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Les conséquences de la restriction du Pass Culture – Un entretien avec Christian Lerolle, coloriste, représentant du groupement Bande dessinée.

Bulletin des Auteurs – Quelles sont les conséquences de la restriction du Pass Culture ?

Christian Lerolle – Je suis coloriste de BD depuis trente ans, je fais partie d’un atelier d’auteurs de Bande dessinée qui a aussi trente ans d’existence, « Atelier 510 TTC », qui réunit les différents métiers de la bande dessinée, scénaristes, dessinateurs, coloristes. Depuis le début nous intervenons en milieu scolaire, nous accueillons des stagiaires. Durant une longue période, intervenir en milieu scolaire était compliqué. Selon les établissements, la rémunération était tributaire d’un protocole complexe, personne ne comprenait le statut d’artiste auteur. Nous avons alors monté une association de loi 1901, qui a géré l’administration de nos interventions.

Quand le Pass Culture est arrivé, en tant qu’association nous avons pu nous inscrire sur la plateforme « Adage », la plateforme de l’éducation artistique et culturelle. Nous avons créé une page, sur laquelle nous publions nos offres d’ateliers et d’interventions, que les établissements peuvent voir, et réserver, toujours sur Adage. Le plus souvent les établissements ont entendu parler de nous, ils nous contactent, nous montons le projet ensemble, une fois notre devis accepté nous créons l’atelier ou la rencontre sur Adage, et l’établissement valide la proposition. Nous sommes ensuite rémunérés par cette même voie. Cela permet de centraliser, que les dépenses soient transparentes, et que le processus soit beaucoup plus simple. Le dispositif a bien fonctionné.

Nous sommes basés à Reims, dans le département de la Marne, nous intervenons dans la Région Grand Est, en Champagne-Ardennes. Cela va de l’école maternelle rurale jusqu’à la fac, en passant par la prison, les Ehpad, les formations.

Le Pass Culture est un outil super pratique, tant pour les intervenants que pour les établissements.

Je suis l’un des plus vieux membres du comité de pilotage du Snac BD, adhérent à l’ADAGP, membre de la commission Bande dessinée de l’ADAGP, et membre du jury d’attribution des dotations de l’ADAGP aux artistes-auteurs. J’ai fait partie du jury du concours BD scolaire du festival d’Angoulême durant dix-huit années. En tant que coloriste j’ai une vision globale du métier, je connais beaucoup d’auteurs, d’éditeurs, j’ai été témoin des difficultés des auteurs pour s’inscrire sur Adage, car il faut un numéro de Siret, ne pas être allergique aux démarches administratives, mais le mécanisme se mettait en place et prenait une vitesse de croisière intéressante pour tout le monde.

Le décret ministériel du 27 février 2025 qui restreint l’assiette et les montants du Pass Culture a été publié sans préavis ni concertation. Il a fait perdre à beaucoup de gens des interventions, des rencontres. Cette atteinte à la diffusion de la Culture dans les établissements, de plus à cette période de l’année, est fort dommageable. Le printemps est propice à de telles interventions et rencontres organisées par les enseignants, qui ont alors couvert la majeure partie de leur programme.

Le travail fourni en amont, pour planifier ces rencontres, ces ateliers, avec des établissements qui ont monté un projet, sollicité des auteurs et autrices, est perdu.

Au titre des activités et revenus accessoires au droit d’auteur, ce genre d’interventions et de rencontres fait réellement partie des revenus de nombre d’autrices et auteurs de Bande dessinée, notamment illustrateurs Jeunesse, qui survivent grâce à ces revenus complémentaires.

En fait, on nous replace dans une période de confinement. Le confinement lors du Covid avait signifié l’arrêt total de nos activités, sur cette même période de l’année. Le Covid a pu nous faire perdre jusqu’à un tiers de nos revenus annuels. C’est la même chose aujourd’hui, en deux jours. En deux jours il fallait en vitesse inscrire sur Adage, et valider les offres d’ateliers ou d’interventions déjà programmées conjointement par les établissements et les artistes auteurs, mais pas forcément encore mis en ligne sur Adage parce que prévus pour dans quelques mois. Les premiers arrivés étaient les premiers servis, jusqu’à épuisement du budget. Le site dès le vendredi matin de l’annonce saturait, on ne pouvait plus y accéder pour valider dans les temps.

 Énormément de gens ont perdu de l’argent un un temps record, j’ai des exemples d’autrices et auteurs qui en une nuit ont perdu deux à trois mille euros du fait de cette déprogrammation. Ce qui est paradoxal, c’est qu’on arrive à de telles situations par des décisions gouvernementales et ministérielles, alors que les autrices et auteurs sont désormais obligés de payer à l’Urssaf des cotisations et prélèvements sociaux prévisionnels, appelés en amont, et basés sur leurs revenus enregistrés de l’année « n-1 ». L’Urssaf Limousin n’a pas encore intégré la réalité de la fluctuation des revenus, d’une année sur l’autre, des artistes-auteurs. Elle persiste à les traiter comme des entreprises, qui ont un chiffre d’affaires relativement régulier. Pour éviter d’avoir à verser des sommes prévisionnelles, vous pouvez aller sur votre page personnelle et mettre votre prévisionnel à zéro. Et à la fin de l’année vous payez réellement ce qui est vraiment dû. Mais les artistes auteurs ne connaissent pas cette possibilité.

Les artistes auteurs vont donc devoir avancer des sommes d’argent calculées sur un revenu qui incluait les revenus accessoires, quand en même temps on vient de leur supprimer ces revenus accessoires. On voit bien que cela a été fait sans aucune consultation de la base ni des organisations professionnelles des autrices et auteurs. C’est du grand n’importe quoi.

À Reims avec mon atelier nous organisons un concours BD depuis plus de quinze ans pour les adolescents, ainsi que le « Festival Interplanétaire de Bande dessinée de Reims » (FIBDR). Depuis treize ans nous y invitons une cinquantaire d’auteurs. L’association qui organise le FIBDR invite également, hors festival, des autrices et auteurs à la rencontre du public grâce au Pass Culture. Nous créons par ailleurs des expositions pour les journées européennes du Patrimoine, nous faisons ainsi entrer la Bande dessinée dans les bâtiments, avec des thématiques adaptées aux lieux tels le Palais de Justice, « Michel Vaillant » au musée de l’automobile, etc. Ces expositions tournent ensuite dans les centres de documentation et d’information des établissements scolaires, dans les médiathèques, avec une intervention des auteurs et autrices.

Deux expositions étaient prévues pour le premier semestre 2025, la première a pu avoir lieu au mois de mars parce que nous avons pu la valider à temps, la deuxième qui était prévue au mois de mai ne pourra être maintenue. La directrice de l’établissement où cette deuxième exposition était prévue a passé la matinée à essayer d’aller sur Adage pour valider notre proposition. Elle n’y est pas parvenue à temps.

Une fois que la somme de l’enveloppe budgétaire, d’ailleurs réduite, a été atteinte, le guichet a été fermé.

B.A. – Aviez-vous observé une augmentation des ventes de vos ouvrages grâce au Pass Culture ?

C.L. – Le Pass Culture individuel pour les étudiants, lycéens et collégiens vient par ailleurs d’être réduit, ne fonctionne plus qu’à partir d’un certain âge, et pour une somme quasiment divisée par deux. En tant qu’auteur je n’avais rien observé de particulier concernant mes chiffres de ventes. Mais le Pass Culture individuel a été appréciable pour la bonne santé des librairies, pour nos éditeurs également, surtout sur leur catalogue Mangas. Et il était sympathique de voir chez nos libraires des lycéennes et lycéens qui repartaient avec un petit paquet de bouquins, cela fait toujours plaisir.

B.A. – Quelles sont les perspectives du

Pass Culture ?

C.L. – Nous devons nous battre, communiquer avec le ministère et les organisations professionnelles pour que le dispositif perdure. Nous devons le préserver. Nous avons déjà des idées pour l’année prochaine, des pistes d’établissements, des dates à fixer. Pour l’instant nous ne pouvons déposer aucun projet. Nous attendons que le prochain budget du Pass Culture s’ouvre, dès que le guichet va ouvrir nous allons inscrire sur Adage nos interventions et ateliers et les valider. Mais c’est un peu une foire d’empoigne et je ne trouve pas ce processus très égalitaire sur le territoire français. Des établissements ruraux, de petite taille, qui ne peuvent consacrer un poste à cette recherche, qui n’ont pas la maîtrise de cette démarche, sont encore davantage exclus. Il faudrait que leur accès soit facilité.

C’est un paradoxe de dire que la Culture c’est importante et en même temps de réduire les budgets. La Bande dessinée est aujourd’hui un média qui multiplie les offres d’ateliers et d’interventions, et qui touche un large public, sur plusieurs générations. C’est un super outil de médiation sur plein de sujets, à côté de la BD de divertissement nous avons une BD non fictionnelle, qui va nous parler des faits de société, qui permet de passer plein de messages, de travailler sur des sujets du programme scolaire. Nous avons une exposition qui met en scène une BD qui s’intitule : « Dans les couloirs du Conseil constitutionnel ». « Palais-Bourbon » raconte un an d’immersion d’un auteur à l’Assemblée nationale. « Tour de Babel » relate un an d’immersion d’un auteur au Parlement européen. Cet auteur a suivi des parlementaires dans toute l’Europe. Ces auteurs conduisent un vrai travail journalistique de chercheurs ou d’experts. Ils sont capables ensuite d’animer un débat sur le sujet. Les enseignants sont ravis de bénéficier de ce genre de rencontres. Les élèves aussi. Nous intervenons même à Sciences Po.

La Bande dessinée dans sa globalité est un outil, ses autrices et auteurs peuvent accompagner l’information et la formation des futurs citoyens et ce que nous voulons faire de notre pays. Et d’un autre côté on sabre tout, de manière arbitraire, qui est contraire aux valeurs républicaines.