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L’Assemblée Générale d’Ecsa à Paris – Un entretien avec Bernard Grimaldi, compositeur, président d’honneur de U2C, co-président fondateur et vice-président d’honneur d’Ecsa.
Bulletin des Auteurs – Les 13 et 14 novembre derniers, la France a accueilli l’Assemblée générale d’Ecsa.
Bernard Grimaldi – C’était la première fois que la France, qui est un membre fondateur d’Ecsa, je dirais même le pays qui a initié cette dynamique d’union européenne des compositeurs, accueillait l’Assemblée Générale comme le font les pays membres qui le souhaitent lors de nos assemblées générales d’été.
Un peu d’histoire pour comprendre : Avant Ecsa il y eut « Fface » (« Federation of Film and Audiovisual Composers of Europe »), qui reste historiquement la première fédération européenne de compositeurs et dont j’ai eu l’honneur d’être le président fondateur. Cette initiative française, née de rencontres durant le Festival de Cannes autour du petit pavillon de la musique de film que l’UCMF animait à partir de 2004, fut suivie très rapidement par la création d’« ECF » à Vienne qui, à l’initiative de mon collègue et ami Klaus Ager, put réunir au plan européen les organisations nationales de compositeurs de musiques classiques et contemporaines. Il ne manquait plus que les compositeurs et auteurs-compositeurs de musiques populaires et c’est avec l’aide précieuse de David Ferguson, auteur-compositeur britannique malheureusement disparu trop vite, que nous pûmes créer cette troisième fédération, « Apcoe ».
C’est à partir de cette architecture, qui respectait les sensibilités de créateurs nourris de cultures très diverses et issus d’horizons très différents, que nous pûmes installer ce climat essentiel de confiance réciproque qui reste l’ADN de notre organisation et qui permit, avec la réunion de ces trois piliers il y a seize ans, la naissance d’Ecsa.
Durant tout ce processus la France a joué un rôle primordial et essentiel. La France est aussi historiquement le pays du droit d’auteur, elle est enfin traditionnellement au sein de l’Union Européenne le plus ardent défenseur de la culture. Nous avions donc l’ambition de faire de notre mieux pour être à la hauteur de l’occasion…
Nos trois organisations professionnelles françaises d’auteurs et compositeurs, U2C, Unac et Snac, membres d’Ecsa depuis l’origine, avaient proposé dès 2019 la tenue de l’Assemblée générale en France mais la pandémie a suspendu ce projet. Nous sommes revenus à la charge ensuite.
B. A. – Vous avez organisé l’Assemblée Générale, mais aussi des tables rondes.
B. G. – Nos trois organisations professionnelles ont mis sur pied un groupe de travail pour préparer cet événement, qui dans notre esprit devait inclure un volet « tables rondes » sur des sujets importants pour les créateurs de musique ainsi que, évidemment, les « Camille Awards » qu’Ecsa organise bi-annuellement avec le soutien du programme « Creative Europe » de la Commission Européenne.
La première table ronde était consacrée à l’initiative « Fair Music Project », un projet initié par notre organisation sœur suédoise, la Skap, en partenariat avec l’IMC, organisation issue de l’Unesco et regroupant l’ensemble des structures qui ont trait à la musique au plan mondial. Ce projet, qui vient d’obtenir le soutien de la Commission Européenne, vise à explorer les nouvelles technologies qui pourraient être mises en place afin de mieux identifier les œuvres, mieux répartir les droits, améliorer la transparence des flux, bref : mieux servir les créateurs dans un monde qui bouge de plus en plus vite.
Aujourd’hui l’I.A. est là, la « block-chain » est là. Ces technologies sont en train d’évoluer exponentiellement et si nous, les créateurs, ne prenons pas à bras le corps ces défis pour en faire des opportunités, si nous ne parvenons pas à être une force de proposition pour garder une forme de gouvernance sur ces évolutions, le droit d’auteur, qui nous permet de vivre, sera grignoté jusqu’à être réduit à la portion congrue tôt ou tard, c’est une certitude.
Le but de cette table ronde n’était pas de répéter avec les mêmes invités les mêmes discours sur les dangers de l’intelligence artificielle ou de dénoncer le déséquilibre de la répartition des flux d’argent dans l’écosystème du streaming. Le but était de réunir des personnalités diverses (tech, créateurs, sociétés de droits collectifs) plutôt expertes dans ces domaines et très concernées par ces évolutions, afin de créer des synergies qui permettent d’avancer concrètement. La conversation fut riche et fructueuse et il me semble, au vu des retours que j’ai pu avoir, que nous avançons. Pour la deuxième table ronde nous souhaitions avoir la présence du Centre national de la Musique, qui a par ailleurs son siège tout près de la BnF. Nou avons donc construit cette table ronde autour d’un projet initié au départ par le CNM au moment de la présidence française de l’Europe, qui a ensuite été développé sous les présidences tchèque, suédoise et belge qui ont suivi. Intitulée « One Voice for European Music », cette initiative a pour ambition de créer des synergies entre les acteurs culturels liés à la musique des différents pays et territoires européens, de mieux utiliser la richesse et la diversité qui font notre continent. Elle a plusieurs volets : l’identification, la cartographie, la mise en relation, la création d’une éventuelle base de données à l’échelon européen. C’est un projet ambitieux et nécessaire si l’Europe de la culture veut préserver et développer son identité. La présidente de l’IMC et la secrétaire générale de l’« European Music Council » (EMC) ont assuré la modération de cette deuxième table ronde, à laquelle a participé Florencia Di Concilio, compositrice française d’origine uruguayenne de musiques de films.
La troisième et dernière table ronde était en lien avec la cérémonie des Camille Awards qui allait avoir lieu le soir même dans le grand auditorium de la BnF. Nous avons souhaité la consacrer à la place des compositrices dans la musique de film. Les mentalités ont bien évolué depuis deux décennies, et même s’il reste encore des efforts à faire pour en terminer définitivement avec les vieux réflexes patriarcaux poussiéreux, il suffisait de voir les nominés des Camille Awards 2025 pour mesurer le chemin parcouru. D’ailleurs nous avions choisi de remettre le « Prix de la Contribution Exceptionnelle à la Musique de Film » à Miriam Cutler, à la fois pour sa magnifique carrière mais aussi pour son engagement sans faille dans ce combat pour la reconnaissance et l’égalité de traitement dont elle a été l’une des pionnières aux États-Unis.
Ces tables rondes ont réuni près de quatre-vingt-dix compositrices et compositeurs, sans compter les personnes des institutions culturelles françaises qui sont venues y assister.
B. A. – Les « Camille Awards» ont été décernés.
B. G. – Oui, et ce fut réussi. En dehors de la qualité remarquable des œuvres des nominés, nous avions décidé, avec Pierre Thilloy, compositeur de musique contemporaine et membre du Snac, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à l’occasion de cette aventure et avec qui nous avons travaillé à l’élaboration de cette soirée, de rendre hommage à Camille Saint-Saëns, qui créa la première musique de film de l’Histoire. Il s’agissait d’un film de fiction francais de 1908 intitulé « L’Assassinat du Duc De Guise».
La récompense des Camille Awards est une statuette du visage de Camille Saint-Saëns, magnifiquement stylisé par une artiste belge. L’Orchestre Pasdeloup est l’orchestre qui jouait les œuvres de Camille Saint-Saëns lors de leur création. Ce soir-là a été joué par l’orchestre Pasdeloup, en introduction de la cérémonie, le premier tableau de la musique de « L’Assassinat du Duc de Guise ».
Ensuite ont été distingués pour les Camille Awards : Alfonso de Vilallonga (Espagne) dans la catégorie des musiques de films ; Anna Rice (Irlande) dans la catégorie des musiques de documentaires ; Blair Mowat (Royaume-Uni) dans la catégorie des musiques de séries.
Pour terminer, je voudrais dire que Ecsa représente 27 pays européens, de nombreuses organisations nationales membres et, à travers celles-ci, plus de cinquante mille compositrices et compositeurs. Notre organisation repose sur une dynamique de confiance entre toutes ces personnalités créatrices qui viennent de cultures et de domaines musicaux différents.
C’est grâce à ces moments où nous nous retrouvons que nous cimentons et renforçons cette confiance les uns dans les autres. J’ajoute que ces rencontres sont une motivation importante pour nos salariés qui, tout au long de l’année, font un travail formidable à Bruxelles mais qui ne nous voient réunis qu’à la faveur de ces événements. Je voudrais conclure en les saluant et en les remerciant.
Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 160, en Janvier 2025.