. Ce succès a vite intéressé une production audiovisuelle pour une adaptation en dessin animé. Quand nous signons un contrat d’édition, l’éditeur nous demande de signer également un contrat d’adaptation audiovisuelle. Il peut faire pression sur l’auteur, en lui disant : Si tu ne signes pas le contrat d’adaptation audiovisuelle, on ne signe pas le contrat d’édition. Or ce contrat d’adaptation audiovisuelle stipule souvent que les auteurs n’ont guère leur mot à dire en cas d’une telle adaptation. Certains auteurs ne s’intéressent pas à l’adaptation audiovisuelle donnée à leur œuvre, mais d’autres, la plupart, parce qu’ils sont scénaristes ou dessinatrices, souhaitent légitimement avoir leur mot à dire.
Quand l’auteur signe un contrat pour éditer sa Bande dessinée, il prête surtout attention au contrat « Livre » et signe sans faire trop attention le contrat d’adaptation audiovisuelle. La durée de soixante-dix ans après la mort de l’auteur s’applique hélas souvent au contrat d’adaptation. Une œuvre peut connaître le succès assez longtemps après son édition, dans la mesure où des œuvres postérieures ont contribué à faire connaître l’auteur d’un public de plus en plus large. Vous vous retrouvez alors prisonnier de mauvais contrats, confiscatoires, qui vous empêchent de prendre part à l’adaptation audiovisuelle de votre livre.
Parvenir à vous impliquer dans l’adaptation permet aussi de défendre votre droit moral, afin que cette adaptation ne trahisse pas votre livre.
Avec Jonathan Garnier et Amélie Fléchais nous étions dans une expérience concrète, vécue par ces auteurs, qui ouvrait, en miroir, sur des conseils potentiels, et sur des perspectives de cas de figures voisins. Nous étions dans une praxis, en prise avec la réalité, avec un retour d’expérience, plus vivante que ce qu’aurait été le simple déroulé de conseils théoriques.
Le travail de l’éditeur est d’éditer des livres. On peut légitimement se demander pourquoi on céderait à l’éditeur la possibilité d’adapter l’œuvre éditée en une œuvre audiovisuelle, puisque ce n’est pas son corps de métier. En général, dans le contrat d’adaptation audiovisuelle que l’éditeur vous demande de signer, vous cédez 50 % de vos droits à l’éditeur si votre œuvre éditée est adaptée. Si vous aviez pris un agent qui sauvegarde vos droits d’adaptation, vous ne céderiez à cet agent, en cas d’adaptation, qu’un pourcentage compris entre 10 % et 20 %. Si vous aviez réussi tout seul à imposer à l’éditeur de conserver vos droits d’adaptation, vous toucheriez 100 % de ces droits en cas d’une telle adaptation.
Si l’auteur n’a pas lâché son droit d’adaptation, le conseil d’un agent peut lui être précieux. Prendre un agent dès le départ peut permettre que cet agent ait un poids plus grand que l’auteur face à l’éditeur pour sauvegarder le droit d’adaptation. Laisser à un agent le soin de gérer ses contrats d’édition et d’adaptation peut permettre à l’auteur de mieux se consacrer à son art et de ne pas se fâcher avec son éditeur puisque l’agent joue le rôle d’intermédiaire. Il faut un agent sérieux, bien sûr, qui s’occupe réellement de ses auteurs. Dans les faits, peu d’auteurs BD suscitent l’intérêt d’agents puisque peu de BD sont adaptées pour l’audiovisuel or c’est surtout dans ce domaine qu’ils pourront se dégager un revenu. Ceci dit, je conseillerais aux auteurs de ne pas se désintéresser de leurs contrats. Les auteurs qui n’ont pas encore rencontré un succès qui les autorise à imposer leur voix ont tout intérêt à se rapprocher des organisations professionnelles, des syndicats, pour avoir des informations et prendre garde aux stipulations de leurs contrats. On peut toujours négocier à son niveau, on ne doit pas se laisser arrêter par une certaine appréhension à poser à l’éditeur des questions. Questionner ce n’est pas ergoter, c’est juste un geste professionnel, qui défend son activité. En outre le groupement BD a produit un « Contrat BD commenté » qui peut vous donner les clefs pour vos négociations futures. Pour l’anecdote, nous avons su, lors de notre rencontre, qu’il avait été utile aux auteurs de « Bergères guerrières ».
Portrait photo de Marc-Antoine Boidin. Crédit : Eric Desaunois.
Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 160, en Janvier 2025.